Avec
l'exposition "L'art des frères d'Amboise",
programmée conjointement en deux lieux à l'automne
2007, la collaboration des deux musées "frères"
que sont le Musée National du Moyen Age et le Musée
National de la Renaissance autour d'une exposition pointue sur
une thématique très circonscrite, ayant été
une réussite, la Réunion des Musées Nationaux
réitère le concept d'exposition en deux volets
avec l'exposition "Le bain et le miroir - Soins du corps
et cosmétiques de l'Antiquité à la Renaissance".
Cette exposition originale, novatrice et grand public par sa
thématique n'en néglige pas pour autant sa visée
scientifique. Pluridisciplinaire, à la croisée
des science humaines et des sciences physico-chimiques, entre
l'art, la civilisation et la science, elle présente ainsi
un panorama varié et polymorphe qui suscitera l'intérêt
tant des historiens de l'art et des érudits que du public
néophyte
Par ailleurs, elle apporte des éléments nouveaux
de connaissance et de réflexion issus des travaux scientifiques
menés par la Centre de recherche et de restauration des
musées de France et les laboratoires de l'Oréal
Recherche notamment sur l'analyse chimique des produits utilisés
durant ces époques.
Inscrite
dans un cadre architectural cohérent, avec la réouverture
au public, après restauration, du frigidarium des thermes
de Lutèce qui est sis dans l'enceinte de l'Hotel de Cluny
qui accueille le Musée National du Moyen Age et l'ouverture
exceptionnel au public de l'appartement des bains du château
d'Ecouen siège du Musée National de la Renaissance,
elle s'avère donc exemplaire.
Sous le commissariat de Michèle Bimbenet-Privat, conservateur
en chef au Musée de la Renaissance, est réuni
dans ce dernier un peu plus d'une centaine d'objets et d'œuvres
d'art pour restituer au cérémonial de la beauté
à la Renaissance toute sa dimension esthétique
et sociale.
Si les commissaires de l'exposition pour sa partie parisienne,
Isabelle Bardiès-Fronty, conservateur en chef au Musée
de Cluny, et Philippe Walter, directeur de recherche au CNRS,
mettent en évidence, par une approche chrono-thématique,
l'évolution du statut de la beauté, le volet consacré
à la Renaissance ne s'inscrit pas dans une histoire de
l'hygiène ou de la beauté. Ces deux approches
complémentaires insufflent ainsi un dynamisme certain
à la monstration et concourt à la grande réussite
de cette exposition.
La Renaissance et la révélation de la beauté
représentée
En raison des lacunes archéologiques sur l'usage des
cosmétiques pour la période de la Renaissance
compensées par l'abondance des images due à la
gravure et à l'imprimerie, Michèle Bimbenet-Privat
a privilégié une confrontation des images, au
sens large de "représentations", aux objets
et œuvres d'arts ainsi replacés dans leur contexte,
une mise en résonance qui n'a peut être pas encore
révélé tous ses secrets.
Ce
qui, par ailleurs, est en totale symbiose avec le lieu, car
le Musée National de la Renaissance ne disposant pas
d'espace réservé aux expositions temporaires,
celles-ci s'intègrent dans les lieux d'exposition des
collections permanentes.
Ce qui ipso facto conduit à une mise en situation directe
et immédiate des pièces exposées avec leur
environnement d'époque qui a été conçue
par Chantal Blor, Sophie Daynes-Diallo et Christian Mananne.
A partir d'un choix raisonné d'une sélection
drastique d'objets, écrits et œuvres d'art, la commissaire
propose une approche analytique et critique de la représentation
artistique qui tend à l'idéalisation de la réalité
pour en cerner les implications tant artistiques, historiques
que sociales.
Le parcours commence avec la visite de l'appartement des Bains
du château d’Ecouen à l'architecture rare
et techniquement complexe due à un ensemble de voûtes
plates clavées reposant sur des arpents sculptés
qui manifeste le goût des élites qui, férues
de culture antique, instituent le rituel du bain comme élément
naturel de la culture et le l’art bellifontains et rite
de sociabilité distincts des pratiques d'hygiène.
Ensuite,
au sein du château, plusieurs salles sont consacrées
à la mise en résonance souhaitée par la
commissaire.
L'iconographie abondante, notamment du fait des découvertes
de la Renaissance que sont la gravure et de l'imprimerie qui
assurent la diffusion et la vulgarisation des rites de beauté,
et d'une certaine manière leur démocratisation
et à l'émergence d'un idéal esthétique
et corporel commun en Europe voisine avec les témoignages
de la culture matérielle et quotidienne de la beauté
que sont les objets.
La
Renaissance voit se développer une abondante littérature
traitant de la cosmétologie revivifiée par les
échanges commerciaux contemporains et de nombreuses gravures
célèbrent autant le bain aristocratique ("Femmes
au bain" de Jean Mignon) que les étuves populaires
telles qu'elles sont encore pratiquées en Allemagne,
la France leur préférant les étuves sèches
("Le bain des anabaptistes" de Virgil Solis.
Ces documents sont précieux tant pour apprécier
l'évolution de l'hygiène et des soins corporels
que pour recenser les accessoires utilitaires du bain et les
objets de la toilette.
La Renaissance se présente comme une période
de novations qui voit naître le cérémonial
de la toilette, privilège symbolique du mode de vie délicat
des élites, qui se déroule en public dans l'espace
de réception qu'est la chambre.
Ce
cérémonial va engendrer, en marge de l'iconographie
mythologique ou biblique, un nouveau genre pictural, unique
et éphémère, esquissé par Léonard
de Vinci, qui se décline en France sous le thème
de la dame à la toilette initié par François
Clouet.
Ce que Cécile Scailliérez, conservateur en chef
au département des peintures au Musée du Louvre,
qui signe un excellent essai dans le catalogue de l'exposition,
qualifie de "genre à la croisée des genres",
le portrait nu, qui privilégie au portrait la représentation
d'un raffinement extrême et un érotisme délicieux,
à la fois réaliste et symbolique, qui, après
la relative austérité du Moyen Age, célèbre
le prestige de la chair ("Vénus à sa toilette",
"Allégorie" de Lavinia Fontana).
Les
objets utilisés au cours de ce cérémonial
s'avèrent de véritables objets d'art réalisés
dans des matières qui sont également représentés
dans les tableaux.
A côté des miroirs et peignes figurent des instruments
étonnants qui font office de cure oreille, cure ongles,
grattoirs et autres instruments étonnants qui seront
réunis dans les premiers nécessaires de toilette
élaborés par des artisans de toutes les professions,
ébénistes, verriers, orfèvres, ou même
portés en bijou comme le pendentif faisant office de
cure-dents-cure-oreille.
L’exposition
se clôt sur un focus particulier sur les bijoux de senteurs
aux formes diverses, depuis les diffuseurs de parfum en formes
de pommes de senteurs en quartiers, les boules de senteurs destinées
à être portées à la ceinture ou au
chapelet et les véritables bijoux qui contenaient des
réceptacles pour des pâtes parfumées aux
vertus médicinales.
Inutile de préciser combien est réjouissante
cette incursion subtile dans les plaisirs du corps célébré. |