Planant, atmosphérique, éthéré, nuageux, cotonneux, douillet, ouaté, enveloppant, reposant, calme, luxueux, chiadé, méticuleux, ambitieux, prétentieux, précieux, joli, joliet, doucereux, lancinant, répétitif, maladif, etc.
Comme le chantait délicieusement Brigitte Bardot : "Je manque d’adjectifs" pour qualifier ce deuxième album de l’esthète Sébastien Schuller…
Adoubé par la "revue pop moderne" Magic (il fait la une du dernier numéro), le musicien français récemment exilé aux Etats-Unis pratique une sorte de chanson électro-symphonique, si ce n’est "progressive", du moins très très sophistiquée…
Si Radiohead a évidemment fait partie de ses amours de jeunesse, l’influence majeure revendiquée par Sébastien Schuller reste le Talk Talk de Mark Hollis, dont Laughing Stock est devenu LE mètre étalon de tout disque un tant soit peu ambitieux (on se rappelle que L’Imprudence de Bashung, y avait souvent été comparé). Pour les ambiances folk-éthéré de son nouvel album, on range aussi volontiers Schuller aux côtés de Beirut ou Sufjan Stefens. Et il a reconnu lui-même que le choc Arcade Fire l’avait récemment aidé à progresser dans son écriture.
Au final, toutes ces connexions artistiques vont dans le même sens : celui d’une musique de plus en plus chiadée, de plus en plus savante, et visant de plus en plus haut. Un art qui, à force de chercher à éviter la vulgarité, tutoie en quelque sorte les cimes… mais finit aussi par perdre contact avec la réalité.
En fin de compte, la musique telle que Sébastien Schuller la pratique n’a plus grand chose à voir avec cette dénomination "pop" revendiquée par Magic… et c’est sans doute ce qui nous empêche d’y adhérer complètement. Certes, il n’y a pas de mal à peindre sa mélancolie sous des couleurs sophistiquées. Cela peut s’avérer très réussi (et objectivement, ce disque frôle assez souvent la magnificence sonore).
Mais on aime la chanson quand elle nous parle un peu de nous, de notre temps et notre monde. Celle de Sébastien Schuller semble se contempler elle-même en train de faire du beau style. Elle fait penser à un écrivain du XXIe siècle qui se donnerait toutes les peines du monde pour écrire encore comme au XIXe, alors que la réalité alentour a changé et qu’il serait temps de se mettre au diapason.
Evenfall nous évoque les atermoiements d’un musicien surdoué, rêvant d’un nouveau Floyd, et pris de neurasthénie devant ses beaux claviers neufs. Un surfeur immobile passant plus de temps à attendre la bonne vague (de synthé) qu’à fréquenter la terre ferme et se coltiner son époque ! Créature artistique purement cérébrale, négligeant tout l’aspect physique ou animal apporté par le rock à la musique moderne.
De notre côté, on aime aussi la chanson "pop" quand elle ose faire la pouf’ et se dandiner maquillée comme un camion. A cet égard, les musiciens de Air, qui partagent plus d’un trait stylistique avec Schuller (même amour des atmosphères planantes et synthés cotonneux), ont encore le talent de proposer certains gimmicks tout bêtes qui visent en dessous de la ceinture et peuvent faire chavirer les cœurs. En osant parfois une saine vulgarité, ils mettent aussi (paradoxalement) en valeur les aspects plus ambitieux du reste de leur musique.
C’est aussi là que le bât blesse sur Evenfall : le contraste est une donnée importante de la réussite d’un disque ; et celui-ci, aussi soigné soit-il, ne parvient pas à éviter la redondance : d’où cette impression, un peu désagréable, d’écouter toujours le même morceau, la même ambiance… un même motif de piano neurasthénique, répété ad vita aeternam.
"Tant mieux pour la cohérence du projet", diront les plus magnanimes. "Tant pis pour l’ennui", bâilleront les plus râleurs… |