Associer poésie et rock implique une évidente prise de risque, mais peut produire de singuliers effets, parfois dignes de déroutes New-Yorkaises mémorables.
Lou Reed, en sa période faste, aura rehaussé le rock d’une dimension littéraire, qui n’avait jamais été tentée antérieurement.
Enablers fait partie de ces groupes audacieux qui ne craignent pas de marcher sur des routes sans issues, escarpées, pleines de faux-semblants et de pièges irrémédiables. Ce quatuor a pourtant effectué à La Malterie une prestation exemplaire, faite de tensions extrêmes, de fureurs et crispations métalliques, réalisant un point de jonction entre le White Light White Heat du Velvet, Slint et Jack Kerouac ; c’est-à-dire entre l’atmosphère sombre et sous acide de la Factory Warholienne, les coups de sang électriques des Pères Spirituels du Post-Rock Slint et la poésie brisée des écrivains de la Beat-Generation.
Peter Simonelli, élément central des Enablers, se revendique d’ailleurs et avant tout poète, ayant rejoint d’abord dans une optique expérimentale les trois autres musiciens, afin de vérifier sur scène l’impact fiévreux de sa prose.
L’association détonante, à partir d’un premier album live enregistré en 2004 – l’impeccable End Note, signé sur le Label Neurot Recordings – a par la suite décidé de poursuivre l’aventure, avec un deuxième album sous forme d’hommage direct à Jack Kerouac : Output Negative Space (2006) ; et un dernier récemment, Tundra (2008) sans doute album de la maturité.
Le concert de La Malterie a révélé cette passion brutale, cette violence avec lesquelles les quatre musiciens ont asséné, en bloc, leurs morceaux. On n’oubliera pas l’état d’urgence dans lequel Simonelli, par l’impact de sa déclamation tendue, a exprimé de purs élans de rage ; une urgence qui, régulièrement, le conduisait à puiser son inspiration au milieu même du public.
Dans la salle s’est ainsi transmis, de proche en proche, une énergie orageuse, sans failles, digne de la maturité et de l’expérience des ces quatre personnalités de San Francisco.
Ivresse de mots, spoken-word enflammé, attitudes convulsives, structure rythmique d’acier faite de riffs tranchants et d’accords incisifs, voici les caractéristiques d’un groupe qui ne s’est nullement encombré d’une basse puisqu’une deuxième guitare, bricolée pour la circonstance, suffit à remplir toutes les possibilités musicales.
Gageons que ce groupe ira loin, sans se soucier d’un quelconque – et insignifiant − succès commercial : telle est la loi des véritables créateurs.
La première partie du concert, Berline 0.33, concerne un groupe local se revendiquant post-punk : les influences déjà hybrides s’entrechoquent et se combinent pour se placer, à chaque fois, sur un terrain nouveau.
Berline 0.33 convoque plus exactement la dynamique du post-rock et la new-wave des années 90.
Quant au punk, il surgit dans la rythmique hachée et brute de la basse, qui n’est pas sans rappeler les débuts, souvent méconnus, de Joy Division, avant que ce groupe ne trouve sa marque de fabrique dans les splendeurs désolées du Cold-Rock.
Le climat hypnotique du groupe provient de la voix gothique d’Emilie, chanteuse au charisme vif et noir, remarquable de présence nerveuse.
Aucune autre salle que La Malterie − ce laboratoire expérimental − ne pouvait mieux se prêter à cette prestation froide et puissante : une cave intime dans laquelle Berline 0.33 a su libérer une énergie propre aux groupes de garage, souvent libérateurs car porteurs d’éclats d’incandescence, secs, vibrants.
Un premier EP, éponyme du nom du groupe, vient de sortir. La suite est attendue sans patience. Si la jeunesse est une attitude, elle pourrait très bien porter le nom de Berline 0.33. |