Pièce
de Paul Claudel, mise en scène d'Yvan Garouel avec Anatole
de Bodinat, Pascal Guignard, Laurent Benoit, Isabel de Francesco,
Antoine Tomé, Gérard Zimmer et Julien Menici
Le théâtre du Nord Ouest dimanche 20h15. Dans le hall,
règne une joyeuse anarchie. Les futurs spectateurs tournent
en rond et croisent des comédiens en tenue de mousquetaires
qui mangent des tartelettes aux pommes avant de s’engouffrer
dans des passages qui ne présentent aucune des caractéristiques
habituelles des accès aux salles de spectacle. Un monsieur
au visage d’apôtre(*), la tête auréolée
de cheveux blancs, à la voix douce, gère tout ce petit
monde, oriente, renseigne et vend les billets.
A partir de ce moment, le futur spectateur que je suis se dit "Dans
quelle galère suis-je ?". Parce que de surcroît,
je suis venue pour une représentation de Tête d’or
de Claudel, 2h45 sans entracte. Et je suis venue de mon plein gré
alors qu’il me reste un souvenir épouvantable de cet
auteur suite à une représentation mémorable
de "L’échange" au terme de laquelle je n’avais
strictement rien compris et qui avait relégué Claudel
au rang des auteurs hermétiques réservés aux
khâgneux et moi à celui des demeurés pour lesquels
même les mots ordinaires devenaient dépourvus de sens.
De plus, je suis bien prévenue de ce que l’accès
à la salle a lieu par la scène et empêche toute
retraite vers la sortie pendant la représentation, d’où
d’intenses interrogations quant à ma propension à
l’autoflagellation avant d’en franchir le seuil ou plus
exactement de descendre l’escalier.
Enfin, au pied de l’escalier, il faut traverser la scène
immense qui n’est séparée que d’une petite
marche de la salle qui est …minuscule et où, ce soir-là,
sont assis une petite dizaine de personnes. Le spectateur est inévitablement
sous le nez des acteurs d’où l’impossibilité
de se réfugier au fond de la salle, derrière une carrure
imposante ou dans un assoupissement salvateur.
Alors pensez-vous sans doute que tous ces préambules et
digressions n’ont d’autre finalité que de remplir
la page et de retarder le moment fatidique d’en venir à
l’essentiel et d’avouer que par un fâcheux "bis repetita" Claudel n’est décidément
pas à la portée du premier venu.
Et bien non, il ne s’agit que de préciser que l’on
ne vient pas dans cette salle par hasard. Qu’il vous faut
absolument y aller. Que vous ne pouvez pas et ne devez pas rater
ce Tête d’or !
Tragédie antique, épopée lyrique, quête
mystique, le texte de Claudel est violent, furieux, tel un hymne
aux forces obscures et païennes de la Nature créatrice,
aux dimensions mystiques, chrétiennes et romantiques.
Chaque personnage, comme tout être humain, se retrouve face
à son destin, qu’il soit modeste ou grandiose, mais
toujours inéluctable, qu’il soit tissé par les
dieux, le Ciel ou les forces de la Nature universelle. Parfois,
se proposent des choix et il leur appartient alors de se déterminer.
Face aux hommes, simples fétus de paille soumis à
une volonté qui les dépasse, effrayés par l’avenir
qui leur est inconnu, terrés dans le présent, dans
l’ignorance et l’absence de foi en eux-mêmes,
paraît Simon Agnel, surnommé Tête d'Or, conquérant
assoiffé de gloire et d’absolu, qui entame une marche
inexorable et triomphante à l’assaut du pouvoir établi
pour éclairer, par la force aveugle et meurtrière
du tyran, les peuples asservis et les délivrer du jougs de
la monarchie de droit divin.
Yvan Garouel relève avec brio le défi qu’est
la mise en scène de ce texte : un très remarquable
travail d'adaptation en ne gardant que l'essentiel du texte, en
rendant indolores les coupures, permettant à la fois de comprendre
de quelle pâte humaine sont fait les personnages autour desquels
se noue l'intrigue du destin, et de réfléchir sur
la condition humaine, doublé d'une mise en scène qui
leur donne une vraie humanité et nous narre une véritable
épopée compréhensible et réaliste.
Un travail exemplaire servi par une interprétation remarquable
au premier rang de laquelle Anatole de Bodinat, dont la puissance,
la sensibilité et le charisme donnent de Tête d'Or
une sublime incarnation.
(*) Ce monsieur, c’est Jean Luc Jeener, le directeur du théâtre
du nord-Ouest
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