A
l'issue d'un titanesque travail de restauration des pièces
et documents qui constituent le fonds légué par
l'intéressée, le Musée
des Arts Décoratifs consacre une exceptionnelle
exposition rétrospective à la carrière
de Madeleine Vionnet qui a révolutionné le monde
de la haute couture.
De 1912-1939, Madeleine Vionnet c'est un empire, 27 ans de
création, de partis pris esthétiques et d'innovations
conceptuelles qui justifient une réputation, incontestable
et incontestée, qui a traversé le 20 ème
siècle au point de constituer "la" référence
reconnue non seulement de la haute couture de l'après
seconde guerre mondiale mais également de tous les plus
grands couturiers aujourd'hui en exercice.
Et pourtant, comme elle était moins mondaine, son nom
est moins connu du public que ceux de Poiret, le magnifique,
et Chanel, la reine du genre pauvre, ses homologues contemporains
et concurrents, qu'elle "habillait pour l'hiver" en
les qualifiant respectivement de "costumier, très
bon pour le théâtre" et de "modiste qui
s'y entendait pour les chapeaux".
L’exposition,
conçue sous le commissariat de Pamela
Golbin, conservatrice en chef, chargée des collections
contemporaines de mode et de textile aux Arts Décoratifs,
propose un parcours chronologique scandé de vitrines
thématiques dont la scénographie a été
confiée à l’éminente Andrée
Putman, réputée pour son minimalisme graphique
et chromatique.
Une scénographie à la mesure de la virtuosité
et de l'univers stylistique de "Madeleine
Vionnet, la puriste", simplissime et époustouflante
- écrans blancs, panneaux de laque noire et miroirs -
qui sublime les modèles exposés et commentés
avec, pour chaque pièce, un tableau numérique
qui se substitue heureusement au traditionnel cartel.
Outre
la créatrice, la monstration évoque la femme de
tête qui sait s'entourer des meilleurs artisans de son
époque pour orner ses modèles de broderies ou
les accessoiriser.
Elle innove également en lançant des produits
dérivés, tels une ligne de prêt-à-porter
et des parfums développée avec le parfumeur Coty
et se prémunit des copies et contrefaçons en constituant
des albums de dépôt de modèles, précieux
thésaurus documentaire, et apposant même son empreinte
digitale sur chaque étiquette.
Madeleine Vionnet, à la recherche
de la beauté plastique
Madeleine Vionnet revient aux fondamentaux d’un vêtement
qui épouse les formes du corps libéré de
tous les artifices de la mode, notamment avec la suppression
du corset dont elle est à l'origine, comme une seconde
peau pour l’exalter comme par inadvertance et s‘impose,
par sa prédilection pour les matières souples
et les tissus fluides, comme l’impératrice du flou
en haute couture.
Même si le visiteur n'est pas un spécialiste de
la couture et des arts de la mode, il lui sera aisé de
découvrir, de manière pragmatique, les principes
de base de celle qu'on surnomme "le couturier des couturiers":
proportions, mouvement, équilibre et vérité.
Son originalité résulte d'un parti pris esthétique
par un retour aux sources de l’histoire du costume avec
le drapé du costume du monde antique.
Quant
à sa suprématie, elle tient à de multiples
et inattendues novations techniques, depuis l’application
des méthodes usitées à l’aube de
l’histoire des civilisations quand n’existaient
ni le bouton ni la fermeture éclair, le détournement
des techniques de réalisation de la lingerie qu‘elle
applique à la haute couture, la structure des modèles
à partir de pans géométriques de tissus
et la pratique systématique de la coupe en biais qui
exploite toutes les potentialités dynamiques du tissu
pour tendre à la suppression des coutures.
L'exposition
s'ouvre sur la poupée de bois de taille réduite
qui lui sert de support pour créer directement ses modèles
en trois dimensions.
Suivent des modèles intemporels aux lignes épurées
qui déclinent une pureté et une beauté
tous azimuths : quelques couleurs de base, des teintes unies,
jamais d’imprimés, parfois des rehauts de broderies
de perles ou de fils d'or pour accrocher la lumière,
et des matières arachnéennes pour des silhouettes
de rêve.
De la visite se dégage une impression de sérénité
et de beauté irréelles tant les modèles
tendent à des apparitions surgies d'un monde idéal.
Ici, plus que jamais, s'impose la citation des deux vers fameux
de "L'invitation au voyage" de Baudelaire : "Là,
tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté;" |