Dans
tout quartier, comme l'indique Alberto Manguel, écrivain
et essayiste, qui signe un épilogue à ce feuilleton
satirico-humoristique des moeurs politiques contemporaines qu'est
le "Monsieur Kraus et la politique",
troisième opus écrit par Gonçalo
M. Tavares dans le cadre de l'édification de son
"O
Bairro", il faut toujours une vigie.
Une vigie qui décrypte les discours et traque la manipulation
par ce qui caractérise l'homme dans un de ses biens les
plus précieux et uniques, le langage, et qui fait de
lui le seul être vivant capable de mentir au détriment
de l'autre, son semblable, son frère, pour assouvir des
pulsions de domination qui peuvent aller bien au-delà
de la simple gouvernance.
En l'occurrence, cette vigie est le factotum de Karl Kraus,
journaliste, essayiste et écrivain autrichien qui, né
à la fin du 19ème siècle, a pu malheureusement
conforter à l'épreuve de la réalité
historique, la Première guerre mondiale et la montée
du nazisme, le bien-fondé de son analyse sur le langage
comme moyen de dissimuler la barbarie dans le monde moderne
et arme invisible de manipulation des masses.
Gonçalo M. Tavares lui prête sa plume pour dénoncer
et clouer au pilori les divagations politiques de notre temps,
un temps certes plus amène mais qui ne doit pas faire
baisser la garde.
La plume satirique retrouve tout son piquant stylistique et,
d'une part, dresse un bréviaire de la politique politicienne
dans ce qu'elle a, certes, d'intemporel et, d'autre part, un
vademecum visionnaire - le livre a été écrit
en 2005 c'est-à-dire bien avant les dernières
élections présidentielles françaises -
d'événements et de situations qui trouvent leur
illustration dans une actualité récente sans qu'il
y ait lieu de franchir les frontières de l'hexagone.
Les chroniques de Monsieur Kraus tendent, à travers
une série de saynètes, fort drôles et souvent
jubilatoires, mettent en scène le Chef avec un C majuscule,
un chef hyperactif qui aime le changement et qui ne peut tenir
en place et vice versa, et son aréopage du premier cercle,
les Economistes et les Assesseurs aux conseils avisés
("Ce que je veux, c'est tout faire pour le peuple. Tout,
alors chef ne faites rien. ls ne verront pas la différence"),
dans le cadre d'événements ordinaires de la vie
politique que sont notamment les élections, les inaugurations,
les sondages, l'arsenal législatif et les impôts.
La finalité ? Démasquer derrière le discours
le vide de la pensée ("le chef pour qui la carte
la plus authentique du pays c'était son poste de télévision"),
le mépris du peuple ("L'intelligence n'est pas l'outil
adéquat pour comprendre mes discours. C'est au peuple
que je m'adresse") et la manipulation démagogique
par la pratique de prémisses apparemment sensées
et légitimes pour justifier des décisions pour
le moins partisanes ("Il faut tailler dans les dépenses,
celles des autres bien évidemment") ou des supposés
actions engagées pour le bien de la nation.
Ainsi par exemple, projeter de construire deux ponts jumeaux
et n'en bâtir qu'un entraîne l'annonce d'une réduction
de moitié des coûts et prouve que l'on gère
au mieux les deniers de ses concitoyens.
A lire d'urgence pour ne pas prendre des vessies pour des lanternes
et décrypter les stratégies de crétinisation. |