L’orfèvre en pop, ce forgeron de l’or musical qu’est Fredo Viola, s’est présenté au Grand Mix de Tourcoing les mains grandes ouvertes. L’on ne pouvait que se recueillir, doctement, face à la messe musicale de ce mélodiste obstiné, travaillant son œuvre jusqu’au dépouillement.
Ces compositions hors-norme, débarrassées des clichés de la pop, se déploient sur des terrains aussi différents que le classique, l’électronique, les ballades médiévales, ou les hymnes religieux. On a ici affaire à un Brian Wilson moderne, obsédé par la ligne mélodique absolue, mais un Beach Boy sans la folie.
Rien que de l’émotionnel et de l’étrange sur scène. Une présence se recrée à chaque chanson : le groupe invente tout au long du concert de nouvelles modalités musicales, des tonalités singulières dont on peut deviner qu’elles furent le fruit d’une longue maturation, même si l’on peut déceler, ici et là, quelques tentatives d’improvisation.
Des instruments inconnus du public (indiens ? africains ?) s’affirment, prennent de l’ampleur, et apportent aux compositions de Fredo Viola une touche unique. On ne trouve dans cette chorale orchestrée ni Sufjan Stevens, ni Sigur Rós comme on le prétend dans la presse des classifications systématiques – toujours faciles lorsqu’il s’agit d’argumenter, et de justifier une critique.
Et si l’intéressé s’amuse à se situer à mi-chemin entre Kate Bush et Sigur Rós, c’est pour qu’on le laisse tranquille, et qu’il puisse conserver cette liberté de n’être comparé à personne. Pourrions-nous lui reprocher de n’avoir pas suffisamment mis Jean-Sébastien Bach dans sa musique, au profit d’un Radiohead revisité ? (Le contraire reste probable…)
Cet artiste, ancien vidéaste-réalisateur passionné de montages vidéos, intègre à ses folks-songs des éléments visuels. Pas une chanson ne se déroule sans une de ces bizarreries visuelles dont il a le secret, que ce soit l’extravagance d’un instrument tibétain d’apparence futile, quelque posture scénique étrange (par exemple le jeu avec un mystérieux pulvérisateur pour la gorge), l’humour maintenu avec le public, ou une rupture musicale, improvisée pour la circonstance, réalisée avec force clochettes colorées… Rarement on aura vu tant d’attention d’un chanteur manifestée à l’endroit du public. Au final, "The Sad Song" − sa carte maîtresse − conclura brillamment le concert.
La première partie de cette soirée a représenté Joy, groupe de Marc A. Huyghens – ancien leader de la formation belge Vénus. Entouré aujourd’hui de deux femmes, sa compagne Françoise Vidick aux chœurs et aux percussions, et la violoncelliste classique suédoise Anja Naucler, le compositeur bruxellois prolonge avec Joy son propos musical, en l’épurant singulièrement. On retrouve, intact, le timbre de cette voix lyrique et tendue qui avait culminé dans l’album The Red Room (Vénus). Le nouveau trio de Marc A. H. se devait ainsi de reprendre les choses à partir d’une telle hauteur.
Résultat sur scène : une musique plus intimiste, posée, sans aspérités ni inégalités. La voix de Huyghens, auparavant si présente, semble se plier aux exigences du violoncelle. Ce langage cohérent, ce dosage entre instruments, ce nouvel espace musical font aussi regretter l’insolence, la nervosité de Vénus.
En musique, la beauté procède d’abord d’un dérèglement harmonique, d’un déséquilibre dans la structure des morceaux. Il eût été plus beau, sans doute, que ces chansons fussent un peu maltraitées, quitte à ajouter à l’ensemble une dose supplémentaire d’énergie. Mais la puissance émotionnelle que la formation apporte, sa libre respiration, ses moments de grâce nous permettent d’espérer, pour l’avenir, une précision du style, donc du rythme. |