Shakespeare
and slam, d'après William Shakespeare, mise en scène
de Razerka Ben Sadia-Lavant, avec Avec Denis Lavant, Casey,
D’ de Kabal, Marie Payen, Mike Ladd et Doctor L.
"Timon d'Athènes" de Shakespeare à
la Maison de la Poésie. Un texte classique, une salle
agréable qui propose généralement des spectacles
de qualité, a priori on s'attend à passer une
soirée tranquille. Puis on s'aperçoit qu'il s'agit
de slam, Shakespeare en rap et slam; on reste un peu dubitatif.
Parmi les noms des acteurs et slammeurs, on reconnaît
des noms familiers Denis Lavant, Mike Ladd, Docteur L., et l'on
passe d'une certaine crainte à une curiosité certaine.
Sur la scène, sans décor, sont dressés
quelques micros. A l'arrière un canapé, une batterie
et une guitare, des portants sur lesquels des vêtements
accrochés qui descendront des plafonds au début
de la pièce. La scénographie maligne de Clémence
Farrell trouvera vite son sens.
Dans cette pièce, Timon, riche athénien, dépense
sans compter, organise des fêtes fastueuses pour des courtisans
flagorneurs. Bientôt ruiné, ses anciens thuriféraires
lui tournent le dos. Blessé dans son orgueil, il quitte
la ville pour vivre en ermite, misanthrope insociable et solitaire.
Redevenu riche par le fruit du hasard, il armera les troupes
d'un général rebelle décidé à
renverser Athènes.
Denis Lavant entre en scène dans un costume rouge brillant
improbable, s'empare d'un micro et commence à déclamer
le texte de Shakespeare, adapté par Sophie Couronne.
Les différents acteurs changeront maintes fois de vêtements,
tous plus brillants et de mauvais goût les uns que les
autres, et dont on se demande dans quelle fripe Agnès
Falque et Dorothée Lissac ont bien pu aller les dénicher.
Seule Casey, dans le rôle d'Apementus, le philosophe cynique
qui refuse les richesses, restera vêtue de noir tout au
long de la pièce.
La mise en scène de Razerka Ben Sadia-Lavant, sobre,
dans laquelle les protagonistes se débarrassent de leurs
vêtements en les jetant à même le sol relève
d'une très belle idée et souligne ce mépris
de Timon pour l'argent qu'il soit riche ou ruiné.
Les acteurs/slammeurs ont une présence impressionnante.
De la part de Denis Lavant, cela n'étonnera personne,
mais il faut le voir prendre des airs de vieille roulure, de
crooner sur le retour avec son chapeau en peau de zèbre
sur la tête.
Mike Ladd, qui a sorti son premier album en 1997, mais qui
dans une vie précédente a été professeur
de littérature à l'université de Boston,
est le double de Timon. Il reprend les longues tirades, en rap
dans la langue originale du texte. Mike Ladd est aussi à
l'aise devant 5 000 personnes aux Eurockèennes de Belfort
qu'au milieu du public dans des petites salles. Lui qui, lors
de ses concerts moque les attitudes des rappeurs West Coast,,
n'a pas besoin, à la Maison de la Poésie, de forcer
son talent pour aller accrocher le public.
Casey ne se départit jamais d'une moue méprisante,
son accent sied à ravir au texte du philosophe cynique.
Par sa voix profonde et sa stature d'ogre, D' de Kabal incarne
parfaitement un général athénien rebelle,
il fait croire au personnage. Enfin Marie Payen, actrice blonde
a priori fragile, explose complètement et s'impose de
manière étonnante au milieu de toutes ces fortes
personnalités. C'est elle qui au final, par sa présence,
sera la surprise de ce casting.
Il ne faut pas oublier Doctor L., aux ambiances sonores. Musicien
et producteur, il collabore avec Rodolphe Burger de Kat Onoma
("Comme son nom l'indique" en grec, on y revient),
ancien prof de philo. On ne s'étonne donc pas de le trouver
à l'aise au cœur de cette pièce musicale
et littéraire.
Le pari de Razerka Ben Sadia-Lavant de confronter un texte
classique avec un rythme moderne de déclamation est donc
totalement réussi. Autre pari réussi, celui des
acteurs et de la Maison de la Poésie qui consiste à
montrer que le rap et le slam ne consiste pas uniquement, comme
on veut bien nous le faire croire de manière caricaturale,
en des petites phrases provocantes à l'emporte-pièce
ou en des textes qu'on croirait écrit par un collégien
qui redouble sa cinquième.
Tous ces talents conjugués transforment ce texte classique
en un spectacle à la forme novatrice et politiquement
moderne à l'heure du bling-bling. En conclusion, précipitez-vous
pour le voir ! |