Le
Musée d'Orsay accueille une
très attendue exposition organisée en collaboration
avec le Museum of Modern Art de New York
et la Réunion des Musées
Nationaux consacrée au peintre belge "James
Ensor".
Connu du grand public essentiellement comme le peintre des
masques, James Ensor est l'auteur d'une oeuvre polymorphe qui
résiste à toute tentative de classement des historiens
d'art qui, en désespoir de cause, le présentent
comme une figure majeure de l'avant-garde belge de la fin du
19ème siècle anticipé tous les mouvements
modernes. .
Les commissaires de l'exposition, Laurence
Madeline, conservateur au Musée d'Orsay, et Anna
Swinbourne, conservateur au MOMA, ont effectué
une sélection rigoureuse d'oeuvres des années
1880-1895, période la plus créatrice et la plus
représentative d'un peintre hypersensible, persuadé
d'être un génie, dont l'éreintement par
la critique de son temps va exacerber un sentiment de persécution
qui le conduira non seulement à un développer
un processus de martyrisation mais également à
devenir un contempteur satirique de ses contemporains.
Les
oeuvres picturales et graphiques, ainsi que les objets ayant
appartenu à James Ensor qui ponctuent le parcours de
l'exposition font l'objet d'une présentation très
réussie.
La scénographie de Pascal Rodriguez, par une combinaison dynamique de cimaises,
permet de scander judicieusement le parcours circonvutionnaire
de l'exposition organisé en quatre sections thématiques.
Ainsi la première salle induit une perspective en ligne
de fuite qui conduit à la fameuse toile "La mangeuse
d'huitres" refusée au Salon d'Anvers qui constitue
la première d'une longue série d'humiliations
douloureuses et de blessures narcissiques.
L'art-Ensor, un kaléidoscope
stylistique
A travers quatre focus, la modernité, la lumière,
la satire et le culte du moi du peintre au 112 autoportraits,
le propos de l'exposition, "montrer le jeu de rupture et
de continuité perpétuellement pratiqué
par Ensor", permet effectivement une vision synthétique
de la production foisonnante d'un peintre à la personnalité
complexe dont l'hypersensibilité exacerbée constitue
sans doute à la fois la pierre angulaire et la pierre
d'achoppement de son oeuvre.
Né
dans un milieu familial excentrique, fuyant l'Académie
des Beaux Arts de Bruxelles qu'il qualfie de "boîte
à myopes", isolé volontaire dans la maison-magasin
de souvenirs familiale d'Ostende qui est sa tour d'observation
du monde, doté d'un ego surdimensionné, Ensor
est un jeune peintre naturaliste qui pratique le tachisme, style
pratiqué par les artistes réalistes belges.
Sa recherche sur la lumière, qui s'inscrit dans la tradition
de la grande peinture du Nord, est, chez lui, perçue
dans une vision mystique et donne une iconographie religieuse
illuminée et syncrétique du symbolisme et de la
métaphysique.
Avec
ses compositions de halos lumineux, notamment la série
"Visions - Auréoles du Christ ou les sensibilités
de la lumière", il proclame être le découvreur
d'une nouvelle peinture de la lumière : "La forme de la
lumière, les déformations qu'elle fait subir à
la ligne n'ont pas été comprises avant moi".
James Ensor fait également le grand écart entre
l'impressionnisme et l'expressionnisme ("Les terribles
tribulations de Saint Antoine").
1890, James Ensor embrasse la voie de la caricature, de la
satire, du grotesque et du burlesque qui, puisant dans les arts
populaires des fêtes macabres et des carnavals des villes
flamandes, épingle ses ennemis ("Les mauvais médecins",
"Le repas des maigres").
Le carnaval et les masques font également partie de
la tradition familiale.
James
Ensor devient le peintre des masques avec tout ce que représente
le masque en terme de jeu, de travestissement et d'instrument
de diversion de la mort.
Les toiles de cette période aussi ambigues et macabres
que vives sont les couleurs constituent un corpus de chefs d'oeuvre
inégalés ("Les masques scandalisés",
"Ensor aux masques", "Les Masques raillant la
mort", "L’Intrigue").
La dernière section de l'exposition est consacrée
aux autoportraits. Ensor est son propre modèle qu'il
met en scène au terme de variations fantasques, de la
figure christique au viellard en passant par le hareng saur.
Dans son essai sur le peintre et l'image figurant dans le catalogue
de l'exposition, Laurence Madeline procède à une
analyse éloquente : "Du rapin à l'artiste
somptueux, Ensor est un seigneur. De l'artiste somptueux au
hanneton, Ensor est un fou. Du hanneton au Christ, Ensor est
un martyr. Du Christ au hareng saur, Ensor est un symbole. Du
hareng saur au squelette, Ensor est mort. Retour au peintre
somptueux, Ensor est ressuscité. Du ressuscité
au vieillard, Ensor est un peintre perpétuel." |