Tragi-comédie
de Rayhana, mise en scène de Fabian Chappuis, avec Marie
Augereau, Géraldine Azouleos, Paula Brunet Sancho, Linda
Chaïb, Rebecca Finet, Catherine Giron, Maria Laborit, Taïdir
Ouazine et Rayhana.
"A mon âge je me cache
encore pour fumer" transporte le spectateur dans
un lieu intime préservé et zone franche et quasi
sanctuarisée dans lesquels les hommes n'entrent pas,
où se retrouvent chaque semaine les femmes du quartier
tous âges et classes sociales confondus, celui d'un hammam
pour femmes en Algérie, lieu de la sororité et
de la parole libre et échangée.
Ce jour-là, l'hébergement clandestin d'une jeune
fille enceinte hors mariage et les habituelles lamentations
d'une masseuse célibataire qui ne rêve que de mariage,
orientent les discussions sur la condition de la femme algérienne
que l'auteur, Rayhana, aborde dans une approche très
sensible et néanmoins incisive, à partir de l'histoire
de chacune d'elles, à chaque fois singulière et
témoignage de l'évolution, pour lente soit-elle
et difficultueuse, qui est en marche.
L'évocation des souvenirs, des rêves, des joies,
de la souffrance aussi, et des espoirs de ces femmes, confirme,
si besoin était, de la prééminence du paramètre
essentiel qu'est l'indépendance économique lié
à l'état du droit des femmes qui se trouve altéré
dans un pays à la situation économique difficile
et battu en brèche par le poids de la tradition et du
religieux notamment dans ce qui doit relever de la sphère
laïque.
Les non-dits, les phrases suspendues, la belle langue de ces
femmes qui malgré leurs divergences de point de vue ont
toutes en commun une grande lucidité et d'avoir pu sauvegarder
un espace de liberté dans un carcan de contraintes, sont
écrits de manière non seulement intelligente mais
également très vivante et souvent drôle
avec cet humour qui permet de désamorcer tout ressentiment
négatif et improductif.
Ainsi assiste-t-on à une fresque socio-historique de
la condition de la femme dans l'Algérie moderne doublée
d'une amusante chronique de quartier. Toutefois, ce spectacle
au format long connaît à son deux tiers temps une
rupture presque de ton, quand certains personnages s'écartent
de leur vécu au profit d'un discours politique plus frontal
qui s'avère nettement moins percutant et pour le moins
redondant avec l'écriture subtile qui précède.
Cela étant, la direction d'acteurs de Fabian Chappuis
est irréprochable tout comme sa scénographie épurée,
limitée à un banc de carrelage grège sans
aucun décorum folklorique et les comédiennes,
chacune précise et investie dans son registre, toutes
éblouissantes de justesse et d'humanité dans ce
chant choral en forme d'hymne à la femme opprimée
qui n'a jamais dit son dernier mot.
Aux côtés de Rayhana qui joue le rôle épisodique
de la jeune fille enceinte, Marie Augereau
est bouleversante de douleur réprimée et de dignité
dans celui de la masseuse dotée d'un époux violent
et d'une nombreuse marmaille, Maria Laborit, impériale
en femme de bonne famille, Taïdir Ouazine
expressive en institutrice progressiste qui se sent obligée
de porter le voile par opportunisme social, Géraldine
Azouleos troublante en prosélyte musulmane, Rebecca
Finet, pétulante en jeune femme divorcée
décidée à suivre des études, Catherine
Giron, touchante en femme mariée à 10 ans qui
épaule sa fille pour que son histoire ne se répète
pas, Paula Brunet Sancho irrésistible
en immigrée en France qui redécouvre la chaleur
du hammam et Linda Chaib délicieuse
fleur bleue qui se réfugie dans des rêves de midinette
pour échapper à la réalité. |