Spontanée, juvénile,
d’une intelligence vive, Carlotta Clerici, membre du quator
fondateur de la Compagnie du théâtre vivant, est auteur
et metteur en scène. De Milan à Paris, toute son énergie
est tournée vers le théâtre, le théâtre
vivant qui n'existe que par la rencontre éphémère
et magique, lors de la représentation théâtrale,
entre l'auteur, le metteur en scène, l'acteur et le spectateur.
Elle nous parle de sa passion, de ses convictions et de ses projets.
Comment êtes-vous venue au théâtre
?
Carlotta Clerici : C’est une passion qui date
de l’enfance, depuis que j’ai vu des spectacles. J’organisais
des spectacles à l’école. Ensuite j’ai
choisi la filière Histoire du théâtre à
la Faculté de lettres de Milan et puis j’ai très
vite commencé, dès l’âge de 20 ans, à
travailler comme assistante à la mise en scène en
Italie car l’université ne me suffisait pas. J’avais
besoin d’un contact concret avec le plateau. Cela n’a
fait qu’accroître cette passion.
Il m’a fallu pas mal de temps pour m’avouer
que ce que je voulais faire était plus sur le plateau que
du côté de la critique. Car j’avais fait une
maîtrise, un DEA et j’ai travaillé comme critique.
J’ai même failli faire une thèse mais le jour
de l’inscription au doctorat je me suis arrêtée
devant la porte de l’université et je suis rentrée
à la maison. Je me suis dit : "Non !". Dès
lors j’ai orienté toutes mes énergies sur l’assistanat,
la mise en scène puis l’écriture.
Quel était le sujet de la thèse ?
Carlotta Clerici : Le théâtre italien
de l’après guerre. Sur la réécriture
de la tragédie en particulier.
Vous avez dit stop parce que vous vous trouviez
dans un cursus trop théorique ?
Carlotta Clerici : Oui. C’est très intéressant
également mais j’en avais pris l’essentiel et
j’éprouvais le besoin de passer à autre chose.
Votre parcours est un peu atypique. D’ordinaire,
les gens font du théâtre et théorisent ensuite.
Vous avez fait le parcours inverse. Quel a été l’apport
de cette approche livresque ?
Carlotta Clerici : Oui, c’est vrai. L’apport
existe certainement mais c’est plutôt de façon
inconsciente que j’ai assimilé. Car j’ai l’impression
d’avoir beaucoup plus appris sur le terrain, grâce aux
assistanats notamment, et là je fais une parenthèse
pour dire que le metteur en scène qui m’a le plus apporté
est Jean Luc Jeener qui m’a appris énormément
sur la direction d’acteur. Cela dit je pense quand même
avoir un peu assimilé l’histoire du théâtre
à travers l’étude critique et la lecture. Tout
cela crée de bonnes bases. Mais je n’y pense pas et
j’ai un rapport très direct, artisanal avec la pratique
théâtrale, pas du tout intellectuelle. Mais c’est
quand même présent, quelque part.
Vous n’avez jamais eu envie d’être
actrice ?
Carlotta Clerici : Non, jamais. Par moment, un peu,
mais jamais suffisamment pour faire l’effort que cela demande.
J’ai fait des stages de comédie mais toujours dans
la perspective de la direction d’acteur pour voir comment
cela se passe à l’intérieur de l’acteur
quand on donne une indication. Et même les stages ne m’ont
pas donné envie d’être acteur.
Milan-Paris c’est un hasard ?
Carlotta Clerici : Je suis venue à Paris par
hasard et pour y rester très peu, en touriste.
Et la rencontre avec Jeener ?
Carlotta Clerici : Cette rencontre a eu lieu par l’intermédiaire
d’une amie. Je travaillais déjà comme assistante
; je n’avais jamais fait de mise en scène mais j’avais
dirigé des lectures. Une amie comédienne avait présenté
un projet au théâtre du Nord Ouest pendant la saison
Tchekov qui a été accepté. Elle avait besoin
d’un metteur en scène et me l’a proposé.
Durant cette saison j’ai vu La cerisaie montée par
Jeener et Oncle Vania à la sortie duquel je suis allée
dans son bureau et je lui ai dit que je voulais être son assistante
parce que c’était un chef d’œuvre.
Et il a accepté ?
Carlotta Clerici : Oui. Et il s’agit d’une
rencontre fortuite mais fondamentale.
Que vous a apporté Jean Luc Jeener ?
Carlotta Clerici : L’apport essentiel concerne
le travail avec le comédien, l’analyse de la psychologie
du personnage et de la psychologie de l’acteur, la capacité
de gérer l’ensemble et de faire que progressivement
les deux s’imbriquent avec une sensibilité et une intelligence
de l’analyse de l’âme humaine rares. Et puis,
il m’a donné aussi des éléments techniques
pour réaliser ce travail. Ce qui correspondait totalement
à ce que je voulais faire et que j’essayais déjà
de faire. Ça m’a donc beaucoup aidé. J’ai
travaillé bien sûr avec d’autres metteurs en
scène et chaque expérience est riche d’enseignements.
Le discours de Jean Luc Jeener est très singulier.
Carlotta Clerici : Je n’adhère pas à
son discours dans toute sa globalité. Ce qui explique aussi
pourquoi nous avons crée la compagnie du Théâtre
Vivant.
Quelle est la genèse de cette compagnie dans
le discours duquel on perçoit la filiation avec le discours
de Jean Luc Jeener ?
Carlotta Clerici : Je n’utiliserais pas le terme
de filiation. Ce mot a peut être un sens pour moi et pour
Anne Coutureau. Anne Coutureau a beaucoup travaillé comme
comédienne avec Jeener dont elle a joué tous les premier
rôles ces dernières années. En revanche, cela
ne peut pas s’appliquer à Mitchell Hooper et Yvan Garouel
car ils avaient déjà un parcours bien consolidé
avant de rencontrer Jeener. Mais nous avons bien évidemment
des choses en commun.
L’idée de créer le théâtre
vivant est née autour d’un spectacle, qui était
"L’amour existe" écrit et mis en scène
par Mitch dans lequel jouaient Yvan et Anne, joué au théâtre
du Nord Ouest pour la saison consacrée à la confusion
des sens il y a 4 ans. Ce spectacle était extraordinaire,
parfait. J’avais été frappée par le spectacle
et par la note de mise en scène de Mitch sur sa conception
de la mise en scène structurée. En substance, elle
disait que le spectacle déstructuré veut témoigner
du chaos du monde mais tout le monde en est aujourd’hui conscient.
Or il ne suffit plus d’en témoigner, il faut y résister
en apportant de la structure, en apportant du sens.
Et je me suis reconnue dans ce discours. Je trouvais
les mots qui correspondaient à ce que je voulais faire. Mitch
et Yvan se connaissaient et Anne c’était une rencontre.
Nous nous sommes tellement bien entendu, nous avions tellement de
points en commun, d’énergies et une telle envie de
défendre une forme de théâtre qui n’est
pas à la mode que nous avons décidé de conjuguer
nos forces.
La compagnie a été créée
il y a deux ans ?
Carlotta Clerici : Les statuts de l’association
datent de fin 2002 mais la compagnie existait depuis un an déjà.
Quel est l’apport, même s’il est
encore un peu tôt pour le savoir, de ce regroupement d’individualités
au sein d’une entité juridique qui a également
un site web ?
Carlotta Clerici : Oui. Il n’y a rien de concret
pour le moment mais les gens réagissent. Il y a un intérêt
qui se manifeste. Nous ne sommes plus chacun créateur d’un
spectacle isolé mais créateurs au sein d’un
projet qui est plus important. Ce qui élimine tout le côté
hasardeux. J’ai le sentiment que les gens sont intrigués,
intéressés par ça.
Vous pensez que l’union fait la force et que
le nombre joue en faveur de la crédibilité et de l’intérêt
du projet ?
Carlotta Clerici : Et puis on se sent moins seul ce
qui est important dans ce métier où il est difficile
de monter un projet. Cela nous permet de réfléchir
davantage sur ce que l’on fait. A quatre nous avons des débats
animés qui font avancer les choses. Nous devenons un petit
mouvement. Le plus importants restent bien sûr nos spectacles
mais les gens réagissent à nos réflexions car
c’est un projet à long terme qui ne se limite pas à
une création.
La Compagnie du Théâtre Vivant constitue-t-elle
une sorte d’interface avec les professionnels, les critiques,
le public qui projette une image différente de celle d’un
créateur seul ?
Carlotta Clerici : Oui. Et la compagnie se bat pour
défendre ce genre de théâtre.
Pour le moment, vous êtes 4 membres fondateurs.
Y a-t-il d’autres personnes qui se manifestent pour vous rejoindre
et quelle est votre volonté d’ouverture ?
Carlotta Clerici : Nous souhaitons bien sûr
que d’autres personnes nous suivent dans notre démarche.
Mais nous resterons sans doute que 4 à la tête car
déjà à 4 avec les mêmes idées,
le même parcours, la même sensibilité artistique
il est difficile de parvenir à un accord. Plus c’est
impossible. Mais nous souhaitons travailler avec ceux qui partagent
nos idées. Dans ce cas, ils nous rejoindraient mais avec
un statut différent. Ce seraient des membres associés
ou adhérents.
Pourraient-ils monter des spectacles estampillé
Théâtre Vivant ?
Carlotta Clerici : Nous nous sommes posés la
question. Mais pour l’instant, nous n’en sommes pas
là. Pour la mise en scène, cela me paraît difficile.
L’association concernerait plutôt les comédiens.
Vous dîtes : "On peut faire du théâtre
pour 2 raisons : pour leur faire oublier les soucis contingents
ou pour les aider à réfléchir sur la condition
humaine". Pensez-vous vraiment qu’il n’existe que
cette alternative ?
Carlotta Clerici : C’est schématique.
C’est un peu l’inconvénient à chaque fois
que l’on théorise et qu’on essaie d’être
clair. Toujours en schématisant, cette dualité correspond
un peu à la situation du théâtre en France où
théâtre privé et théâtre subventionné
sont plus que séparés. Il n’y a pas de communication
entre eux, entre le théâtre de divertissement et le
théâtre de recherche. Je pense que des connexions peuvent
exister entre les deux. La priorité du théâtre
vivant est la recherche de sens mais ce que nous faisons est très
accessible. C’est un théâtre qui va vers les
gens. Le principe de l’identification signifie parler aux
gens, les impliquer dans le spectacle. Il n’y a pas de côté
divertissement mais il demeure un aspect de plaisir.
Dans le théâtre subventionné recherche
devient souvent le synonyme de recherche formelle, intellectuelle
inaccessible et il faut disposer d’instruments qui ne sont
pas à la portée de tout le monde pour comprendre un
spectacle où parfois il n’y a rien à comprendre.
Nous, nous tenons compte du public mais en même temps nous
ne faisons pas de concessions.
C’est même pire que cela. Vous faites
un théâtre sans concessions mais qui est aussi très
exigeant. Il faut l’auteur, le metteur en scène, l’acteur
et aussi le spectateur qui participent tous au spectacle. Le jour
de la représentation, tous ces intervenants doivent être
en état pour qu’il se passe quelque chose .
Carlotta Clerici : Oui. Ce qui arrive quand même
assez souvent. Et en tous cas, ce qui arrive presque toujours sur
une partie du spectacle, peut être pas sur la totalité.
Et c’est le risque de ce théâtre. Il y a une
fragilité évidente. Un théâtre qui se
base sur des codes formels, un comédien qui joue de manière
technique sur des codes formels peut faire tous le soirs la même
chose. S’il est bon, ce sera impeccable. Un comédien
qui joue avec ce qu’il a à l’intérieur
de lui n’est pas tous les soirs semblable. Il l’est
un peu plus, un peu moins et quelquefois malheureusement, et c’est
rare, pas du tout.
Nous demandons beaucoup au spectateur car il conditionne
énormément le déroulement du spectacle et on
le sent. On joue vraiment avec lui. Mais je sais par expérience
qu’il se prend souvent au jeu. Il y a quelque chose de magnifique
au théâtre : un être humain à quelques
centimètres dans lequel on peut se reconnaître si on
ne met pas de barrière, de convention, de code.
C’est merveilleux de se reconnaître en
lui et l’identification ne peut pas fonctionner aussi bien
dans un art autre que le théâtre. Cela ne peut se passer
qu’au théâtre parce qu’il y a un homme
en chair et en os. Il est vivant. Il faut donc laisser ce vivant.
Or le théâtre aujourd’hui tend à enlever
ce vivant pour réduire l’acteur à une marionnette,
à un porte-parole.
Pour l’auteur, vous indiquez qu’il est
investi d’une mission. Il doit être simultanément
un témoin éclairé, capable de capter et de
décrire ce qui l’entoure, et un démiurge, capable
d’insuffler de la vie. Comment cela fonctionne-t-il chez vous
qui êtes auteur dramatique ?
Carlotta Clerici : Je pense que lorsqu’on crée
un personnage, on le construit à partir d’éléments
réels, des gens que l’on connaît et de son vécu
personnel. Si on essaie vraiment de créer un être humain
en creusant dans l’âme et la psychologie humaine, il
arrive un moment où le personnage prend son autonomie. Un
personnage bien construit vous échappe à un moment
de l’action en faisant quelque chose que l’auteur n’a
pas prévu. La partie la plus intéressante est ce qui
nous échappe. Et cela est valable dans l’écriture
comme dans la mise en scène. Et cela a un rapport avec l’inconscient.
Forcément. Et là, on apprend des choses sur nous-mêmes.
Nous n’écrivons pas ni ne faisons de
la mise en scène pour dire ce qu’on sait déjà
– pour cela il y a les essais et d’autres formes –
mais pour révéler quelque chose que l’on ne
sait pas. Le travail artistique va à la découverte.
Et encore plus avec la mise en scène parce qu’il n’y
a pas que l'inconscient de l’auteur et du metteur en scène.
Il y a aussi celui des comédiens. Et tout cela est d’une
richesse infinie. Et produit des découvertes insoupçonnées
et insoupçonnables, mystérieuses et miraculeuses.
Quand le travail de mise en scène est achevé,
le personnage créé au départ par l’auteur
s’est métamorphosé.
Carlotta Clerici : Sur scène, le personnage
s’est enrichi. On part d’un personnage qui dans la tête
de l’auteur ou sur le papier n’est pas encore vivant.
Alors que sur scène, ce personnage est vivant.
Mais correspond-il à celui du papier ?
Carlotta Clerici : Le personnage vivant est construit
sur le socle du personnage papier. Les traits fondamentaux demeurent.
Mais l’apport du metteur en scène et du comédien
crée une alchimie d’où naît une créature
vivante qui est différente du personnage papier, du personnage
insufflé par le metteur en scène et qui n’est
pas l’individu comédien. Interprété par
un autre comédien, le personnage sera différent même
s’il existe des constantes.
C’est également le cas dans le développement
d’une histoire. Car quand je fais une mise en scène,
j’ai une idée, j’ai une lecture de la pièce,
une direction. Mais ensuite il y a des chemins de traverse au cours
du travail avec les autres. Il faut garder une cohérence
profonde dans cette ligne directrice mais en ne se fermant jamais.
Vous ne vous obligez pas à suivre un style
d’écriture ou de mise en scène.
Carlotta Clerici : Nous n’avons pas de règles
mais nous avons un intérêt profond pour l’être
humain et nous avons envie de l’ouvrir, de voir ce qu’il
recèle. Nous aimons l’être humain et c’est
notre seule règle. L’humain doit toujours prévaloir
sur l’idéologie. Nous n’avons pas d’idées
préconçues. Mais cependant il y a une histoire. Ainsi
j’imagine une histoire et à la fin j’en découvre
une autre.
Et l’écriture d’un roman vous
tente ?
Carlotta Clerici : Oui. J’ai envie. J’ai
une histoire que j’ai envie de raconter et pour laquelle je
ne vois pas comment l’écrire pour le théâtre.
Mais si vous procédez par voie romancée,
il n’y aura pas cette transmutation du personnage par le comédien
Carlotta Clerici : Et oui. Et c’est dommage.
Donc une partie du personnage ne sera pas révélée…
…c’est comme un classeur et vous préférez
y mettre des feuilles…
Carlotta Clerici : Oui, c’est vrai. Je n’arrive
pas à me décider car je sortirai un peu de mon élément.
Mais peut être arriverai-je à trouver une idée
pour raconter cette histoire sur scène. C’est ce que
j’attends encore. C’est une question de contraintes
générées par la scène.
"La Mission" ne se joue plus actuellement.
Y a-t-il des projets pour une reprise ?
Carlotta Clerici : Non pas pour le moment même
si je le souhaite bien sûr. Le soir de la dernière
je me disais : Non ce n’est pas une vraie dernière.
Nous l’avons reprises deux saisons au théâtre
du Nord-Ouest et cette année à l’Aktéon.
En revanche, j’ai un projet pour mon nouveau texte" L’envol"
qui sera créé dans un an au Vingtième théâtre.
Pour le moment, toute ma vie y est consacrée.
Avez-vous d’autres textes écrits ?
Carlotta Clerici : Non. J’écris depuis
très longtemps et j’ai fait de nombreuses tentatives
mais le premier texte abouti est La mission et le deuxième
L’envol.
Si quelqu’un souhaitait mettre en scène
et jouer La mission, quelle serait votre réaction ?
Carlotta Clerici : Je serais ravie. Maintenant que
le spectacle a été créé, oui. Car j’avais
envie que cette pièce soit créée dans une certaine
direction. Siun de mes trois camarades de la Compagnie du Théâtre
Vivant m’avait proposé de la monter à ma place,
j’aurais accepté. Maintenant, le spectacle a existé
tel que je le voulais et je serais très contente que quelqu’un
d’autre le fasse. L’année dernière, il
y a une troupe amateur qui l’a jouée mais je n’en
ai pas été prévenue. Vraiment, je serais ravie
même si elle est montée dans un autre style. Je ne
pense pas que ce serait une bonne idée mais je suis quand
même curieuse.
Maintenant que vous avez donné vie à
votre texte, vous n’irez peut être pas plus loin sur
ce texte…
Carlotta Clerici : …exactement, moi je ne peux
pas…
…donc maintenant il peut vivre sa vie en dehors
de vous….
Carlotta Clerici : …oui. Par exemple, pour L’envol
je ne veux absolument pas que quelqu’un d’autre la monte
avant mars 2005 ! Je veux que ce soit d’abord mon spectacle
!
Votre texte est un peu comme votre enfant que vous
mettez au monde et que vous gardez jalousement tant qu’il
n’est pas en âge d’évoluer seul. Ensuite,
vous avez d’autres projets.
Carlotta Clerici : Oui.
Et avez-vous des projets pour faire la mise en scène
d’autres auteurs classiques ou contemporains ?
Carlotta Clerici : Malheureusement pas dans l’immédiat
parce que j’ai trop de travail d’ici L’envol.
Mais cela me manque un peu.
Et vous avez quelques idées à ce propos
?
Carlotta Clerici : J’ai quelques idées
et des auteurs que j’aime mais je sais que je ne peux rien
mettre en œuvre dans l’immédiat. Mais ça
me manque de travailler sur le texte de quelqu’un d’autre.
C’est un travail différent et très intéressant.
J’ai monté" Théâtre", la pièce
de Jean-Luc Jeener, l’année dernière et j’arrivais
vierge devant ce texte que je n’avais pas écrit. Ce
que je dis sur le fait d’avoir une direction et puis d’explorer
plusieurs pistes prend encore davantage d’acuité sur
un texte dont je ne suis pas l’auteur. Car pour La mission
que j’ai monté juste avant je savais où j’allais.
Je le savais d’ailleurs peut être un peu trop même
si j’essayais de faire abstraction de moi en tant qu’auteur.
Avec Théâtre, je découvrais un terrain nouveau
et inconnu et c’était passionnant de l’explorer.
Il y avait même des choses que je n’avais pas comprises
avant de commencer le travail et que j’appréhendais
après les répétitions.
Y a-t-il des points communs entre La Mission et
Théâtre?
Carlotta Clerici : Théâtre et La mission
sont deux pièces sur le théâtre dans le théâtre
et qui de manière très différente pose une
réflexion sur le rôle de l’artiste dans la société
et le sens de l’art dans notre vie. Dans La Mission cela va
un peu au-delà car cela va jusqu’au questionnement
de l’agir pour l’homme dans son quotidien. Dans Théâtre,
cela reste circonscrit au théâtre.
Théâtre est de nouveau programmée
au théâtre du Nord-Ouest. Avec la même distribution
?
Carlotta Clerici : Oui avec les mêmes comédiens.
Avez-vous revu la mise en scène ou n’y
a-t-il eu qu’un recadrage ?
Carlotta Clerici : Non, nous allons juste faire un
filage ou deux. Par exemple pour La mission, j’avais fait
quelques adaptations pour tenir compte de la distribution un peu
modifiée et surtout du nouveau lieu car le rapport avec l’espace
était tout à fait différent. Ce qui est d’autant
plus important pour quelqu’un qui tient beaucoup au rapport
entre le public et les comédiens.
Au Nord-Ouest, dans la petite salle, le public
entourait les acteurs alors qu’à l’Aktéon,
qui est une toute petite salle, le public était au centre
de la salle et les acteurs jouaient autour de lui. Il y avait encore
moins de distance qu’au Nord-Ouest. Le spectateur était
dans le spectacle.
Jean-Luc Jeener fait partie de la distribution de
Théâtre. Le diriger était difficile ? Vous sentiez-vous
observée ou avez-vous totalement pris votre autonomie ?
Carlotta Clerici : J’y suis parvenue au bout
de deux répétitions. J’ai eu très peur.
Lui a été formidable, doublement formidable car il
s’agissait de plus de son texte. Et il avait visiblement une
idée qui n’était pas la mienne et cela doit
être très difficile pour un auteur d’accepter
cela et de suivre des indications qui vont dans une autre direction.
Mais il m’a vraiment beaucoup aidée.
Il ne jetait pas un œil sur l’ex-assistante
?
Carlotta Clerici : Non. J’ai eu peur avant la
première répétition. J’étais terrorisée.
Et puis je me suis dit que si on voulait faire un bon spectacle
il fallait oublier ça.
Entre la Compagnie du théâtre vivant
et le théâtre du Nord-Ouest il n’existe pas de
lien autre que le fait que ce dernier peut vous accueillir…
Carlotta Clerici : …et que nous avons beaucoup
d’éléments en commun. L’idée du
théâtre de l’incarnation de Jean-Luc Jeener est
un peu la nôtre aussi.
Vous avez également dit que vous aviez des
points de divergence. S’agit-il de points fondamentaux ou
de points de détail ?
Carlotta Clerici : Les grandes différences
se présentent au niveau idéologique. Nous n’avons
pas le même rapport au christianisme, ou nous l’avons
de manière différente. Jean-Luc Jeener a une grande
conviction religieuse, une foi chrétienne alors que nous
sommes plus en quête de sens et nous ne savons pas où
le trouver. Je pense qu’il a plus de choses à transmettre
et nous plus de choses à chercher. Donc la démarche
est différente dans le travail.
Jean-Luc Jeener et Yvan Garouel ont fait la même
réponse à une question que je leur ai posée.
Je leur demandais si, en raison de leurs exigences et de leur non
compromission, ils se croyaient investis d’une mission. Je
vous pose donc à votre tour cette question.
Carlotta Clerici : J’ai envie de dire oui mais
je ne veux pas que cela paraisse prétentieux. Je pense que
quand on sait faire quelque chose dans la vie, on a le devoir de
le faire totalement. On a la chance inouie de faire un métier
artistique qui peut apporter énormément aux gens.
Le théâtre que nous faisons nous permet de révéler
des choses sur nous-mêmes. Il peut surtout, et ça je
l’espère, nous mettre dans la peau des autres, à
voir l’autre comme un autre soi. Donc oui, c’est une
mission mais je n’aime pas trop le mot…mais il faut
peut être avoir le courage d’assumer ce mot …
Peut-on dire qu’il s’agit d’une
mission au sens où vous vous sentez investie d’une
capacité à transmettre quelque chose ?
Carlotta Clerici : Pas vraiment. Je ne pense pas être
dépositaire d’un savoir. Je n’ai pas de leçons
à donner. Mais je sais faire un travail qui peut, et je l’espère,
apporter énormément à moi et aux autres.
Que pensez-vous de la politique culturelle française
en matière théâtrale ?
Carlotta Clerici : Elle n’est pas bien. Je pense
que cela est dû aussi à une fracture entre les gens
qui décident et les gens du métier. Et en plus, je
sais de quoi je parle parce que j’ai travaillé au sein
de l’université. Il n’y a pas de connexion avec
la scène. Il y a une méconnaissance totale du travail
de mise en scène, du travail du comédien. Il y a la
théorie et la pratique de l’autre. Pourquoi cette quête
de nouvelles formes, qui sont d’ailleurs les bénéficiaires
des subventions ? La recherche est toujours formelle.
Alors que nous, nous faisons une recherche axée
essentiellement sur le fond, sur le contenu. Ce qui ne veut pas
dire que nous n’avons pas de forme. Mais notre forme est effacée,
ce n’est pas ce que nous mettons an avant. Pour ceux qui n’en
connaissent pas le mécanisme, notre travail de mise en scène
est invisible. Volontairement, nous ne voulons pas que le travail
du metteur en scène se voit. Notre but est de travailler
avec l’acteur pour arriver à construire un personnage.
Et cela est le fruit d’un travail énorme qui s’effectue
sur de nombreux mois.
Mais cela ne se voit pas. Alors que les nouvelles
formes, un bel écran sur la scène plus des acrobates
nus et une voiture qui tombe des cintres se voient d’où
une quête de la nouvelle forme du 21ème siècle.
Et quelle est la situation du théâtre
en Italie ?
Carlotta Clerici : Elle est pire qu’en
France car il y a beaucoup moins d’argent et très peu
de subventions. Ceux qui sont subventionnés, et c’est
ce qui risque d’arriver en France, ce sont les grandes structures
ce qui ne laisse aucune place à la création pour les
petites compagnies. Or c’est d’elles que peut naître
la nouveauté alors qu’on ne subventionne que la culture
institutionnelle. |