Comédie
dramatique de Henri-Frédéric Blanc, mise en scène
de Ludovic Laroche, avec Pierre-Michel Dudan, Ludovic Laroche
et Karine Poitevin.
A ne pas rater en ce début d'année comme cadeau
d'étrennes pour bien augurer de la rentrée théatrâle
de janvier, présentée au Théâtre
Les Déchargeurs, "Nuit gravement au salut",
la dernière création en date de la Compagnie La
Sentinelle, à partir du roman éponyme de Henri-Frédéric
Blanc qui se révèle, sur tous les plans, une bien
belle pépite.
En osant une comparaison potagère, cette comédie
piquante et hilarante ressortit à la famille des alliaceaes
En effet, tel un oignon, le texte comporte plusieurs niveaux
de lecture que l'adaptation et la mise en scène de Ludovic
Laroche a le mérite de laisser affleurer sans les imposer
ostensiblement de manière à laisser le choix au
spectateur.
Car, avec une langue extrêmement drôle et un humour
souvent noir mais habilement présenté, si elle
comporte une ineffable étude de moeurs, elle se double
d'une comédie burlesque et d'une réflexion philosophico-mystique
à partir d'une situation extrêmement ordinaire.
Un homme, une femme. Un repas d'affaires entre un éditeur
et une romancière. Il est cynique, mufle et graveleux,
sans scrupules. Elle est jolie, et elle le sait, imbue d'un
petit succès d'estime avec un premier roman et d'une
présomption d'œuvrer en littérature. Il a
réussi à la force du poignet et fait son beurre
avec des publications bas de gamme grand public et nivellement
par le bas à l'image de la culture de masse et la section
littérature est pour lui une danseuse pour laquelle il
veut se payer sur la bête, ce qui en l'occurrence est
d'autant plus prometteur de jouissance s'agissant d'une auteure.
Elle se pique d'honnêteté intellectuelle mais use
bien de ses féminins atouts et a besoin d'argent.
Voilà pour l'intrigue qui ressortit à la fois
du classique et ludique jeu du chat et de la souris, dans lequel
les rôles sont interchangeables, et du bras de fer entre
abus de pouvoir et petits arrangements entre turpides qui bénéficie
de dialogues savoureux et d'une dramaturgie soigneusement élaborée.
En effet, les assauts des deux protagonistes adoptent un rythme
de salves successives, qui comme en matière militaire
permet à chacun non seulement de recharger ses batteries
mais également de modifier sa stratégie, et donc
de faire judicieusement évoluer le propos et de dérouter
le spectateur sur un dénouement qu'il ne peut s'empêcher
de vouloir anticiper, en raison de l'intervention d'un troisième
personnage, le serveur, qui, n'est pas simplement là
pour servir la soupe.
Si, ici, elle n'est pas inattendue, elle va bien au-delà
du zèle ancillaire. Car, en effet, elle ne revêt
pas des allures de figuration, à de se demander, rétrospectivement,
s'il ne s'agit pas du rôle principal du point de vue de
l'auteur, un auteur particulièrement machiavélique
et habile pour qui Dieu n'est pas un fumeur de havanes mais
un maître d'hôtel particulièrement fine gueule
dont le comédien-baryton à la voix de stentor
Pierre-Michel Dudan fait une composition ébouriffante.
Doté d'un don aigu de l’observation à la
manière d'un facétieux ethologue et du sens de
la formule, Henri-Frédéric Blanc a trempé
son stylo dans un cocktail détonnant de drôlerie
et de causticité et régale de son écriture
assassine qui est bien portée à la scène
par la prestation sans faute des comédiens.
Ludovic Laroche est irrésistible
en vrai faux maître de jeu qui lui offre un rôle
en or pour un florilège de sentiments et de postures.
En face, dans le ring, Karine Poitevin,
resplendissante de beauté sensuelle dont le décolleté
généreux a été retenu comme visuel
du spectacle, joue parfaitement des vrais atouts et des fausses
faiblesses de la gent féminine avec un art consommé
de la rouerie qui en fait, finalement, un bel adversaire. |