Le groupe de Laura Veirs, The Hall Of Flames, inclut également Old Believers et Cataldo, les deux premières parties de la soirée – parties assez équivalentes, folk attendu, sans surprises, interprétées chacune par un seul chanteur, qui sera plus effacé au sein du groupe central. Je ne vois donc pas l’intérêt de m’attarder sur cette introduction : écrire un paragraphe supplémentaire sur l’ennui, le retour à la country comme symptôme de paresse, n’apportera rien à la compréhension de la soirée. Parlons directement de la formation complète de Veirs.
J’avais commencé à écouter Carbon Glacier (2003) de Laura Veirs quelques temps avant ce concert, parce que Dominique A l’avait retenu comme un des dix meilleurs albums de cette décennie. J’accorde beaucoup d’importance à ces classements quand ils sont effectués par des artistes qui me touchent.
L’écoute de Carbon Glacier a effectivement confirmé le choix du chanteur français, et il me fallait comprendre la raison de cet engouement. Lorsqu’un disque m’intrigue, je m’y installe durablement – la musique inventant un espace où l’on aime se perdre ; un espace et un temps bien particuliers que l’on ne perçoit pas immédiatement. Il faut plusieurs écoutes pour découvrir ce qui reste plié dans le noyau d’une œuvre : je parle des fissures, des failles, des points d’ancrage d’où l’énigme jaillit.
Ce que Laura Veirs invente dans cet album, son troisième (je ne parlerai pas des six autres que je ne connais pas), n’est pas un simple folk, ni de banales chansons évoquant la nature : il s’agit plutôt d’un bousculement, masqué au premier abord par l’austérité des chansons. On ne se remet pas de titres comme "Salvage A Smile", "Riptide", ou "Snow Camping".
Malgré son apparente simplicité, procédant du dépouillement de la musique, Carbon Glacier révèle différentes strates musicales, des profondeurs mouvantes qui tour à tour donnent le vertige, et une étrange quiétude. Une dynamique se recrée à chaque occurrence, contribuant au caractère inépuisable de l’album.
Sur la scène de l’Aéronef, ces chansons apparaissent dans une grande clarté, sans fioritures ni obscurité pour les alourdir.
Leur élégance se double d’une intensité dont la mélancolie serait une déclinaison. Leur intensité procure un trouble dont on parvient difficilement à comprendre l’origine.
En réalité quelque chose d’autre m’intriguait fortement : la grossesse de la chanteuse. Septième mois, nous confirme l’intéressée au milieu du concert, sept mois et la tournée est loin d’être terminée... J’ai compris alors ce que pouvait représenter la musique pour elle : une respiration, un besoin vital dont la force vivante serait identique à cette faculté de donner la vie à un être. Si la musique n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, elle peut provoquer une réaction en chaîne, dont le mouvement implique la vie.
Pour Laura Veirs, la poésie se résoud dans le domaine de ce qui n’appartient pas aux mots. Sa musique répond à la présence du corps. Laura Veirs serait-elle la grande sœur dont on rêvait, celle par qui l’intimité s’exprime ? Sœur aussi sévère qui en appelle aux armes, pas à la façon de Shannon Wright, non, plutôt selon la même discrétion que Cat Power ? Sans doute, mais cet élément ne se sépare pas d’un certain attachement à l’enfance, dont la volonté de liberté signifie la règle. Une phrase de René Char, profession de foi s’il en est, me semble résumer le parcours de la chanteuse : "Je ne puis être et ne veux vivre que dans l’espace et dans la liberté de mon amour". Pensée irréfutable que toute une vie ne suffira pas à épuiser.
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