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Interview  (Paris)  lundi 4 janvier 2010

A l'occasion de la sortie de son album To All The Ladies In The Place, With Style & Grace, nous avons rencontré la charmante Milkymee qui nous a accordé un peu de son temps entre France et Suède pour parler de ce disque, de ses influences, de cinéma et de cuisine…

Commençons par parler de ton éducation musicale.

Je n’ai jamais appris la musique étant jeune, mise à part les cours de musique que j’ai pu avoir à l’école. J’ai commencé sur le tard à jouer de la guitare, vers 17 ans, mais sans but précis. J’avais commencé à écouter pas mal de musique vers 14-15 ans. C’était les années 90, j’étais assez à fond sur les trucs grunge, Pavement, Sonic Youth, Dinosaur Jr, la scène rrriot girls aussi Bikini Kill, L7, tout ça quoi. Et puis un peu plus tard Cat Power. J’aime beaucoup Cat Power a ses débuts. J’aime moins écouter maintenant, c’est devenu lisse, j’ai l’impression qu’elle a perdu sa personnalité, ça fait chier. Enfin bref ! J’ai donc commencé la guitare à 17 ans, comme pleins d’ados, avec des potes sur la plage l’été. J’ai eu beaucoup de groupes et à l’époque, je criais beaucoup plus fort aussi ! J’ai vraiment commencé quand une très bonne amie qui a un label, Tsunami-Addiction, a décidé de sortir une compilation en 2002, Toxic Girls !. Elle m’a demandé un morceau donc je m’y suis mise avec mon grand-frère, un morceau qui s’appelle "Snow Balling" et 3 ans plus tard, elle m’a commandé un album en fait. Elle m’a vraiment poussé aux fesses, elle a eu une rentrée d’argent et il y croyait. Donc j’ai enregistré mon album sur un 4-pistes en été, qui est sorti en 2006.

Il frappe par sa différence avec ton dernier dans l’omniprésence de boucles électroniques.

Toutes les plages électro sont des collaborations avec mon grand-frère qui a un groupe électro qui s’appelle dDamage. Après j’ai eu beaucoup de mal avec cet album, la production est trop propre. C’était mon premier album, je n’étais pas habituée à être en studio. Mine de rien, c’est super impressionnant, avec l’ingé son qui connaît son boulot, j’étais assez incertaine, impressionnée. En fait, pendant un certain temps je pouvais plus écouter l’album.

Et ce nouvel album, tu l’as également composé en Suède ?

Oui. Je compose toujours d’abord guitare et voix, ensuite on a ajouté plein de choses : plein d’instruments acoustiques, de la viole de gambe, du xylophone. Par contre, on a enregistré en France. Cette fois-ci, j’avais décidé de prendre mon temps, puisque j’ai tiré les leçons de ma précédente expérience studio. On a trouvé un squat à Sèvres, qui s’appelle la Générale. Le studio dans lequel j’ai enregistré était une ancienne salle de projection, le plafond était très très haut, la cabine de projection a été transformée en cabine d’ingé son. Comme c’était gratuit, on a pris notre temps. On est resté un mois, puis on a réalisé que ce n’était pas complètement fini, du coup on est partis en Haute-Savoie, dans la maison de vacances de mon ingé son, une vieille baraque en fait près du lac d’Annecy, et on a encore enregistré pas mal de choses. Ça a duré longtemps au final, j’ai enregistré sur un an.

Il y avait donc une volonté de rupture entre ces deux albums…

Oui, essentiellement dans le traitement du son. Prendre le temps de déterminer ce dont chaque morceau avait besoin. Pour cet album, je ne suis jamais arrivée en studio avec une idée précise. C’était un véritable work in progress, avec des expérimentations, des choses qu’on a jetées. Simplement, j’avais envie que cet album me ressemble plus.

Tu as aussi composé la musique d’un film qui va sortir cette année ?

Oui. C’est un film d’auteur français du réalisateur Patric Chiha. Il est libano autrichien et il vit en France. Il a fait son premier long métrage Domaine, l’année dernière avec Béatrice Dalle et un tout jeune homme de 17 ans qui s’appelle Isaïe Sultan. C’est l’histoire d’une amitié étrange et ambiguë entre cette femme, mathématicienne, un peu auto-destructrice et alcoolique et ce jeune homme. Voilà, donc moi j’ai fait la musique de ce film, ce sont 8 morceaux dont la plupart sont chantés, il n’y a seulement que quelques instruments. J’ai fait de la direction d’acteurs aussi, parce que plusieurs morceaux étaient chantés par les acteurs. C’était une super expérience, ça n’a rien à voir avec les morceaux que tu composes pour toi. C’est une commande, mais le réalisateur m’a laissée très très libre, puisqu’il m’a dit qu’il n’avait aucune culture musicale.

Moi j’étais encore en Suède à ce moment là, il m’envoyait donc des mails avec des mots dedans… Pas des explications des scènes, les indications étaient super vagues, du genre "ils marchent presque tout le temps" ! (rires). Tu vois, plutôt des listes de mots genre "la forêt"… des choses très elliptiques mais donc j’ai pu remplir les blancs avec mon inspiration. On a fait notre petite cuisine parce qu’il ne voulait pas que je lise le scénario, ni que je regarde les rushs du tournage. Donc j’ai vu une des dernières versions du film monté, avec ma musique dessus. On a beaucoup parié sur le hasard et à mon sens, c’est un pari qui a fonctionné. De toute façon, je n’aurais pas pu composer à l’image, parce que c’est un vrai métier et que ce n’est pas le mien.

Du coup, ça t’a donné des idées ou des envies par rapport à tes concerts ?

Oui ce qui me plairait, c’est de jouer pendant la projection du film, comme dans le cinéma muet mais ça ne se fera pas, pas avec ce film. Mais des projections, pourquoi pas. Ce n’est pas pour le moment ma démarche sur scène. Ma démarche, c’est la présence auprès du public, je leur présente toujours beaucoup mes morceaux. J’ai un vrai plaisir d’aller à la rencontre des gens. Ma formule sur scène est vraiment simplissime. J’arrive avec ma guitare et… c’est vraiment troubadour ! (rires) J’ai pas mal tourné comme ça cette année, et c’est hyper formateur. On verra plus tard, quand j’aurai plus les moyens, j’aimerais bien ajouter plein de choses, un orchestre philharmonique !

Plus précisément, que veux-tu donner au public au travers de tes prestations ?

C’est simple, mes morceaux sont inspirés de mes expériences de vie, c’est partager ça. Certains artistes portent un masque, se cachent, c’est une espèce de carapace en fait, moi je suis moi-même. Par exemple, sur le morceau No End In Sight, c’est d’ailleurs une chanson qui se trouve sur mes deux albums puisque j’arrive jamais à la terminer, elle sera sûrement sur le troisième d’ailleurs ! (rires). Cette chanson, c’est l’histoire d’un cauchemar récurrent que je fais depuis des années, c’est vachement angoissant. L’histoire, c’est que j’ai une bouteille d’eau à la main et j’ai très soif, sauf qu’à l’intérieur, il y a plein d’alluvions et de petits poissons, mais je la bois… et je me réveille comme ça pleine d’angoisse (rires). Quand je monte sur scène, c’est pour raconter ce genre d’histoires, mes cauchemars ou une soirée qui se finit dans une chambre d’hôtel ! Cette démarche là, je l’aime parce qu’il y a un vrai d’artisan et c’est là que je me sens le mieux, c’est ce que j’aime faire.

Mais si tu ne pouvais pas faire de musique, que ferais-tu ?

J’aimerais bien être chef cuisinier, j’adore préparer la nourriture, la partager, c’est un art.

Quelle est ta spécialité culinaire ?

Quand je suis en Suède, j’aime faire de la cuisine française. Sinon, ma maman étant d’origine kabyle et mon père tchèque, j’aime bien mélanger les différentes cuisines. En ce moment, je fais pas mal de recettes kabyles, pas de couscous parce j’aime pas mais plutôt des bricks, des petites choses comme ça ! Oui, c’est vraiment ce que je ferais si je ne pouvais pas être musicienne. Mais en fait, pour mettre du beurre dans les épinards, je suis en parallèle traductrice suédois/français.

Et pourquoi la Suède ?

Oui j’y suis allée par hasard. J’avais 21 ans, j’étais à la fac d’art du spectacle. J’avais passé mon deug et ma licence et je voyais les années passer, qui se ressemblaient beaucoup trop, je m’emmerdais un peu, et comme j’avais quelques amis suédois rencontrés un été, je me suis dit que ce serait cool de faire un break, une année sabbatique. Après mes études d’art du spectacle, ça fait tout à fait fainéant (rires) mais en fait j’avais envie de vivre plus. J’étais partie pour 6 mois et finalement, je suis restée plus de 6 ans. Je suis rentrée cette année. Mais j’ai fini mes études là-bas et j’ai aussi fait plein de boulot, j’ai bossé dans une boulangerie, je donnais des cours de français, j’ai fini à l’ambassade de France au service culturel. Et là pour le coup, j’avais un vrai boulot, mais qui m’a rendue folle parce que je me suis rendue compte que je ne pouvais pas faire ça, passer mon temps derrière un ordinateur, je m’occupais d’artistes en fait. C’était bizarre, parce que j’avais l’impression d’être du mauvais côté du miroir, donc j’ai arrêté et je suis revenue en France, il y a de ça quelques mois.

Et maintenant tu t’apprêtes à partir au Japon ?

Oui ! Dans deux jours exactement (ndlr : l’interview a eu lieu le 4 janvier). En fait, il s’agit d’un programme d’échange du Ministère de la Culture, Culture France. C’est dans la Villa Kujoyama à Kyoto, c’est un peu la cousine asiatique de la Villa Médicis en Italie. Donc, il y a une dizaine d’artistes qui partent chaque année, c’est pluridisciplinaire, il y a un chef cuisto, un danseur, une nana qui est spécialisée dans le bondage japonais, c’est super bizarre, ils mélangent comme ça tout plein de gens. L’idée, c’est de créer une espèce d’effusion avec ce mélange de disciplines. Ça me plait beaucoup de sortir de mon microcosme de musiciens, d’avoir d’autres influences. Chacun choisit de partir entre 4 et 12 mois. Je pars 4 mois, parce que j’ai mon album qui sort donc je ne peux pas partir trop long. Enfin ça a été un long processus de sélection mais en tout cas, je suis super fière d’y participer.

Et mon idée, c’est de faire mon troisième album là-bas. Mon projet étant de faire un album d’influence japonaise, forcément ! Je ne sais pas comment le projet va se terminer mais l’idée, c’est d’utiliser des instruments traditionnels japonais comme le shamisen ou des percussions. L’idée serait de construire cet album autour du silence, parce que je me suis rendue compte que dans la musique, il n’y a pas de silence. Mais c’est culturel en occident. Moi typiquement, j’ai une culture pop-rock, classique aussi, mais finalement je n’ai pas une grande culture musicale. Au Japon, dans le musique, il y a une grande place qui est faite au silence ou aux notes suggestives. L’idée, c’est de donner plus d’espace mental aux gens pour donner plus de sens à la musique. Bon, pour l’instant ce ne sont que des mots, mais on verra bien dans 3 jours quand je serai là-bas avec ma guitare et qu’il faudra du concret (rires) ! J’ai peur et en même temps, je suis très excitée ! En plus, le lieu est chouette, c’est une villa qui est perchée dans les collines qui entourent Kyoto, dans la forêt.

Et du coup, tu reviens au printemps pour défendre ton album sur scène ?

Oui début mai en fait. J’ai déjà quelques dates à Paris et en France, dans des festivals. Mais je vais jouer au Japon aussi, à Osaka, à Tokyo, et même aux Philippines apparemment !

Tu dois faire la première partie d’Arno aussi au mois de mai. Quels sont tes liens avec les autres artistes de la scène française/francophone ?

Cette première partie, je suis hyper contente de la faire, j’ai beaucoup de respect pour lui et sa musique. Mais c’est un peu par hasard parce que je n’ai pas de liens avec lui en fait, ni vraiment avec le reste de la scène française en fait. D’une part, parce j’ai beaucoup vécu à l’étranger et d’autre part, parce que je baigne plus dans l’électro étant donné que mes deux grands frères en font et du coup, notre cercle d’amis c’est plutôt Kumisolo… enfin ce sont mes potes. Je n’ai pas de liens avec la scène folk française.

Et qu’est-ce qui t’a musicalement touché ces derniers temps ?

J’aime beaucoup un groupe qui s’appelle The Konki Duet… Ce sont des amis qui font une musique qui me touche énormément. Après, j’écoute les même CDs depuis des années, je n’ai pas cette curiosité, je ne suis pas une collectionneuse de musique, je me laisse plutôt bercer par le hasard. J’écoute Neil Young et Pavement depuis 10 ans (rires) et Sonic Youth, et ça me suffit. Voilà, je sais que c’est un peu bizarre pour une musicienne… Hier soir pour m’endormir, j’ai écouté Les Nocturnes de Chopin.

Pour en revenir à ton album, il semblerait qu’il y ait une thématique sur les femmes…

Oui. C’est vrai qu’on dirait presque un album concept en fait parce que chaque morceau parle ou est dédié à une femme. Mais c’est quelque chose dont je me suis rendue compte à la fin du processus, ce n’était pas du tout prémédité. Et je cherchais un titre et en écoutant la radio, il y avait ce rappeur, aujourd’hui décédé je crois, Notorious BIG, qui chantait sa chanson "to all the ladies in place with style and grace", super macho… et là je me suis rendue compte que chacun de mes morceaux parlait d’une femme. Il y en a un, c’est de ma mère, un autre qui parle de cette féministe qui a essayé d’assassiner Warhol dans les années 70. Cette nana a fini complètement folle, c’était une extrémiste qui a eu un destin fulgurant, fascinant et très effrayant aussi, parce qu’elle rêvait d’une société sans hommes, c’est complètement dingue ! Et elle a matérialisé son discours par cet acte qui est quand même hyper étrange, essayer d’assassiner Warhol… Elle l’a d’ailleurs bien amoché puisqu’il a marché jusqu’à la fin avec une canne après ça… Tout ça parce qu’elle lui avait filé un scénario de théâtre qu’il n’avait en fait jamais lu et même perdu, et c’était le seul exemplaire, pour elle, c’était le projet de sa vie.

Parallèlement, il y avait le succès de ce mec qui a développé l’industrialisation de l’art, c’est quand même hyper ambiguë, je trouve qu’il y a quelque chose de très injuste dans ce succès. Je ne suis pas aussi folle qu’elle, mais j’aimais bien l’idée de mettre son histoire à la lumière. Donc voilà, chaque morceau parle d’une femme, il y en a un autre qui parle de mon amie d’enfance… Mais c’est arrivé par hasard, c’est pas revendicateur, il n’y a pas de volonté d’y appliquer une étiquette féministe, c’est le fruit du hasard. Et puis j’aimais bien l’idée de reprendre à ma sauce cette citation de ce rappeur… comme quoi les mots peuvent avoir un sens totalement différent selon par qui ils sont prononcés.

Et pour finir, si tu disposais de trois mots pour définir ta musique, lesquels seraient-ils ?

Instinctive (silence de réflexion), instinctive et instinctive (rires) ! Je ne sais pas, c’est hyper dur ! Tu n’auras qu’un mot en fait !

 

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Crédits photos : Thomy Keat (Toute la série sur Taste of Indie)


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# 24 mars 2024 : Enfin le printemps !

Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.

Du côté de la musique:

"Dans ta direction" de Camille Benatre
"Elevator angels" de CocoRosie
"Belluaires" de Ecr.Linf
"Queenside Castle" de Iamverydumb
"Five to the floor" de Jean Marc Millière / Sonic Winter
"Invincible shield" de Judas Priest
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"Jeu" de Louise Jallu
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"Nairi" de Claude Tchamitchian Trio
"Dragging bodies to the fall" de Junon
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"Motan" de Tangomotan
"Sekoya" de Tara
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"Rebota rebota y en tu cara explota" au Théâtre de la Bastille

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