Spectacle
conçu et mis en scène par Philippe Quesne, avec
Isabelle Angotti, Zinn Atmane, Rodolphe Auté et Hermès,
Cyril Gomez-Mathieu, Émilien Tessier, Tristan Varlo et
Gaëtan Vourc'h.
Cela commence la nuit, par une guimbarde qui mériterait
bien un repos définitif, harnachée d'une remorque
et garée au milieu d'une clairière enneigée,
de laquelle s'échappent d'une radio à fond la
caisse navigant sur plusieurs longueurs d'ondes, au gré
d'une batterie prête à rendre l'âme, les
vociférations d'un bon vieux rock AC/DC alternant avec
de sirupeuses mélodies de variétoche.
Les occupants, des mecs chevelus hébétés,
eux aussi au bout du rouleau de la nuit, tètent des canettes
en croquant des chips pendant que leur chien dort. Une image-cliché
d'une fin de virée blafarde, après la fermeture
d'une discothèque de campagne, quand les joyeux lurons
finissent de cuver dans la caisse, trop givrés pour repartir.
Et puis arrive une sorte de zébulon à lunettes
et à vélo, un Petit Prince au féminin prénommé
Isabelle, qui va les tirer de leur torpeur, diagnostiquer une
panne sévère de moteur et constituer un spectateur
inattendu, et inespéré, pour les six acolytes
qui ressemblent à des bikers soixantehuitards qui ont
largué les amarres et qui, au lieu d'élever des
chèvres dans le Larzac, sont devenus des forains beckettiens,
des baladins de l'extrême qui colportent au gré
des vents un self-made, et ready-made, parc d'attraction ambulant.
Commence alors, avec l'ouverture de la remorque, baraque foraine
entre boîte d'entomologiste, algeco revisité par
la Malgorzata Szczesniak du pauvre et boite à trésors,
une dérive et une immersion progressive dans un monde
parallèle caractérisé par la dilatation
du temps et un univers de conte contemporain, dans lequel des
marginaux illuminés racontent des histoires enchantées
et enchanteresses et dont le graal est constitué par
les fameuses attractions, les sept merveilles essentielles que
sont l'eau, l'air, le feu…
La Compagnie Vivarum fondée par Philippe Quesne, concepteur
et metteur en scène de ce spectacle, plasticien qui fut
scénographe, et son collectif de comédiens, Isabelle
Angotti, Zinn Atmane, Rodolphe Auté, Cyril Gomez-Mathieu,
Émilien Tessier, Tristan Varlo et Gaëtan Vourc'h,
excellents dans l'art de l'émerveillement, et le chien
Hermès dans sa rage à dépecer la fausse
neige, distillent un spectacle burlesque et loufoque, surréaliste
et ironique, jubilatoire et détonnant, en forme de collage
dadaiste.
"La mélancolie des dragons"
dynamite, sur fond de transfiguration poétique, tant
les codes de la représentation théâtrale
que de ceux de l'art contemporain, elle est truffée de
références érudites que chacun déchiffrera
à l'aune de sa culture (ainsi les perruques messagères
ou les grands sacs noirs gonflés d'air, menhirs, monolithes
kubrickiens ou le travail sur le souffle de Penone, voir l'invisible)
et des registres du théâtre, de la performance
au théâtre vivant.
Ce mélange des genres toujours sur le fil du rasoir
ne tient la route céleste, celle de la poésie
et de l'humour, que pour ceux qui acceptent de laisser leur
moi adulte lâcher prise avec les conventions et de se
laisser submerger par l'enfant qui demeure tapi au fond d'eux
pour monter dans cette fascinante caravane. Celui qui n'est
pas émerveillé par une bulle de savon reste bien
évidemment sur le trottoir. La scène finale, qui
ressortit à l'assomption, n'émerveillera alors
que les simples d'esprit et confortera les autres dans leurs
présomptueuses certitudes de clairvoyance. |