Froggy's delight aime
la musique et est curieux. Aussi le hasard fait parfois bien les
choses et lui permet de découvrir de jeunes groupes qui ont
du talent comme Delenda dont la maquette nous a vraiment intéressé.
Aussi avons-nous voulu en savoir plus sur Anne
de F et Thierry G, duo et couple
d'enfer pour une musique résolument rock français.
Delenda, dites nous tout sur Delenda
Anne de F : J’aime bien destroy en latin
Thierry G : Nous avons toujours été
les spécialistes des noms super foireux, des noms pas bons,
pas bons, pas bons. Comme il y a une chanteuse, donc un nom à
consonance féminine, comme nom c’était pas mal.
Et puis c’est suffisamment flou pour être assez intéressant
et prononçable dans toutes les langues et puis ça
ouvre pas mal d’horizon, c’est une boîte, chacun
l’ouvre dans le sens où il veut et dans le sens qu’il
veut.
Anne de F : Originellement, c’était bien
l’aspect destroy.
Thierry G : Oui, il y avait de cela, le côté
violent sous-jacent. Ça vient du latin, de Caton l’Ancien,
sénateur monomaniaque, qui dans ses discours quel qu’en
soit le sujet concluait toujours par "C’est pour cela
qu’il faut détruire Carthage". Et d’ailleurs,,
ils ont détruit Carthage. Comme quoi…il avait raison
d’insister.
Spécialistes des noms foireux, ce qui veut
dire que Delenda n’est pas votre premier groupe ?
Anne de F : Il y a eu effectivement "autreuss
choseuss" (ndlr : Anne insiste sur le pluriel). Le premier
a être resté dans nos mémoires était
Sun. A priori c’est un peu tarte sauf que c’était
"SUN" some unexpected nightmare…donc un cauchemar
inattendu…il faut y aller… Ensuite, vient "Destroy
after tea" D.A.T, il y a quinze ans, car cela fait quinze ans
que l’on fait de la musique ensemble et que l’on trouve
des noms délirants. La première fois que l’on
a joué c’était sous le nom de Danniswell à
la MJC de Joué les Tours…et celle de Nogent le Rotrou
aussi.
15 ans déjà ?
Thierry G : Ça fait 15 ans que l’on vit
ensemble.
Anne de F : Tu raconteras ce que tu as fait avant.
Un jour, on s’est rencontrés. Au bout d’un moment,
on a failli se taper sur la gueule. Après c’est allé
un peu mieux. Thierry avait rencontré 2 ou 3 musiciens à
l’école qui étaient plus ou moins mes copains.
J’ai par erreur invité toute la troupe à la
maison et Thierry m’a dit "Toi tu vas être chanteuse
!" Et je lui ai dit : "Oui, Maître !" Et voilà
! Il a emménagé à la maison avec son étagère,
son scotch et son micro qu’il a scotché à l’étagère
et il a dit :"Voilà, maintenant on chante !"
Thierry G : Anne n’avait jamais chanté,
jamais fait de musique. Elle n’écoutait que des trucs
que la morale réprouve genre Peter Gabriel, Marillion. Je
suis arrivé avec Joy Division…Elle a fini par s’y
faire.
Anne de F : Ce qu’il m’a vraiment fait
découvrir c’est Siouxsie and the Banshees. Et pendant
longtemps je me suis pris pour Siouxsie. Nous avons aussi été
un peu corbeaux…
Thierry G : un peu rasé aussi …mais l’apparence
n’était pas majeure. Nous avons joué, un peu
tourné, pas de reprises, que des compos un peu foireuses
mais on s’est bien marré.
Anne de F : C’est le début d’un
groupe avec des étudiants. Tu répètes quand
tu as fini les cours, quand tu as fini de travailler, quand tu t’es
remis de la cuite de la veille…enfin, tu répètes
de temps en temps. Nous avons eu la chance de connaître un
mec de l’administration qui tous les week ends nous filait
la clé du grand amphi, refait à neuf avec une sono
géante. Nous l’avions pour nous seuls, on y dormait
presque. Nous pouvions répéter. Le premier concert
a eu lieu à Joué les Tours, puis ce fût la Fête
de la Musique à Tours et après nous avons continué
jusqu’en 1995.
Que s’est-il passé en 1995 ?
Anne de F : Un jour j’ai pris une guitare branchée
en studio de répèt, j’ai plaqué un accord
un peu violent et ma petite fille Clara qui était dans mon
ventre a fait un triple salto arrière. J’ai dit : "Ah
ok, je crois que là on va s’arrêter tout de suite".
On s’est arrêté un peu.
Thierry G : On bossait pas mal aussi à l’époque
et cela devenait un peu compliqué. On jouait avec des gens
qui étaient pas forcément motivés. Donc on
était content de se retrouver, de bricoler, de se défouler,
c’était sympa mais complètement amateur. Nous
étions 5 et personne ne projetait les mêmes choses.
C’est devenu compIiqué.
Anne de F : Et puis les choses se sont interrompues
d’elles-mêmes : un est parti à Singapour, un
autre en Idaho, un autre à Nantes…moins loin mais parti
quand même et donc nous nous sommes retrouvés à
2.
Thierry G : Nous étions très pris par
nos boulots respectifs et musicalement on a décroché
au moment où il ne se passait plus grand chose d’excitant.
Nous n’avons rien fait pendant 4-5 ans. Ce qui nous a re-motivés
c’est la vague des Strokes. Nous nous sommes donc rebranchés
gentiment et nous avons constatés que la musique nous manquait.
Nous jouons avec un ami, qui fait plutôt du jazz, donc c’est
pas évident, mais cela nous a remis le pied à l’étrier.
Et comme je n’avais pas envie de faire des reprises, je me
suis mis à écrire. Et certaines choses n’étaient
pas mauvaises. Et puis, coup de bol, one se fait virer de nos boulots
respectifs à quelques mois d’intervalle. Ce qui nous
a donné l’opportunité de consacrer plus de temps
à la musique. C’est ainsi, en quelques mois, que nous
avons fait cette maquette qui n’est pas encore totalement
aboutie…
Anne de F : Thierry, qui est le super optimiste de
la famille, trouve que ce n’est pas super mais en fait c’est
le meilleur truc qu’on ait fait depuis quinze ans. C’est
la première fois que nous avons des textes en français
dont nous sommes satisfaits…
Thierry G : …à peu près…
Anne de F : …qui sont perfectibles (sourires)…je
le refais : dont je suis satisfaite
Thierry G : cela correspond à un registre que
nous cherchions. Et écrire en français c’est
important.
Pour vous ? Pour les autres ?
Anne de F : Le français impose une rigueur
qui n’est pas une exigence en anglais. On peut tout faire
en anglais même des phrases couillonski qui passent très
bien parce les mots sont cours, c’est syncopé, le phrasé
et la scansion s’y prêtent. La fréquence n’est
pas identique et les mots même traduits ne sonnent pas de
la même façon.
Thierry G : Les accents toniques sont importants.
On ne mixe pas de la même manière une voix en français
et en anglais.
Anne de F : Faire des textes rock en français
représente aussi une difficulté et il n’y a
pas beaucoup de groupes qui le font. Beaucoup de groupes font de
l’anglais. Nos textes qui, même si ce n’est pas
de la grande littérature, sont satisfaisants car il y a un
verbe, un sujet, un complément, j’espère une
idée, enfin moi je la vois, c’est peut-être abscons,
mais ils comportent une idée et développent une histoire.
C’est un format très différent de la chanson
à texte ; c’est un format beaucoup plus ramassé
avec plus de gimiks et c’est plus compliqué à
écrire. Et je suis très contente. Et voilà
!
Vous insistez sur l’importance de la langue
française. Cela veut-il dire qu’auparavant vous ne
chantiez qu’en anglais ?
Anne de F : Non. Mais ce que nous faisions était
moins bon.
Thierry G : Il y avait peut être plus de textes
en anglais, certains n’étaient pas si mauvais, et la
musique était plus connotée coldwave. Idéalement,
ce que nous cherchons à faire c’est les Sex Pistols.
Anne de F : Ça part bien…Je veux faire
Catherine Ringer quand je serais grande…
Thierry G : …mettre un peu le bordel.
Certains de vos textes anciens pas si mauvais peuvent-ils
être récupérés en quelque sorte ?
Thierry G : Oui, je pense.
Qui est l’auteur des textes ?
Anne de F : Plutôt moi mais Thierry s’y
met…quand je l’aide (éclats de rire)
Thierry G : C’est à dire que quand j’en
ai marre et qu’elle ne trouve pas son truc, je lui prends
son texte, je change deux virgules et elle est contente.
Les textes précèdent la musique ?
Comment se passe le writing process ?
Anne de F : Dans la douleur. Il y a deux approches
: la musique en premier ou non, j’ai bien conscience qu’il
n’y a pas d’autre choix. A 80%, Thierry fait une musique
et on y associe un texte. De ce fait, il y pas mal de textes qui
restent en souffrance car nous ne faisons pas la démarche
inverse qui s’avère très difficile car Thierry
a une vision du monde qui est très arrêtée et
entrer dans l’univers des autres est toujours plus délicat.
Thierry G : Ce que dit Anne est assez juste car quand
je travaille sur mes accords cela déclenche un univers et
je vois l’impression que je veux donner au morceau et je n’ai
pas la facilité d’écriture d’Anne. D’où
la difficulté pour moi d’adopter un cheminement inverse.
Comme Anne ne veut pas trop faire de musique, elle écrit
n’importe quoi en termes rythmiques ce qui est difficile pour
moi d’autant que je ne suis pas un excellent musicien. Si
je comprends bien ce qu’elle veut faire, je peux essayer de
le mettre en musique. En fait, je fais de la musique pour mettre
en scène mes univers. Je pourrais utiliser d’autres
médias comme le cinéma, même si je suis plus
sensible à la musique. Travailler en couple n’est pas
facile surtout dans ce domaine qui est très passionnel.
Anne de F : Les engueulades peuvent effectivement
être homériques.
Thierry G : Nous avons cependant progressé
dans ce domaine. Nous avons mûri, je pense.
Anne de F : Nous avons appris à dire : "Oui
et...?" au lieu de "Non mais tu délires ou quoi
?". Mais la proximité nous permet aussi de ne pas splitter.
Je ne désespère pas de pouvoir mettre en musique le
texte sur les négociations du commerce extérieur.
Vous pourriez écrire des nouvelles ?
Anne de F : C’est un autre débat. J’en
ai longtemps caressé l’idée et comme le cercle,
je l’ai caressée trop longtemps et elle a tourné
vicieuse et je ne pense pas en être capable. Je lis trop et
ce n’est pas simple de bien écrire. J’ai choisi
d’écrire les textes des chansons et mon côté
logorrhée verbale s’épandrait facilement et
de manière non saine dans un écrit littéraire.
Le format chanson m’impose un cadre et de la rigueur.
Thierry G : Cela peut s’apprendre.
Anne de F : J’entends bien. On n’a que
55 ans…non je déconne….
Thierry G : … c’est vrai et puis ce n’est
que notre première vie.
Anne de F : Voilà ! Il y en aura d’autres
!
Donc vous avez créé Delenda à
l’occasion d’un événement inattendu?
Thierry G : Non, c’était en gestation….
Anne de F : : …il fallait répondre oui
!
Thierry G : Oui ! Non.
Anne de F : Vas-y ! Essaie encore !
Thierry G : Pourquoi inattendu ?
Le chômage.
Anne de F : Ah le chômage !
Je voulais poser une question perfide du genre :
avez-vous créé ce groupe pour occuper vos moments
d’oisiveté dû au chômage ou s’agit-il
d’un réel projet ?
Thierry G : Très bonne question. Il est clair
que nous avons un réel projet qui a pu se concrétiser
davantage avec des disponibilités accrues en terme d’emploi
du temps. Cela étant je ne sais pas ce qu’il y aura
après.
Anne de F : I know !
Thierry G : Hein ?
Anne de F : Oui.
Thierry G : Oui. D’accord. Le chef a dit oui.
Anne de F : Nous y arriverons parce que pendant 15
ans nous avons travaillé dans des milieux que nous aimions.
Thierry G : Non. J’exerçais un métier
que j’aimais dans un milieu que je déteste.
Anne de F : Moi, je ne veux pas retourner dans ce
milieu. Retrouver un boulot devient très politique. Beaucoup
de chefs d’entreprise prennent leurs employés pour
des cons, genre aujourd’hui c’est plus dur, donc tu
vas travaillé plus et tu gagneras moins ! Là, c’est
bon pour moi ! Il y a un moment où il faut arrêter
de courir. Il faut vivre. Donc, j’y retourne pas. Je vais
m’occuper de Delenda, d’autres choses. Je vais me donner
les moyens de changer. Donc je sui sûre qu’il y aura
quelque chose après.
Y a –t-il un objectif et un enjeu pour Delenda
?
Thierry G : L’objectif c’est d’être
les Sex Pistols.
Anne de F : Il y a un enjeu politique, de conscience.
Thierry G : Le but se matérialise au fur et
à mesure. Le minimum est de faire des disques sans que ça
nous coûte. S’il y a moyen de s’amuser un peu
plus, oui. Mais je n’imagine pas du tout faire un groupe mainstream,
rock FM. La musique n’est pas une carrière. C’est
une forme de besoin, c’est un amusement. Nous n’avons
pas d’obligation de résultat ce qui nous laisse toute
liberté. Cela étant, nous voulons le faire de manière
sérieuse. Donc nous travaillons. Pour le moment sur des formats
courts, des morceaux de 2 mn 30 qui sont bien adaptés pour
des tempo rapides. Et ils correspondent bien à notre état
d’esprit.
A quel stade est cette maquette en termes d’élaboration
et de démarches auprès des maisons de disques ?
Thierry G : J’ai un gros défaut : je
suis perfectionniste et il y a encore des morceaux que je voudrais
épurer. Et nous avons également besoin d’avis
de personnes qui ne sont pas dans notre cercle de connaissances
pour nous conforter dans notre idée que nos morceaux tiennent
la route. Donc nous envisageons de faire une nouvelle maquette épurée
avec quelques morceaux retravaillés et peut être y
inclure des morceaux plus anciens. Qu’en penses-tu ?
Anne de F : J’écoute et…puis après
je vais tout casser…comme d’habitude !
Thierry G : Je t’adore ! Ensuite, nous démarcherons
des maisons de disques. Et puis jouer en live. Cela étant
jouer à deux dans de petits endroits ça fonctionne
bien mais dans une salle c’est plus difficile.
Anne de F : Nous avons plus de relations aujourd’hui
que quand nous avions 20 ans donc nous allons essayer d’utiliser
ces connexions. Nous avons donné notre maquette à
des programmateurs radio et à quelques labels. Mais il est
vrai qu’il est indispensable de concevoir une formation pour
jouer en live. Jouer sur bande ça peut fonctionner bien mais
il faut du live.
Thierry G : Cela étant cela pose la question
de savoir si on élargit le groupe ou pas. Répéter
à plus de deux implique d’aller en studio par exemple.
Beaucoup de groupes commencent par jouer live avant
même d’avoir une maquette disponible. Avez-vous joué
en live avec Delenda ?
Anne de F : Dans de petites soirées. Il faut
essayer des bars ou des petites salles. Mais plutôt des petites
salles parce que ce n’est pas vraiment une musique de bar.
Vous fixez-vous des échéances par
rapport à des retours éventuels ?
Anne de F : La vérité est que nous n’avons
pas pensé en termes de dead line. Cela étant l’académisme
historique en matière musicale n’est plus aussi efficient.
Le modèle a l’air moins juteux qu’il n’a
été.
Thierry G : Donc il y a peut être d’autres
formules à explorer.
Il est clair que l’industrie du disque a évolué.
Il y a une différence entre un artiste et une star formatée
comme un produit prévu pour une certaine catégorie
de consommateur. Actuellement la cible serait les 5-13 ans.
Anne de F : Dans cette logique évidemment,
on est largement périmés et il faut arrêter
de nous consommer …
Thierry G : …Il n’y a aucune fatalité…
Anne de F : Mais ce n’est pas vrai car dans
nos tranches d’âge on écoute ce que nous écoutions
quand nous étions petits : les Strokes, les Libertines, les
Yeah Yeah Yeah. Ils ont pris du vieux pour faire du neuf mais avec
la conscience politique en moins. Les Strokes ça ne te fait
penser à rien ?
Thierry G : Euh …Non.
Anne de F : Pinocchio !
Thierry G : Monsieur Pinocchio !
Anne de F : Donc il y a un créneau pour notre
musique.
Qu’y a-t-il sur vos platines en ce moment
?
Thierry G : AS Dragon.Mickey 3D. Pour ce qu’ils
sont. Jeronimo. Mass un groupe punk dont la chanteuse a une super
personnalité et une voix formidable. Dyonisos.
Si vous ne disposiez que de trois mots pour caractériser
la musique de Delenda, quel serait votre choix ?
Thierry G : Bordélique, offensif et fier
Anne de F : L'envie, la violence et l'espoir.
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