Comédie
dramatique de Yôji Sakate, mise en scène de Jacques
Osinski, avec Vincent Berger, Elisabeth Catroux, Frédéric
Cherboeuf, Agathe Le Bourdonnec, Alice Le Strat, Pierre Moure,
Remy Roubakha et Stanislas Sauphanor.
Après avoir exploré le monde pathogène
du travail implosant dans le huis clos dévastateur d'un
local de repos d'usine en portant sur scène "L'usine"
du suédois Magnus Dahlström en 2007, Jacques
Osinski poursuit son exploration de l'humanité
contemporaine et de l'enfermement avec "Le
grenier" une époustouflante comédie
dramatique de Yoji Sakate.
Sous ce titre anodin, le jeune dramaturge nippon se saisit
d'un phénomène réel, étonnant et
inquiétant né dans son pays, celui des "hikikomori",
pathologie psychosociale et familiale dont sont atteints un
nombre croissant d'adolescents et de jeunes adultes qui vivent
totalement reclus dans un espace clos afin d'échapper
à l'implication relationnelle de la vie, y préférant
la communication virtuelle, pour non seulement tendre un miroir
à la société japonaise mais, en dépassant
son aspect factuel et la satire sociale, pour initier une réflexion
universelle à partir d'un panorama tragi-comique du monde
contemporain et d'une fiction projective.
A partir de l'enquête menée par le frère
d'une des victimes de cet enfermement qui l'a mené au
suicide sur le fabricant de ces caissons d'isolement qui sont
entrés dans les moeurs - de la prosaïque récupération
économico-financière des dérives sociales
et de la contagion par le fashion power - il procède,
avec un humour ravageur et une plume protéiforme, du
nonsense au conte drolatique, à une double déclinaison
par analogie et par symétrie, qui va de la promiscuité
conjoncturelle à la prostration volontaire.
Ce lieu exigu et confiné, symbole du moi psychanalytique,
métaphore de la poche fœtale du no man's land intra-utérin
et de la cabane en bois des jeux d'enfants, lieu générique
qui peut se transformer en cabine d'ascenseur ou en refuge de
montagne, pré-carré tragi-comique d'un détonnant
laboratoire humain, voit défiler toute une galerie de
personnages archétypaux entre névrose et quête
métaphysique.
Avec des effets sonores et une partition musicale assurée
en direct par Dayan Korolic, dans une structure polygonale en
bois conçue par Lionel Acat évoquant une pièce
mansardée en miniature, Jacques Osinski procède,
dans le respect de l'auteur et de la partition textuelle sous
forme de vignettes décapantes, à une mise en scène
simple, presque épurée, rigoureuse et millimétrée
comme l'induisent les contraintes physiques du lieu scénique,
et sans concession à la mode de l'artificialité
de la pluridisciplinarité.
S'appuyant sur une distribution solide et épatante (Vincent
Berger, Elisabeth Catroux, Frédéric Cherboeuf,
Agathe Le Bourdonnec, Alice Le Strat, Pierre Moure, et Remy
Roubakha et Stanislas Sauphanor souvent en duo époustouflant)
capable à la fois de tenir un rythme soutenu de zapping
et des changements à vue imposées par le nombre
de figures et de maintenir l'unité et la choralité
de la représentation tout donnant corps et âme
à leurs personnages, il présente un spectacle
totalement abouti et réussi.
Un spectacle qui mêle drôlerie et pathétique.
Comme la vie. |