Cinq années après la sortie de son premier album solo Plus de Sucre, JP Nataf, l’ancien chanteur des Innocents, présente sur scène Clair, deuxième album franchissant un seuil dans la quête de perfection pop.
Sur la scène du Grand Mix, le chanteur français a offert près de trois heures de concert. Si nous tenons compte de l’enthousiasme des musiciens, l’humour avec lequel ils ont effectué les transitions, on peut comprendre ce plaisir, rare, que l’on peut avoir en allant à un concert.
Parce qu’il n’est pas nécessaire de bien connaître le groupe pour prendre ce plaisir : souvent – admettons-le – nous sommes déçus de voir se répéter le contenu exact des disques de tel groupe.
Mais un concert exige avant tout un dialogue entre artiste et public, et JP Nataf et Silvain Vanot (en première partie) ont démontré avec brio la chaleur que pouvait apporter cette ouverture.
Anecdotes, clins d’œil aux fans, improvisations musicales furent les ingrédients nécessaires pour passer une soirée placée sous le signe de la poésie. Car il ne faut pas oublier la qualité d’écriture de ces deux artistes importants de la scène nationale.
JP Nataf précise sur scène l’équilibre entre mélodie et texte, en donnant à ses chansons de l’ampleur. Avec les Innocents, il parvenait à mélanger rock et variété, assez simplement, ce qui conférait à ses chansons une certaine immédiateté.
Aujourd’hui ce geste est affiné : la notion de variété est remplacée par le souci de perfection pop, ce qui n’est pas pour nous déplaire, à l’heure où l’on désigne comme groupe pop tout groupe susceptible d’enchaîner facilement les clichés mélodiques − clichés évidemment poursuivis par les groupes à succès actuels (disons 80 % des groupes répertoriés dans les magazines spécialisés).
Nataf, depuis la séparation de son premier groupe, évolue dans une relative discrétion, le poussant à faire ses preuves à nouveau, quitte à aller chercher la liberté dans cette faculté de réécrire le format pop. Déstructurant la contrainte du couplet / refrain, il parvient ainsi à composer des chansons audacieuses, dont les paroles semblent issues de procédés d’écriture automatiques qui peuvent faire penser au style de Jean-Louis Murat.
Exemple de ce procédé : "Hilare, il a l’air pour l’heure hilare / il dort, à ça il n’a pas de mal". Allitération amusante, suivie par la suite : "il tête, il allaite, il guette ce qui le guette, ce qui le botte, allongé sur sa paille". Jeux de sonorités qui donnent à cette musique un caractère fluide. On retiendra de cette longue prestation, les chansons remarquables que sont "Seul Alone", "Jean-Christophe", "La Grande Ourse", "Myosotis".
Silvain Vanot en première partie a joué la presque-totalité de son dernier album, Bethesda, sorti l’année dernière. Interprétation sobre, dans la continuité de ce qu’avait l’habitude de nous présenter le chanteur au XXème siècle (pour reprendre son expression). L’isolement apparent du chanteur, qui a attendu huit ans avant de sortir son album − période de retrait lui permettant de s’extraire de l’industrie musicale qu’il estimait de plus en plus faussée − explique son refus de la moindre contrainte de temps.
Sur scène, j’ai été surpris par sa grande tranquillité, la lenteur puissante avec laquelle il change d’instruments, ajuste son harmonica ; lenteur de rythme surtout apportant à l’ensemble une profondeur. Par cette dynamique ces chansons gagnent en précision, exprimant aussi une sécheresse digne du meilleur Neil Young (influence majeure et jamais démentie de Silvain Vanot).
Mais la gravité des textes, appuyée par leur caractère elliptique − qui correspond à un degré au-dessus du dépouillement – ne se départit par d’un humour noir, comme sur "Implacable" dont on peut reprendre les premiers mots : "J’aimerais coucher avec toi / Pour me venger de ton père / (…) Parce que ta mère est trop vieille…". Vaste programme de la part d’un auteur qui n’a rien perdu de sa verve, ni de sa force poétique. |