L'exposition
"Turner et ses peintres"
organisée conjointement par la Réunion
des Musées Nationaux, le Musée
du Louvre, la Tate Britain de Londres
et le Musée du Prado de Madrid,
a pour sujet de dégager les sources d'inspiration de
l'aquarelliste et peintre anglais Joseph Mallord William Turner
dont le grand public connaît surtout les toiles éclaboussées
de lumière et de couleurs qui diluent les contours, considérées
comme annociatrices de l'impressionnisme, et ne s'avèrent
pas représentatives de l'ensemble de son œuvre.
Une inspiration et une manière qui puise à la
fois dans le passé, les maîtres anciens, mais également
dans le présent. Car peintre précoce et pragmatique
d'origine plébéienne, qui tient de son père
barbier le sens des affaires, Turner est un jeune homme ambitieux
qui aspire non seulement à la reconnaissance de ses pairs
en supplantant ses contemporains sur leur propre terrain mais
également égaler les maîtres anciens en
qui il se reconnaît et qui, de surcroît, jouissent
d'une notoriété certaine et sont cotés
dans le marché de l'art.
L'exposition, conçue sous le commissariat général
de David Solkin, professeur d’Histoire de l’Art
au Courtauld Institute et de Guillaume Faroult, conservateur
au département des peintures du Musée du Louvre
pour sa version parisienne, se présente donc comme une
rétrospective ordonnée sous forme chronologique
qui procède à un judicieux rapprochement des œuvres
de Turner avec celles de ses "modèles".
Ce
voyage au cœur d'une œuvre qui se double donc d'un
beau et érudit panorama de l'histoire de l'art de la
peinture européenne des 17ème et 18ème
siècle bénéficie d'une classique mais judicieuse
scénographie jouant sur les tonalités chaudes
et profondes réalisée par Didier
Blin qui sied à l'accrochage comparatif.
Par ailleurs, il y a lieu d'appeler l'attention des visiteurs
sur la valeur ajoutée de l'étape parisienne de
l'exposition qui arrive de Londres avant de franchir les Pyrénées.
En effet, elle comporte, outre l'adjonction d'une salle évoquant
la galerie personnelle de Turner, qui était ouverte au
public et lui servait de salle d'exposition de ses oeuvres,
la présentation de nombreuses œuvres complémentaires
qui éclairent tout particulièrement les sources
d'inspiration françaises du peintre, notamment "Port
de mer au soleil couchant" de Claude Lorrain mis en regard
avec "Le Déclin de l’empire carthaginois"
de Turner, ainsi que des toiles tardives inachevées.
Turner : dialogue et confrontation avec ses maîtres et
joutes picturales avec ses contemporains
Homme du 18ème siècle, Turner est avant tout
un peintre classique imprégné par les chefs d'oeuvre
du classicisme du XVIIe siècle dont l'étude constitue
la base de la formation des artistes de son époque.
Excellant
dans l'art de l'aquarelle, technique secondaire à laquelle
il va conférer ses lettres de noblesse, Turner enrichit
l'iconographie de son oeuvre au cours des nombreux voyages qu'il
fit.
D'abord en Angleterre puis à l'étranger, ils
l'amènent à découvrir aussi bien les œuvres
détenues par les collectionneurs anglais que celles exposées
dans les musées et notamment celui du Louvre.
Mu par une volonté constante de dépassement et
d'excellence, Turner applique les préceptes de l'académie
"Etudiez la nature attentivement, mais toujours en compagnie
de ces grands maîtres. Considérez-les à
la fois comme des modèles à imiter et comme des
rivaux à combattre.".
Ces
modèles, qu'il admire et avec lesquels il engage très
vite une confrontation posthume, qui ne tourne pas systématiquement
à son avantage même si les débuts sont prometteurs,
la réalisation du "Bateau hollandais dans la tempête",
pendant d'un tableau de Van de Velde, le propulse membre de
la Royal Academy of Art de Londres à 26 ans.
Ce sont en premier lieu des peintres anglais tels Richard Wilson
("Énée et la Sibylle" "Le Château
de Harlech"), Girtin ("Clair de lune, étude
à Millbank"), Cuyp ("Abdingdon", "Dort")
et Gainsborough ("La forêt de Bere").
Puis
au gré des voyages, viennent les peintres du siècle
d'or hollandais dont notamment Rembrandt ("Jessica",
"Pilate se lavant les mains", "Le moulin à
vent sur colline") et Van Ruisdael ("Port Ruysdael",
"Bateau de pêche ramenant un navire avarié
au port ruysdael"), les italiens du 17ème siècle,
Titien ("Vénus et Adonis", "La Sainte
Famille") ou Canaletto ("Le pont des soupirs, le palais
des Doges et la douane").
Pour les français, Claude Gellée dit le Lorrain
constitue le maître de prédilection de Turner.
"Avec le Lorrain, Turner a appris la lumière. Avec
Rembrandt, il va apprendre l’ombre" synthétise
Guillaume Faroult. Une influence majeure ("Appula à
la recherche de l'appulus", "Palestrina", "Le
paysage au ruisseau", "Didon faisant construire Carthage"
"Paysage : femme au tambourin"). Viennent ensuite
Poussin ("Le déluge" Châteaux de Saint-Michel,
Bonneville) et Watteau "Assemblée près de
la fontaine", "Ce que vous voulez !").
Mais
Turner veut se démarquer de ses contemporains de toute
obédience.
Il engage des assauts picturaux tous azimuths dans tous les
registres dont des anglais Constable ("Helvoetluys"),
Bonington ("Plage de Calais"), Loutherbourg ("Avalanche
dans les Grisons", "Les chutes du Rhin", "La
bataille de Trafalgar"), Danby ("L'ange de bout dans
le soleil"), Stanfield ("Venise vue dupont de la Madonna
della salute" mais également des français
comme Géricault ("Désastre en mer")
et Valenciennes ("Mercure et Hersé").
Par cette approche, l'exposition permet également de
dégager les grandes caractéristiques de son œuvre
qui, outre la variété de sa production, aquarelles
topographiques, marines, paysages classiques et paysages antiquisants,
scènes de genre et peintures d’histoire, par une
bipolarité récurrente : deux fondamentaux, le
classicisme Claudien et la marine hollandaise, deux tendances,
le naturalisme et l'idéalisme imaginaire, deux manières,
la perpétuation du style académique, au sens de
l'imitation créatrice, et le "romantisme visionnaire". |