En ce dernier jour de l'hiver, on veut du léger, on veut du frais, on veut de l'ensoleillé au Grand Mix. Fini le temps morose et grisâtre, place aux bourgeons et autres romantismes printaniers : c'est ce que nous propose le concert de ce soir.
Premiers arrivés sur la scène, Roken is Dodelijk. Personne ne réussit à mémoriser ce nom imprononçable, que seuls quelques néerlandophones sauront traduire par "Fumer tue". Sage mise en garde de six Lillois du coin, à l'apparence d'une classe d'école : Fonzie, le leader en costume de professeur sérieux à cravate rouge, dirige ses camarades d'un air de chef d'orchestre, avant d'entraîner peu à peu la salle de 600 personnes dans son jeu. C'est qu'il a de l'humour l'instituteur, plaisantant sur l'écologie qui ne sert à rien, invitant le public à hurler au loup, le défiant à battre les Parisiens au clappement de mains... On se demande si le Grand Mix ne s'est pas transformé en salle de théâtre pour l'occasion.
Parlons musique plutôt. Il faut dire que Roken is Dodelijk a placé beaucoup d'espoir dans ce concert, le potassant en résidence toute une semaine avant la date fatidique. "Un concert, c'est comme un match de foot : pour gagner le match, l'important c'est la préparation" affirment-ils sur leur blog. En résulte un spectacle bien ficelé, dont les morceaux s'enchaînent comme autant de friandises édulcorées, interrompues par la fraîche candeur des plaisanteries du groupe.
Ce dernier maîtrise une polyphonie vocale donnant une dimension éthérée à ses morceaux folk, tantôt rêveurs comme "I believe", enfantins comme "Never", ou encore pétillants comme "Amsterdam". Une grande variété d'idées dans des mélodies fantaisistes, agrémentées de xylophone et de tambourin, sur fond visuel de projections de mobiles : on croirait le groupe droit sorti d'un film de Gondry. Le public en oublierait presque que ce n'est qu'une première partie de la soirée, traînant peut-être un peu en longueur avec plus d'une heure de concert, et rappel s'il vous plait, un touchant au revoir a capella. On leur pardonne facilement cet excès tant Roken is Dodelijk ont pu donner tout ce qu'ils avaient, réussissant à envoûter la salle dans un air de féérie enfantine tout prédestiné à accueillir Noah And The Whale.
C'est une bande de chevelus qui débarque alors sur la scène, exception faite du batteur : Art Garfunkel aurait tout à fait trouvé aux côtés de Charlie Fink, chanteur principal à la coiffure toute aussi ovine. Quelques guitares, un synthé, un violon posé dans un coin, seule manque à l'appel la voix féminine de Laura Marling, ayant quitté la formation après leur premier album. Qu'à cela ne tienne, l'atmosphère du groupe reste intègre malgré cette absence, compensée par un arrangement plus instrumental et électrique de ses morceaux.
Aux premières paroles du chanteur, on ne peut s'empêcher de penser à la voix de Bill Callahan, présent sur la même scène le mois précédent. À côté de Charlie, on retrouve Tom au violon, Doug à la batterie, et Urby jonglant entre plusieurs instruments, de la basse à l'harmonium. La magie opère au fur et à mesure des morceaux, aux airs planants de Sigur Rós dans "First days of spring" mêlés à une touche country dans les solos de violon de "Shape of my heart". Ce sont les plus anciens morceaux qui trouveront écho dans la salle, "Five years time" étant attendu de tous : difficile de trouver un spectateur immobile tant ce tube du groupe fait battre du pied et dodeliner de la tête.
Séparées de rapides remerciements, les chansons se succèdent l'une après l'autre, un peu trop vite d'ailleurs : on a en bouche une drôle d'impression d'inachevé, comme si le groupe voulait rattraper la longueur de la première partie. Le public restera au final sur sa faim, enchanté d'avoir pu pénétrer l'atmosphère merveilleuse de Noah And The Whale, déçu de n'avoir pu y goûter que 40 minutes à peine. Comme un paradis perdu aux grilles refermées un peu trop tôt. "One day you'll come back..." |