A ce qu’on dit, l’Homme a un œil pour juger, un œil pour aimer. Et Juan Carlos Lecompte l’aime son Ingrid. Il a beau répéter "je ne l’aime plus" pour se convaincre, moi je ne l’ai pas cru. Quand on n’aime plus, on ne parle plus de sa rencontre. Quand on n’aime plus, on essaie d’oublier les années passées avec cette personne aimée. Quand on n’aime plus, on regrette de s’être investi corps et âme. Ah non, ça c’est moi qui fais ça.
Lui, l’Ex d’Ingrid, il écrit deux cents pages pour raconter leur première rencontre, puis leur deuxième, puis leurs premiers rendez-vous, puis la suite de leur histoire, ses enfants à elle, les vacances aux quatre coins du monde, le mariage romantique à Tahiti, le mariage officiel devant monsieur le maire, la vie en Colombie.
Parallèlement, il nous décrit sa femme-politique déterminée à atteindre ses objectifs. Cette femme qui éloigne ses enfants menacés, pour mieux lutter contre la corruption dans son pays, cette femme qui porte le parti "Oxigéno Verde" après que son associé ait retourné sa veste, cette femme qui ne succombe ni à la peur ni à la pression. Cette femme qui lui demande de quitter son emploi pour la soutenir dans son combat pour payer la dette qu’elle croit devoir à la Colombie, celle dont son père lui parle depuis qu’elle est née, celle qu’il lui a rappelée tout au long de son enfance dorée en France.
Le 23 février 2002, Ingrid ne rentre pas chez elle, ni ce soir là, ni les suivants, ni aucun pendant six ans, quatre mois et neuf jours, jusqu’au 2 juillet 2008. Le commerce d’otages est monnaie courante en Colombie. Près de trois mille personnes sont à ce jour encore aux mains des FARC, quelque part dans la jungle. Le chiffre, scandaleux pour les européens que nous sommes, est malheureusement une réalité bien ancrée dans ce pays. Là-bas, chacun connait de près ou de loin un otage, un voisin, un ami, un oncle, un cousin, un mari, un frère, un fils... Ingrid Bétancourt luttait aussi contre ça.
Sans se poser de question, Juan Carlos Lecompte fait sienne la lutte de "son" Ingrid contre la corruption en Colombie, il poursuit sa campagne, l’inscrit aux élections, participe aux meetings, il porte aussi loin qu’il peut ses idéaux, il transporte littéralement une copie grandeur nature de sa femme en polystyrène. Lui qui n’était que l’homme derrière la femme, passe de l’ombre à la lumière, pour sauver son amour.
En même temps, à l’image des coups durs que quiconque a pu traverser, le vrai visage des prétendus amis se dévoile, des luttes intestines se déclenchent dans la famille. Chacun se console à sa manière, lui, il inonde la jungle de photos des enfants d’Ingrid. Et il l’aime dans sa campagne, il se ruine à promouvoir ses idées, encore et toujours, au rythme d’une lutte sans fin, pour qu’elle retrouve tout à son retour comme elle a dû le laisser. Parce qu’il a besoin de croire qu’elle lui reviendra, même s’il s’attend au pire.
Et le pire arrive, celui qu’il n’avait pas scénarisé dans ses fantasmes de retrouvailles. "Elle m’a juste tapoté la joue", en effet, ça fait mal. La suite, il nous décrit pas à pas comment elle s’est éloignée, ou plutôt comment elle ne s’est jamais approchée, comment il s’est senti éviscéré, ignoré, malmené même. Il ne la reconnait plus. La femme qu’il aime n’est pas celle-là. Il raconte comment il a lentement dénoué les fils de sa passion, malgré quelques nœuds récalcitrants. Les souvenirs.
Loin des "révélations" racoleuses promises par la jaquette, ce livre est une émouvante lettre ouverte d’un homme sincère, en quête de quelques heures de dialogue avec une femme qu’il respecte profondément, pour tourner la page sans rancune. Pour comprendre. A lire comme une leçon de vie sur la passion, la séparation, le manque, les grands et les petits combats que Juan Carlos Lecompte a menés pendant six ans, quatre mois et neuf jours, avec une dignité exemplaire. Parce qu’il espère encore trouver la femme qu’il aime dans cette femme distante. |