Le Centre Pompidou consacre une exposition au peintre britannique Lucian Freud qui fait couler beaucoup d'encre et déchaîne notamment certains critiques qui sont les dignes successeurs de ceux du 19ème siècle dont le manque de clairvoyance, de discernement et de mesure, ramène à leur juste valeur leurs jugements qui, heureusement, glissent sur l'histoire de l'art comme l'eau sur les plumes d'un canard.
Ainsi la peinture de Lucian Freud, 88 ans, petit-fils de Sigmund Freud, issu de l’École de Londres caractérisée par la pratique d'une peinture figurative, qui a détrôné Jeff Koons pour le titre de peintre le plus cher du monde et peint quasi exclusivement des nus pour le moins saisissants, est-elle dénoncée comme une peinture obscène, décadente, voire académique, le tout étant résumé par cette sentence définitive : "Ce n’est pas de la bonne peinture".
Cela étant, et nonobstant, l'exposition "Lucian
Freud - l'atelier", conçue par la commissaire de l'exposition
Cécile Debray, constitue un événement
exceptionnel en proposant une rétrospective privilégiant toutefois,
avec les grands nus, des tableaux majeurs relativement récents,
qui proviennent quasiment tous uniquement de collections privées.
Dispensé de toute scénographie, l’accrochage sur cimaises blanches est ordonné en quatre sections thématiques qui mettent en évidence les deux grandes caractéristiques du travail du peintre que sont le travail exclusif en atelier et le registre quasi obsessionnel du portrait et du nu.
Le corps et la chair
"Intérieur/Extérieur"
regroupe quelques toiles représentant des fragments d’atelier
comme des natures mortes ("Two Japanese
wrestlers by a sink") ou des extérieurs vus de l’atelier
et "Reprises" atteste de la démarche classique du peintre qui
interroge la peinture en procédant à de relectures des maîtres
de Chardin à Cézanne qu’il parfois en collage dans une autre
toile.
La section "Réflexion" est consacrée aux autoportraits qui constituèrent sa matière première et récurrente avant qu‘il ne s‘attache à la figure de l‘autre, autoportraits qu‘il travaille depuis toujours et sous tous les angles : en contre-plongée ("Reflection with two children" retenu comme visuel de l‘exposition), en image dans le miroir ("Interior with hand mirror"), en apparition derrière une plante ("Interior with plant") ou en pied, nu au travail ("Painter working").
L’exposition
fait la part belle aux toiles postérieures à 1990, présentées
dans la section "Comme la chair", qui, au-delà du réalisme ou
de l’expressionnisme, marquent ce que le peintre définit lui-même
comme une intensification du réel ("Two men in the studio",
"Girl in Attic doorway").
Qui s'opére par observation quasi-biologique, dans le
huis clos de l‘atelier, les corps des mêmes modèles mis en scène
("Je travaille à partir de personnes qui m'intéressent, auxquelles
je suis attaché et auxquelles je pense, à l'intérieur des pièces
où je vis et que je connais").
Point
de beauté lisse et jeune ni de physiques parfaits mais des corps
maigres ou obèses, des chairs musculeuses, ridées, blafardes
ou ulcérées qui, saisies à l’état brut, heurtent le regard ("Evening
in the studio", "Nude with leg up",
"Standind by the rags" et "Benefits
Supervisor Sleeping").
Questionnement radical sur le beau et le laid, sur le monde
visible (l’homme, l’animal son chien Pluto, le végétal, plante
ou motif dans le tissu) avec ses composantes et sur le corps-matière,
composé d’empâtements rugueux, cette exposition propose une
expérience sensorielle et émotionnelle unique tant la peinture
qui palpite comme "une matière organique et vivante" représente
des corps qui ne répondent pas aux canons esthétiques contemporains
véhiculés, imposés, par les médias, la mode et une société épouvantée
par la vieillesse et la mort. |