Carte
blanche à Michel Lopez donnée par la ligue d'improvisation
française.
L'improvisation, on en imagine des tas de choses. Personnellement,
je n'avais été confronté à cela
jusqu'à présent que par quelques reportages ou
autres récits d'amis ayant séjourné au
Québec, pas assez pour en parler, trop pour ne pas avoir
d'a priori.
Mais ce soir, pas d'accent québécois, pas de
ring ni de tenues de sport. Pas davantage d'arbitre en maillot
rayé. A la place, s'il y a bien deux équipes,
il n'y aura pas d'affrontement et les arbitres sont remplacés
par des jurés très critiques. Le tout sur une
grande scène dans un immense magic mirror auquel on pourra
seulement reprocher le peu de visibilité pour le public
qui n'aura pas eu la chance d'être ni au premier rang,
ni dans les boxes surélevés, la scène étant
au même niveau que les chaises.
Cet inconvénient mis à part, le lieu est très
agréable tenant tant du cirque, que du cabaret. Nous
patientons en regardant une jeune fille assise au milieu de
la scène qui joue à un jeu de construction en
bois élaborant de hautes tours... jusqu'à la chute.
Derrière elle, un écran projette d'étranges
messages, surmontés d'un numéro de portable. On
apprend vite, grâce au flyer distribué à
l'entrée, qu'il est de notre devoir d'envoyer un sms
au numéro proposé (un numéro normal, non
surtaxé, ce qui est plus qu'appréciable) afin
que s'ajoute à la ribambelle de messages, le nôtre.
L'ensemble constituant par la suite ni plus, ni moins que la
base des sujets dans laquelle les comédiens piocheront
à l'aveugle par la suite afin de lancer leurs improvisations.
Les comédiens justement, pièce maîtresse
d'un spectacle sans décor et sans mise en scène,
arrivent sur scène du fond de la salle en claquant des
mains et des pieds. Ils se divisent ensuite en deux équipes
de six personnes et offrirons à tour de rôles de
courtes impros tandis que l'autre équipe se reposera
sur un banc au bord de la scène, rappelant ainsi la tradition
de l'impro "classique".
Il faut savoir aussi que l'équipe comporte un musicien,
d'un côté un saxophoniste accessoirement au ukulélé
et de l'autre un accordéoniste accessoirement au melodica.
Le décor est planté, le spectacle peut commencer.
Dos à l'écran géant, un des membres de
l'équipe doit choisir un thème au hasard en "l'attrapant
au vol" parmi tous les sms envoyés par le public.
A peine le sujet connu, la troupe démarre son impro.
D'abord seul, un des comédiens lance le thème
sans concertation aucune avec ses coéquipiers qui, pendant
ce temps, tentent en coulisse de comprendre où veut en
venir l'instigateur du thème afin de lui venir en aide,
dans une mise en scène pour le moins en temps réel
puisque l'absence de concertation oblige chacun à deviner
le dessein des autres et rebondir dessus pour enrichir la scène.
Cela donne lieu à de curieuses situations et nous aurons
droit à une belle démonstration, tout au long
du spectacle, des prouesses et des tours de passe-passe dont
chaque comédien est capable.
Ainsi se succéderont ce soir là (car improvisation
oblige, chaque soirée offrira une vision différente
du spectacle) un metteur en scène dirigeant ses acteurs
dans une scène absurde dans une langue imaginaire, une
mère incestueuse vue à la fois alors qu'elle était
enceinte et 20 ans après alors que son fils sort de prison,
le maire d'un village accueillant des maliens, des enfants aux
parents alcooliques (sur le thème de départ ayant
pour titre "touché coulé", il faut avoir
l'imagination fertile et galopante) mais aussi des improvisations
musicales et des improvisations inspirées du théâtre
avant-gardiste.
Dit comme cela, on semble loin des impros que l'on imagine
tourner à la gaudriole par facilité et il faut
avouer effectivement que l'on est parfois cueilli par plus d'émotion
que de rire même si, d'autre part, on rit beaucoup à
la fois des situations jouées certes mais aussi, et je
crois que c'est une dimension forte dans l'impro, de la situation
des comédiens eux-mêmes parfois bien surpris et
embarrassés par leurs partenaires.
On rit également beaucoup de la rivalité des
très sérieux juges, forcément jamais d'accord
mais eux aussi à l'esprit vif et aux bons mots toujours
très à propos, parfois justes, souvent de mauvaise
fois mais toujours avec un grand sens de la répartie.
Individuellement, les comédiens sont débordants
d'énergie et de créativité même si
parfois on craint qu'ils ne cèdent à la facilité
comme sur le thème, il est vrai difficile, "la pire
amibe de Kheops" transformée en une courte chanson
ou encore "la fête du slip" traité sobrement
en 2 minutes.
Mais la râleuse du sketch "les parisiens",
le père alcoolique de "touché coulé"
ou le baigneur de "elle est sympa ta soeur mais euh...",
offraient au public tant de drôlerie, d'émotion,
d'absurdité que l'on pardonnera aisément quelques
baisses toutes relatives de régime.
Au final, cet "ÉTAT BRUT ou l’arrogance des
muses pubères" est un spectacle qui permet aussi
bien de découvrir le théâtre d'impro et
se rendre compte que, plus que des clowneries, c'est avant tout
du théâtre fait par des comédiens de talent,
que de se conforter dans l'idée que le spectacle vivant
est aussi ailleurs que dans des théâtres trop beaux
ou trop protocolaires. La Ligue d'Improvisation Française
en ce sens participe à la démocratisation et la
désacralisation de cet art. Mais surtout, on ressort
de ce spectacle avec une énergie nouvelle et une bonne
humeur et un optimisme rare, raisons déjà largement
suffisante pour se laisser surprendre par la Lifi. |