On avait découvert Narrow Terence sur scène ; et l’on peinait encore à croire qu’ils étaient français, tant leur musique, anglophone, se pare des couleurs d’un ouest lointain. On est heureux de retrouver sur leur deuxième album, Narco Corridos, toute l’énergie folk / noise / lo-fi qui nous avait ravi en première partie des bien plus lisses Revolver.
Construit autour de deux frères multi-instrumentistes et autodidactes, Antoine et Nicolas Puaux, enrichi d’un violon et profitant, à la batterie (mais pas seulement) de l’expérience de Stéphane Babiaud (EZ3kiel), le projet Narrow Terence s’impose avec ce nouvel opus comme une formation de qualité, pour ne pas dire : importante, alternative crédible à toutes les bandes de beaux-gosses épris d’une pop jolie, trop jolie, elle aussi anglophone, et facile à digérer. Un peu de rugosité n’a jamais fait de mal à personne et si l’on doit tituber, que l’on titube, comme aviné sur des jambes trop longues et trop maigres.
Il faut néanmoins commencer par une réserve importante : si l’album regorge d’excellents morceaux, il peine un peu, sur la longueur, à trouver son unité. On explorera en effet des univers sonores très différents, servis par des instrumentations variées et même des approches très différentes du chant. Si l’on avait réussi, sur scène, à suivre la trame du ballet de ces multi-instrumentistes, on aura tendance, sur disque, à se laisser plus facilement égarer.
Chaque défaut ayant ses avantages propres, on aura la joie de voir le quintet démontrer toute l’étendue de sa maîtrise sur des pièces aussi délicieuses qu’un rock empressé tarantinesque (l’éponyme "Narco Corridos"), toute une déclinaison d’œuvres dignes du grand Tom Waits (la marche éléphantesque de "Weakness of the sheep" ; le rock récitatif de "Love" ; et surtout la magnifique ballade "The man who thinks"), ou quelques moments de bravoure folk-metal (l’épaisseur de "Wet dead horses" ; le pas empressé de "Bottom bitch" ; le tout dans un farfouilli pas forcément loin, dans l’inspiration, d’un Mr Bungle)…
Amplement de quoi passer d’excellents moments, donc. Et si l’album connaît, en son milieu, un léger creux d’intensité, les (très) bons moments suffisent amplement à dépasser toute critique. La musique de Narrow Terence doit se penser comme un visage ridé, buriné par le soleil, travaillé peut-être par l’alcool. Le charme, l’authenticité et une certaine puissance contre une beauté lisse et vide, contre l’idée même d’une plastique. L’anti-pop, en somme ; la face spaghetti du Western plutôt qu’un ouest doré, idéalisé, pour chevaliers de cuir bardés au sens de l’honneur impeccable. Que cela tonne et gronde ! |