L'histoire se souviendra-t-elle de Rien ? À n'en pas douter. Les deux premiers albums de la formation grenobloise avaient déjà faits forte impression, sa dissolution programmée risque fort de marquer les esprits à son tour.
Retour sur ce petit événement proche du néant : en février 2010, Rien, qui était né en 1994 sur le coup de tête d'un événement unique qui aura finalement duré plusieurs années, décide de cesser d'exister. S'entame alors une fin de bio-discographie en forme de compte à rebours, initiée par l'EP 3, auquel devront succéder 2 puis 1, avant que le groupe, en 2014, ne se dissolve dans le néant. Pendant la période des soldes. Au Japon. C'est eux qui le disent.
On retrouve bien dans cette espèce de canular pluriannuel tout l'esprit du quartet, qui prolonge ainsi comme par l'exemple la réflexion déjà cachée au creux du titre de son deuxième album (Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir. Dont acte). On y trouvera surtout l'occasion de se réjouir de la trilogie à venir, ambitieuse s'il en est. On se rassurera aussi en réalisant qu'une telle planification n'aura en rien tué la spontanéité du projet, puisque le disque, décidé en février, a été enregistré en mars et publié dans la foulée par l'Amicale Underground. Bref : on a amplement de quoi jubiler.
Du haut de ses vingt cinq minutes, ce troisième opus / premier moment d'un décompte à trois temps ne manque pas d'aplomb. Il témoigne toujours de la part de ses auteurs du même sens délicieux d'une musique baroque, insouciante des frontières, des genres, des codes musicaux, où l'humour n'hésite pas à le disputer à l'intensité. Le sens de ce que devrait être le "post-rock", à nouveau enfin : une musique riche, inventive, surprenant, virtuose un peu, dans la composition, pleine d'une fureur plus folle qu'encolérée, toute de grandiloquence et aussi de dérision, à distance d'elle même, mais à la juste distance.
Le disque s'articule en quatre pistes mais, comme toujours avec Rien, l'ensemble est surtout enchaîné de façon à former un ensemble cohérent. Une approche cinématographique ou radiophonique de la musique, en quelque sorte, qui rend à la notion d'album ou, ici, de mini-album ses lettres de noblesses. Une œuvre d'auteur, en tout cas, et pas l'une de ces productions sériées que l'on nous vendrait. D'ailleurs on ne nous le vend pas puisque, comme toujours avec l'Amicale Underground, on aura le choix entre achat de l'édition limitée et téléchargement gratuit & légal. Parce que l'art, la musique, sont certainement au-delà des débats sur la propriété. Parce que l'art est œuvre avant d'être marché et que certains n'ont que faire de devenir marchands.
Rien appartient à cette famille des immenses petites formations françaises. Celles qui, plutôt que d'être montantes (c'est à dire : passagère, curiosité de foire aux bestiaux musicaux), ont choisi de maintenir leur niveau d'exigence, de durer, loin du buzz d'un succès trop médiatique pour être honnête, dans cette zone créative un peu underground que les radars d'une pseudo-culture de masse ne balayent pas véritablement. Une scène importante, où les Microfilm, Absinthe (Provisoire) et autres Snobs s'épanouissent depuis des années, proposant sans doute aucun les meilleurs disques de l'histoire de France d'une musique qui viendrait du rock, d'une façon ou d'une autre.
Encore un autre disque incontournable pour une formation indispensable, tout simplement. |