Tragédie
de Théophile de Viau, mise en scène Benjamin Lazar,
avec Lorenzo Charoy, Julien Cigana, Benjamin Lazar, Anne-Guersande
Ledoux, Louise Moaty, Alexandra Rübner et Nicolas Vial.
Après le magnifique voyage dans le temps et le surréalisme
cosmique de "L'autre monde ou les états
et empire de la lune" adapté d'un écrit d'un auteur du
Siècle des Lumières, Savinien de Cyrano de Bergerac, qui s'était
joué sur cette même scène du Théâtre Athénée-Louis Jouvet en
2008, Benjamin Lazar, comédien et
metteur en scène formé à la déclamation et la gestuelle baroques,
puise de nouveau dans les auteurs inconnus ou méconnus du 17ème
siècle.
Cette fois-ci, dans le répertoire théâtral, pour offrir au
public un voyage au pays de l'embrasement du coeur et des sens
avec "Les amours tragiques de Pyrame
et Thisbé" du poète et dramaturge Théophile
de Viau .
Cette tragédie met en scène l'amour contrarié de Pyrame et Thisbé, épris d'un amour très chaste mais également terriblement sensuel, les deux composantes d'une passion dévorante, qui leur fait braver toutes les oppositions et autorités que représentent leur famille respective, le roi despote qui veut exercer son droit de préemption sur la jeune fille et même Dieu puisque, à l'instar des légendaires Roméo et Juliette, seule la mort peut les unir éternellement.
La pièce est présentée selon les règles du théâtre du baroque, un jeu lent et frontal, avec la langue d'un autre siècle, le vieux français, et un art déclamatoire fort éloigné de l'élocution ordinaire qui, de surcroît, s'accomplit dans le respect d'une gestuelle symbolique, une véritable chorégraphie, extrêmement codifiée aux antipodes du "jeu naturel". Il s'agit davantage d'un jeu formel qui, à mi-chemin entre distanciation et incarnation, se met au service exclusif des mots, et de leur pouvoir de création de sens comme d'imaginaire, portés par le lyrisme du verbe, la puissance des alexandrins et la maîtrise technique des comédiens.
Ce qui demande, bien évidemment aujourd'hui, non seulement un léger temps d'accoutumance mais implique également une qualité d'écoute tout à fait particulière qui permet au spectateur d'être littéralement transporté non seulement dans un autre espace-temps mais également dans un autre monde.
Et point de décor illustratif pour distraire le regard. Le décor, c'est la lumière, apprivoisée par Christophe Naillet, qui émane des bougies de la rampe fixe, qui constituait l'éclairage traditionnel du théâtre classique, et d'un dispositif mobile, manipulé à vue, qui configure les espaces et module les atmosphères lumineuses. Un éclairage somptueux, vivant, chatoyant qui irise les visages blancs dépourvus d'affect, fait miroiter les ors discrets et le noir profond de somptueux costumes créés par Adeline Caron et centre toute la scénographie sur le corps des officiants qui apparaissent tels des portraits du siècle d'or espagnol dans des clairs-obscurs caravagesques.
Officiants car ce spectacle absolument singulier, dispensé par des comédiens à la maîtrise ébouriffante (Lorenzo Charoy, Julien Cigana, Anne-Guersande Ledoux, Nicolas Vial et Alexandra Rübner Narbal), ressortit à la magie du théâtre au sens premier du terme.
Avec la troupe de sa compagnie, le Théâtre de l'Incrédule, Benjamin Lazar, avec la collaboration artistique de Louise Moaty, tous deux jouant les rôles titres, signe, une fois encore, un spectacle d'une qualité exceptionnelle et totalement admirable. |