Avec
le joli mois de mai, Jean-Laurent Cochet
fait encore, et toujours, ce qui lui plaît, et c'est le
privilège de ceux qui savent ce qu'ils veulent faire
et s'y consacre corps et âme.
Non seulement il continue ses cours à Paris et en Vendée
et donne régulièrement ses cours public d'interprétation
dramatique à la Pépinière Théâtre
à destination d'un public fidèle chaleureux, parmi
lequel se glissent discrètement, de plus en plus, des
gens de la profession et des comédiens connus mais il
incarne, tous les soirs au Petit Théâtre de Paris,
Philaminte dans "Les femmes savantes"
mises en scène par Arnaud Denis qui fût un de ses
élèves.
Et nourrit bien d'autres projets dont certains seront dévoilés
au cours de cet entretien qu'il a la gentillesse de nous accorder
en nous recevant dans son appartement parisien.
J'ai consulté le nouveau site des Cours Cochet, qui
a été élaboré par Pierre Delavène,
et j'ai constaté que vous aviez programmé des
stages pour enfants.
Jean-Laurent Cochet : Nous faisions déjà des
stages pour adultes et Pierre a eu l'idée d'en programmer
un pour les enfants. Ce stage s'est très bien passé.
Les enfants ont été confiés à Amélie
Parias avec Pierre Cachia et ils ont été ravis
au point où même une d'entre eux qui n'a pas douze
ans s'est inscrite au cours du samedi.
En quoi cela consiste-t-il ?
Jean-Laurent Cochet : Ce stage est identique à celui
organisé pour les autres élèves. On commence
avec les fables et à leur faire approcher les textes.
Et nous réitérerons donc la saison prochaine tout
en continuant à proposer de stages pour les adultes.
A quelle catégorie de personnes ces derniers s'adressent-ils
?
Jean-Laurent Cochet : Ce sont des gens qui s'inscriraient aux
cours en semaine si leur emploi du temps leur permettait ou
qui sont géographiquement éloignés de Paris.
Ce sont des personnes qui ont envie de devenir comédien
?
Jean-Laurent Cochet : Pas tous mais il y a quand même
un peu de cela derrière.
Les cours de la saison 2009-2010 vont bientôt s'achever
avant la période estivale. Avez-vous quelques événements
à annoncer pour juin ?
Jean-Laurent Cochet : Pour la Vendée
la clôture de la saison se déroulera à Luçon
le 24 mai 2010 au très joli Théâtre de Millandy
pour présenter les élèves dans un florilège
de textes, contrairement à l'année dernière
où il y avait un thème particulier avec l'oeuvre
de Jean Anouilh. Il s'agira d'une master classe où tous
les élèves passeront de belles choses et des choses
très différentes. Pour Paris, les deux cours publics
des 31 mai et le 7 juin 2010 seront réservés aux
élèves que le public n'a pas l'habitude de voir
et qui sont les élèves du soir et du samedi. Ce
sera donc un nouvel éventail d'élèves de
tous âges et de toutes provenances.
Pour l'année prochaine, il y a une chose
très importante et qui me tiens très à
coeur : en plus de la Vendée, nous ferons exactement
le même travail à Lattes qui est un ravissant petit
lieu jouxtant Montpellier où j'ai joué "Les
femmes savantes" dans un très beau petit théâtre
et où j'ai déjà fait quelques cours publics
qui ont enthousiasmé une clientèle de toute provenance,
dont beaucoup de jeunes, des comédiens et des professeurs.
Nous y ferons donc régulièrement des master classes
où j'alternerai avec Pierre Delavène parce que
je continuerai à aller en Vendée et donc cela
ferait beaucoup car tous les lundis de l'année sont occupés.
Par ailleurs Il y aura également des
manifestations et des auditions et nous allons redonner pour
une représentation avec Pierre "La correspondance
inattendue de Paul Roulier-Davenel". Mais je suis vraiment
ravi d'aller à Lattes car il y a un groupe de gens merveilleux
dirigé par une femme remarquable, intelligente, vive,
une battante, qui a beaucoup de goût et qui est une femme
de théâtre qui nous réserve un accueil formidable.
Pour les master classes en Vendée désormais pérennisées,
certains des élèves sont-ils entrés dans
le métier notamment au plan régional ?
Jean-Laurent Cochet : Les débouchés y sont assez
restreints donc ils travaillent dans des petites compagnies
au plan local, certains travaillaient déjà avant
de venir au cours pour se perfectionner. Mais il y a surtout
ceux qui nous ont rejoints à Paris : il y a une belle
petite Bérénice Bala avec Romain Trichereau, Bérénice
Bala, Benoît Adet, Thomas Gauthier et Dominique Berezowski.
C'est très productif.
Vous évoquez nominativement certains élèves
et le public en a découvert, lors de la dernière
master classe, un qui porte un nom célèbre Giovanni
Castaldi.
Jean-Laurent Cochet : Ah le petit Castaldi ! Il est délicieux;
C'est amusant car il entre à mon cours à l'âge,
à quelques mois près, auquel son père y
était entré et surtout au moment où je
vais jouer, en principe, il faut rajouter cela maintenant, en
début de saison prochaine avec son père Jean-Pierre
Castaldi "Tu m'as sauvé la vie" de Sacha Guitry.
La question n'était bien sûr pas innocente puisque
je voulais demander l'état d'avancement de ce projet
dont vous nous aviez déjà parlé.
Jean-Laurent Cochet : Il ne lui manque plus que la signature
du directeur du théâtre et des producteurs. Ce
serait pour démarrer, comme nous l'avions fait pour "Aux
deux colombes", dans les derniers jours d'août 2010
au Théâtre des Nouveautés. J'espère
y retrouver Catherine Griffoni, Anne-Marie Mailfer, et Pierre
Chaillet, donc une distribution de gens qui s'aiment.
Restons dans l'actualité théâtrale avec
une pièce qui se joue actuellement à la Pépinière
Opéra et que vous avez conseillée aux spectateurs
"Oxu" avec Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et
Grégoire Oestermann.
Jean-Laurent Cochet : C'est un emballement
! Je crois qu'il s'agit de leur second spectacle : ils avaient
présenté "Xu" et maintenant c'est "Oxu"
et il faut surtout pas nous demander ce que ça veut dire,
car cela n'a pas d'importance. Il ne faut pas non plus nous
demander ce que cela raconte, parce que ça ne raconte
rien. Il faut y aller, découvrir comment ce trio est
parti d'un éclatement verbal qui n'est absolument pas
racontable, à part un moment épique qui fait le
cœur du spectacle. Christine Murillo, qui est une comédienne
géniale, y raconte "Le voile bleu" (Ndlr :
film tourné en 1942 par Jean Stelli avec Gaby Morlay
et Elvire Popesco) qui figure parmi ses souvenirs d'enfance
et elle pleure, parce que, à chaque fois qu'elle le raconte,
cela la fait pleurer.
C'est un moment d'anthologie extraordinaire
et elle y est étonnante. Les deux garçons sont
très bien aussi et on finit par se trouver devant des
situations théâtrales où il se passe des
choses, où il y a une action même si on ne sait
pas laquelle, des propos tenus mais on ne sait trop lesquels.
Mais cela vit devant nous. C'est toujours drôle, c'est
poétique, inattendu, original, insolite. On passe une
heure et demie de bonheur. Entre "T'es à la menthe
ou thé citron" et ce spectacle à la Pépinière
Théâtre les gens peuvent vraiment aller se divertir
au théâtre cette saison. Il n'y a pas grand chose
d'autre mais alors ça c'est exceptionnel.
Christine Murillo ne figure pas parmi vos anciennes élèves
mais avez-vous eu l'occasion de travailler avec elle ?
Jean-Laurent Cochet : Non pas du tout; Même
au Français, si je me souviens bien, on n'a fait que
se croiser : j'étais déjà parti quand elle
a été engagée et elle-même n'est
pas restée très longtemps. J'avais fait travailler
sa sœur, Catherine Salviat, qui est une ancienne élève
à l'époque où elle était au Conservatoire.
Non, nous ne nous sommes jamais croisés, d'ailleurs c'est
un de mes désirs que de trouver la pièce, la circonstance
pour jouer avec elle car c'est un bonheur que de la voir vivre
sur un plateau ; c'est intelligent, savoureux, personnel.
Elle est vraiment très rare, de la dimension,
même supérieure, à une Kathy Bates en Amérique
Quand on a ça chez nous, dès qu'il y a un individu
qui dépasse les autres quand on ne s'emploie pas à
lui couper le cou, il est vraiment tout à fait à
part. Elle est d'un style qui n'appartient qu'à elle.
C'est merveilleux. C'est drôle, ça rebondit sans
arrêt ,chaque phrase est drôle mais sans être
racoleur, sans faire de l'étrange systématiquement,
c'est d'une sève et d'une joyeuseté extraordinaire.
Vous l'avez vu ?
Oui, tout à fait. Et ce qui est étonnant
c'est le point de départ de ces spectacles qui sont nés
de leurs divagations philosophico-linguistiques en aparté
qui n'étaient pas destinées, au départ,
à être représentées sur scène,
et qui ont également été éditées.
Jean-Laurent Cochet : Sous le titre "Le Baleinié
: Dictionnaire des tracas". Et il faut s'y plonger.
Pour rester dans les grandes pointures selon le vocabulaire
journalistique, passons de Christine Murillo à Gérard
Depardieu, qui a été un de vos élèves
et qui est actuellement à l'affiche d'un film que vous
recommandez, "Mammuth" de Gustave Kervern et Benoît
Delépine.
Jean-Laurent Cochet : C'est un bijou et ça
aussi c'est difficile à raconter parce que c'est tellement
insolite et tellement original. Il y a toutes les couleurs là-dedans.
Il y a des moments qui pourraient presque atteindre, pas le
graveleux, mais choquer à cause de certains mots, et
puis à certains moments c'est poétique. C'est
une œuvre qui, dans le bon sens, ne ressemble à
rien. C'est fait pour des comédiens et ça raconte
quand même une histoire, celle d'un type, le rôle
que joue Gérard, qui a besoin de toucher sa retraite
et qui n'a pas tous les papiers nécessaires.
S'ensuit alors une sorte de road-movie où
il part dans tous les endroits où il a travaillé,
ce qui lui donne l'occasion de rencontrer des tas d'individus,
de retrouver des gens qu'il a connu et on se retrouve dans les
situations les plus inattendues et les plus cocasses - moi ;
j'ai ri comme un malade - et en même temps c'est très
violent, fort, puissant et c'est une critique - sans dire "on
a fait la critique de ceci" - de ce monde moderne où
les gens ne sont pas au courant face aux formalités.
Comme la déclaration d'impôts ils ne peuvent pas
la remplir car ils ne savent pas, ces téléphones
où on vous dit appuyez sur le 1 si vous voulez avoir
le 2, appuyez sur 3 et on vous rappellera demain, allez sur
le site et il ne comprend pas parce qu'il est devant une maison
et il dit je suis sur le site etc… Alors cela donne lieu
à des choses irrésistibles, il n'y a pas un mot
qui ne soit pas une critique de cette manière de vivre
accrochée au portable.
Et
il y a des comédiens, dans une chose tout à fait
à part qui est greffée sur le film, qui est la
partie pathétique du film où c'est Adjani qui
est merveilleuse de beauté, de présence mystérieuse,
et puis à côté de Gérard qui est
époustouflant. Et c'est tourné d'une manière
étonnante car on nous fait assister à tout ce
à quoi lui assiste et il est presque toujours photographié
de dos ce qui est une trouvaille aussi et il y en comme ça
je ne sais combien dans le film. Et puis, et puis, cette comédienne
que l'on connaît bien maintenant, Yolande Moreau, qui
est une femme, pas tout à fait comme Christine Murillo,
mais dans un style un petit peu plus particulier et insolite,
aussi une comédienne rarissime.
Personne ne fait ce qu'ils font et c'est ce
qui est extraordinaire et que j'aime chez les comédiens.
Et je pensais l'autre jour à deux comédiens ou
plutôt à un comédien et un acteur. L'acteur
est très connu, c'est presque fatal comme il est un peu
plus vulgaire c'est lui qu'on connaît. L'autre est un
comédien un peu connu mais on n'en parle pas autant.
Et je me disais toute la différence pourtant est que
l'acteur connu serait incapable de jouer ce que joue le comédien
alors que le comédien pourrait jouer, les doigts dans
le nez, n'importe lequel des emplois de l'autre. Mais c'est
comme ça, c'est des rencontres, la façon qu'ont
les choses de se dérouler.
En tous cas, nous avons été très
gâtés au cinéma avec de bons films en pagaille
absolument merveilleux où tous les grands acteurs américains
défilaient c'était beau, intense, et original
et en ce moment sort "Robin des bois" de Ridleyr Scott
avec Russel Crowe et Cate Blanchett et on reste pantois devant
l'intelligence, toujours l'intelligence, qu'ils mettent même
pour des films qui sont du divertissement pur, des grandes machines
à guerre et à cavalcade. C'est réalisé
sur un plan technique et un dosage et si il y a des effets numériques
ce n'est pas fait de manière ostensible, on ne les voit
pas tant on est pris dans le jeu, et on ne veut pas savoir s'il
y a eu l'appui d'un moyen technique pour ce.
C'est du grand cinéma et qui permet
quand même aux acteurs de jouer la comédie. Ce
qui est absolument étonnant. Russell Crow est un admirable
comédien qui a rarement été, comme dans
ce film, aussi loin dans la rigueur et la délicatesse.
Cate Blanchett est une femme qui peut tout jouer, et elle joue
tout d'ailleurs. Et tous les autres acteurs sont admirables.
On peut même dire, pour une fois que ça ne fait
pas tâche, il y a une petite française, qui joue
la fille du roi de France, qui est ravissante et délicieuse
et joue très juste, dont je ne me souviens plus du nom
mais dont je me souviendrai pour la prochaine fois (ndlr : il
s'agit de Léa Seydoux).
Nous avons parlé du cours, des comédiens, des
comédiens qui ont été vos élèves
et je voudrai évoquer avec vous votre dernier livre en
date "L'art et la technique du comédien" …..
Jean-Laurent Cochet : Je vous interromps, pardon, mais avant
d'enchaîner dans ce nouveau sujet, puisque nous parlons
des choses qu'on a la chance de voir à Paris et des retrouvailles,
j'ai retrouvé avec bonheur, malheureusement dans un spectacle
très moyen sur le plateau, puis ensuite dans sa loge
- ce qui n'est pas la moindre des choses - Robert Hirsch. Il
a, dans ce mauvais Goldoni (ndlr : "La serva amorosa"),
un numéro à part et à 85 ans il a encore
plus de juvénilité que tous les gens de la nouvelle
génération. C'est le grand clown shakespearien
admirable. Et ce fut un grand moment de bonheur.
Nous ne l'avons jamais évoqué au cours de nos
entretiens. En voici l'occasion.
Jean-Laurent Cochet : Il est de la génération
précédente, il a exactement dix ans de plus que
mois. Je l'ai toujours admiré et nous nous sommes très
vite liés, connus amicalement et intimement au cours
de toutes les tournées que nous avons faites ensemble
avec le Français. Ca été des moments de
bonheur et de rire, de sketchs incroyables car il est toujours
dans un état d'imagination et d'invention extraordinaires.
Oui, je l'ai beaucoup connu au Français puisque nous
y étions ensemble jusqu'au jour où j'ai fait plus
que jouer avec lui où j'ai repris - cadeau empoisonné
mais ça s'est très bien passé - son rôle,
celui du fameux Bouzin, dans "Le fil à la patte"
de Feydeau quand il a eu son zona. C'était difficile
d'autant qu'on m'avait obligé à prendre exactement
la même silhouette, le même maquillage et les mêmes
raclements de gorge pour être copie conforme, ce qui n'était
pas facile pour moi car lui avait fait cela avec sa nature,
et je n'ai pas toutes ses inventions, enfin, c'était
néanmoins amusant de se couler dans le moule. Et puis,
arrivé au 3ème acte, le personnage a beaucoup
plus de liberté, il envoie tout valdinguer, alors là
je pouvais retrouver un peu d'abandon.
Et de jouer ça avec Jacques Charon,
Jean Piat, Denise Gence, Micheline Boudet, Marthe Alycia, c'était
une grande époque. Même si dans l'interprétation
de certains acteurs on pouvait dire "Ah ça peut
se jouer autrement et ça aurait dû se jouer autrement",
il y avait un esprit de troupe avec un modèle de rythme
et, au summum de cette équipe, il y a avait cette espèce
de clown tragique phénoménalement drôle
qui pouvait tout jouer, et qui a tout joué, quelquefois
avec excès - je pense à son Sosie dans "Amphitryon"
- mais c'était Hirsch. Alors on acceptait, on ne voulait
pas savoir si tout d'un coup un extrait de Wagner se baladait
dans Erik Satie mais c'était admirable. Il a eu du génie,
on peut le dire car il a été créateur en
même temps : interprète mais re-créateur
de tous ces personnages. Dans "Le fil à la patte",
Charon ne le dirigeait absolument pas. Ce n'est pas qu'il ne
s'y prêtait pas, c'était un homme docile, mais
il avait dessiné son personnage et il avait dit comment
il le voyait et s'est entièrement imposé à
l'œuvre et au metteur en scène.
J'ai revu cette pièce il y a quelques
jours au Théâtre Mouffetard qui propose des cycles
de théâtre télévisé où
l'on repasse des grandes œuvres théâtrales
qui ont été filmées à la grande
époque de la télévision par des gens comme
Stellio Lorenzi. Il s'agissait d'un "Au théâtre
ce soir" avec la grande distribution - malheureusement
moi je n'y étais pas car j'avais déjà quitté
le Français - mais nous avions pu revoir Robert. Et c'est
délirant, c'est hors norme et cela fait plaisir de le
revoir, 50 ans après, être resté le même.
C'est une chose honteuse par exemple, puisque ça existe
cela va peut être s'arrêter bientôt - je parle
des Molières étant donné que ça
n'a jamais eu aucun intérêt, en a de moins en moins
et n'intéresse plus personne - une année, il l'avait
eu pour un second rôle parce qu'il jouait Oronte dans
"Le misanthrope" qu'on considérait comme un
second rôle, ce qui est une "connerie " sans
nom, sans parler du fameux S qui continue à défigurer
le nom de Molière comme s'il pouvait se mettre au pluriel.
A ce propos, Laurent Terzieff que j'aime beaucoup,
qui est un homme exquis et qui a fait une très jolie
carrière, mais il faut quand même souligner qu'il
n'a jamais monté aucune pièce française.
Il s'est cantonné dans un répertoire tout à
fait marginal, qui commence à se démoder d'ailleurs,
et lui-même a toujours joué la comédie d'une
façon séduisante, attractive, parce que c'est
un personnage. Il est beaucoup plus un personnage qu'un comédien.
Ainsi tout ce qu'a joué Terzieff, Hirsch l'aurait joué
comme des broutilles Tandis que Laurent, et bien d'autres, n'aurait
pu jouer le moindre rôle créé par Robert.
Et ce n'est pas seulement une question de moyens et d'emploi
mais de dimension. Mais je ne veux pas avoir l'air de dire du
mal de Laurent qui est un grand honnête homme, un homme
intelligent qui a toujours bien servi son art avec modestie,
mais les gens n'ont aucun discernement. On ne vit pas à
une époque de discernement et c'est peu dire.
Oui, vous me parliez du livre dont il ne faut
pas oublier le sous titre, "Comme un supplément
d'âme", qui, si on m'avait écouté,
aurait été le titre parce que c'est ce qui s'applique
beaucoup plus au livre avec l'art et la technique du comédien
dont on parle bien évidemment. Mais il n'y a pas que
cela car c'est au cœur d'un éclatement de différentes
choses.
Vous aviez évoqué à ce
micro la sortie de ce livre et la façon dont il avait
été conçu suite à une retranscription
travaillée et réécrite d'entretiens que
vous aviez eu avec Jonathan Ryder, qui a été un
de vos élèves, mais également de la manière
dont il est composé imbriquant, comme vous venez de le
souligner, des souvenirs, des anecdotes à l'étude
de différents personnages d'œuvres théâtrales
majeures avec la technique du comédien et ce fameux supplément
d'âme.
Le comédien est, dites-vous "un
passeur de lumières" derrière lequel il y
a un homme tous deux étant en symbiose mais que, d'une
certaine manière, cela ne suffit pas s'il n'y a ce supplément
d'âme. J'aimerai que vous reveniez sur ce thème,
que vous avions déjà abordé mais dans un
autre cadre, car pour vous cela s'intègre également
dans une quête plus vaste et plus personnelle que de jouer
la comédie.
Jean-Laurent Cochet : Vous venez de très
bien en parler. Il ne peut y avoir de comédien, avant
même de dire de grand comédien, s'il n'y a pas
d'abord un homme, un individu curieux, cultivé de préférence,
et avant tout c'est pourquoi cela forme un tout pour moi, avec
une quête et une foi, et pour rester dans les mots les
plus simples en ce domaine qui n'est pas simple, comme dit Georges
Haldas "une confiance". On ne peut pas ne pas être
relié avec ce qui nous domine, ce qui nous échappe
et dont on aura la révélation après. Si
on veut atteindre les plus hauts moments des échanges
entre un comédien, un personnage et un auteur, on ne
peut pas ne pas être un homme de foi. Quelquefois il y
en a qui s'en défendent et qui le sont malgré
eux, qui ne se rendent pas compte que le travail se fait en
eux à travers le travail de comédien même
car le comédien fait appel à l'homme et l'homme
fait appel à la création.
Donc il n'y a que ça qui est intéressant,
que de continuer sans cesse à évoluer. Il y a
à ce propos un mot que j'ai beaucoup raconté dans
ma vie et qui n'a jamais autant surpris et retenu les gens que
dans ce livre. Ce sont les mots de Gaby Morlay avant de mourir
: "Ah c'est dommage je m'en vais au moment où je
commençais vraiment à tout comprendre". Bien
sûr parce que c'est l'évolution de l'homme qui
fait l'évolution de l'interprète, c'est le passage
du temps, "ce grand sculpteur" comme dit Marguerite
Yourcenar, et quand on dit qu'on est sculpté par le temps,
on est sculpté par les mains de Dieu, par l'élément
comme le dit Haldas, toujours, "le non-espace temps".
C'est
une continuité. Et moi je le vois, par exemple, au cours
où je vis des moments très extraordinaires, non
seulement parce que j'ai des élèves absolument
exceptionnels, mais il y a des cycles, des moments où
on redécouvre des personnages. Et puis au moment où
je faisais mes lectures à une voix, j'approfondissais
un rôle dans les limites de ce qu'on en connaissait en
se gardant bien surtout de toute la défiguration que
prônent certains impuissants.
Oh, il y a un mot très beau que j'ai
découvert en lisant Léon Daudet, une merveille,
qu'il a utilisé à propos des hommes politiques
qui passent et qui reviennent à la Chambre des députés
et qu'on peut utiliser dans le Théâtre c'est celui
de "voyous de passage". Je trouve cette expression
admirable et qui nous concerne bien.
Et, en ce moment, me séduit tout particulièrement,
parce que j'ai des élèves tellement prêts,
tellement travailleurs, intelligents et personnels, de pousser
très loin cet enseignement disons "poétique"
entre guillemets. Ils possèdent leur technique et comme
ils travaillent beaucoup leur technique, et la technique est
déjà une chose sensible, ils en sont les maîtres
et peuvent commencer à l'oublier pour retourner dans
l'inconnu de la situation dramatique.
Alors, on peut aller très loin et on
découvre en ce moment des parallélismes étonnants
aussi bien dans des rôles comme Hamlet, Fantasio, encore
ça pourrait paraître moins étonnant, mais
aussi des rôles beaucoup plus différents d'esprit,
d'époque et de ton, et le phénomène du
personnage qui est le fil conducteur, celui qui raconte son
histoire au public au sein d'une pièce. Cela peut être
une pièce épique, une pièce de Marivaux,
on arrête la pièce et que ce soient des monologues
d'Hamlet, les monologues dans Giraudoux ou d'autres auteurs,
c'est merveilleux mais il faut surtout pas être pédant
et appeler ça le non-jeu ou je ne sais quoi, car ce serait
une abomination puisque ça reste un jeu mais un jeu tellement
plus subtil, jouer mais jouer pour de vrai, jouer jusqu'à
ce qu'on ne voit pas que c'est un jeu et cependant jouer en
permanence avec le public à côté du partenaire
- mais le vrai partenaire c'est le public - le récit
qu'on lui fait des choses.
Essayer, non pas de se dépasser ce qui
ne veut pas dire grand chose mais se distancier comme le disait
si bien Brecht sans parler d'ailleurs de cette chose-là
- il n'a d'ailleurs jamais eu toutes les idées qu'on
lui a prêté - mais prendre un peu de recul, de
hauteur, de profondeur et déjouer complètement
même ce que faisait quand on dit d'un interprète
"c'est un comédien", il n'y en a jamais eu
des masses, il y a eu des infinités d'acteurs très
mauvais ou très bons, mais ce n'étaient pas des
comédiens. Des comédiens, on ne peut pas en citer
beaucoup. Et c'est gens-là n'étaient comédiens
que parce que justement, d'une manière ou d'une autre,
ils avaient approché comme disait François Mauriac
quand il sortait d'un spectacle "Je ne veux pas aller troubler
tous de suite les comédiens puisqu'ils viennent de frôler
"un seuil que seuls les saints ont franchi". Et c'est
vrai.
Et c'est pourquoi fatalement on est dans une
foi, dans une dé-mesure, parce qu'il faudrait en arriver
à ce qu'on dissuade les sourds d'aller au théâtre
s'ils ne sont pas très bien appareillés, il faudrait
qu'on puisse ne pas penser avant tout à articuler pour
être entendu et compris et on ne sait pas pourquoi l'acteur
articule. Dieu sait que je ne fais pas l'apologie des gens que
l'on n'entend pas du tout mais parce que ce n'est pas leur métier
et ils ne savent pas grand chose. Le comédien doit se
détacher. Son triomphe, c'est se faire apprécier
d'une élite parce que, à ce moment-là,
un plus gros public aura envie de suivre, ira chercher d'une
manière beaucoup plus fine, beaucoup plus exacte que
dans tout ce qui racole. C'est une évolution permanente
que je vis au milieu de mes élèves et c'est fascinant.
Comme vous répondez souvent par anticipation à
des questions je prévois de vous poser, donc en l'occurrence
celle que la qualité des nouveaux élèves,
passons à la suivante qui concerne une phrase extraite
de votre dernier livre en date : "J'ai beaucoup aimé
l'amour, j'ai adoré l'amitié".
Jean-Laurent Cochet : Ah oui…Oui. J'aime
bien la synthèse que j'en ai faite mais la détailler…On
aime beaucoup, c'est une question de tempérament naturellement,
une question de passion aussi bien l'amour que l'amitié.
On peut faire l'amour de différentes manières,
on peut aimer sans faire l'amour ce qui encore autre chose.
J'ai beaucoup aimé, c'est Gide qui disait "arder",
j'ai beaucoup aimé brûler pour des être,
il y a toujours un être à la clé, mais ça
peut être aussi pour des événements, des
minutes extraordinaires, être enflammé d’amour,
comme on a le feu sacré au théâtre, le besoin
d'aimer dont parle Musset quand on lui demande : "Alors
c'est quoi un grand comédien ?" il répond
"C'est le besoin d'aimer" en parlant de la Malibran.
Et puis, j'ai adoré l'amitié
parce que quand on a la chance de croiser sur sa route des gens
dont parce qu'il n'est pas question de les aimer d'une manière
ou d'une autre mais de dépasser ce stade quelquefois
plus court dans le temps, alors oui c'est une espèce
d'admiration. Pouvoir être lié, parce que l'amitié
c'est l'âme, en amour aussi d'une certaine manière
pas plus terre à terre, ce n'est pas ce que je veux dire
du tout, oh non l'amour quand c'est le vrai amour, ça
ne ressemble à rien : c'est transportant, c'est aussi
incandescent. On peut aussi aimer d'amour et d'amitié,
ça c'est encore plus rare mais c'est idéal. Pouvoir
aimer d'amour et l'être en question, ou un métier
quand c'est un art, en adorer le dieu. Voilà je crois.
Ca sera pas mal. (rires)
Revenons aux Master classes et aux auteurs qui y sont célébrés.
Et je rebondis sur Brecht que vous venez de citer pour avoir
votre sentiment sur son œuvre, si vous l'aviez montée
ou envie de le monter.
Jean-Laurent Cochet : Non parce que je crois
que, je ne généralise pas car j'ai vu des Brecht
par certaines jeunes troupes, il y a longtemps, monté
très joliment, des pièces moins connues ayant
tout à fait l'esprit et le style sans se prendre justement
pour des penseurs hégéliens, c'est quand même
très loin de nous. Je ne suis pas très "adaptation",
j'en ai monté beaucoup bien sur des Pinter des Ayckbourn
et bien d'autres mais parce qu'il y avait une équivalence
française ce qui est plus facile Tandis que restituer
Shakespeare, Brecht… Il y a des auteurs étrangers
plus proches de nous comme Tchekhov car il y a une mélancolie
française. Mais Brecht, ah non.
Pour préciser un peu mon impression,
dans toutes les grandes œuvres musicales qu'il a faites,
dont les superbes avec Gershwin et surtout Kurt Weill, c'est
comme quand des chanteurs, en français de surcroît,
veulent chanter du Kurt Weill. Il y a encore et certains l'ont
très bien, comme Catherine Sauvage qui y était
merveilleuse mais elle chantait naturellement bien, mais les
Allemands chantent mal et, tout naturellement, ils sont dans
la dérision de Brecht (ndlr : démonstration par
l'exemple intraduisible bien évidemment). C'est admirablement
juste mais c'est un style très particulier. Margot Lion
l'avait bien fait dans le film "L'opéra de quat'sous"
mais parce qu'elle avait beaucoup vécu en Allemagne et
était très germanophile. Le théâtre
de Brecht, qui est simple pourtant, raconte des histoires et
des anecdotes mais avec un humour corrosif dont l'analyse nous
échappe beaucoup.
Colette
Brosset et Robert Dhéry l'avait rencontré à
New York et ils avaient parlé de la distanciation. Brecht
avait dit : "oui ce terme est devenu un événement
mondial mal compris par les gens. Alors je n'allais pas m'interposer
mais c'est venu d'un jour ou donnant une indication à
une comédienne. Je lui ai dis "Prends un peu plus
de distance avec ton personnage" et puis c'est tout. Je
n'ai jamais songé à en faire le théâtre
de la distanciation comme le théâtre de la cruauté
d'Artaud".
On a écrit des pages et des pages là-dessus,
comme Stanislavski d'une autre manière, pour ne pas dire
grand chose en définitive. La distanciation c'est ce
qu'on applique, ce dont je vous parlais : pendre une distance
effectivement, une distance avec le public, une distance avec
soi-même pour que le personnage puisse davantage prendre
sa place en nous, car le contraire ne peut pas se faire, et
c'est en tant que metteur en scène que Brecht en a parlé,
et Brecht était un sublime metteur en scène-animateur.
Mais monter Brecht… Il y a rarement eu
de bonnes représentations de Brecht en français
parce que le français aplatissait, délavait tout
ça qui devenait ennuyeux sur la durée. Il y a
eu néanmoins une très belle représentation
de "La bonne âme de Se-Tchuan" au Théâtre
Récamier je crois par un homme remarquable, un de ces
directeurs de compagnie comme il en a existé du genre
de Jean Dasté, des gens de l'honnêteté d'un
Jacques Mauclair, ce genre de comédien intelligent, humble
et une de "Le cercle de craie caucasien" qui est une
des plus jolies pièces. Il y a eu Hirsch, bien sur, qui
là aussi faisait un numéro autour duquel il n'y
avait pas de spectacle : je pense à "L'irrésistible
Ascension d'Arturo Ui" qui avait été joué
à Chaillot. Mais le théâtre de Brecht est
loin de nous, presque aussi loin de nous, d'une manière
différente, que le théâtre asiatique. Faire
accepter aux Français dans leur langue des choses qui
sont de cette dimension de cette singularité…
Même avec tous les grands scandinaves,
qu'on nous a fait venir dans les années 10-20, on a découvert
un style d'œuvres plus ou moins bien traduites, mais avec
des acteurs importants des Pitoëff et Lugne-Poë au
fil du temps, on a continué à les monter parce
que cela fait bien de monter Ibsen et Strindberg. Mais on se
fait souvent "chier" à mort car on ne sait
pas les jouer : on mélange avec Tchekhov ou on fait du
romantisme à notre manière. Mais Brecht est un
personnage très important. Pareil, le comique de Brecht,
cette grinçance terrible, il y a des gens chez nous qui
en sont proches, mais qui sont des cas absolument isolés
qui ont eu et qui pratiquent ce côté grinçant.
Je pense à des gens admirables comme Stéphane
Guillon ou Raymond Devos. Devos aurait pu très bien jouer
du Brecht, Stéphane Guillon du Brecht et bien d'autres
choses car c'est un merveilleux comédien. Mais regardez,
chez Laurent Gerra, qui a du génie, et bien, même
quand il grince, cela reste d'une telle santé, d'une
telle jovialité que cela reste français. Il n'y
a que les pisse-vinaigre qui le trouve "Gningnin"…cela
va être difficile à transcrire… (rires)
Là encore vous assurez subliminalement la transition
puisque je souhaitai vous entendre sur Shakespeare dont une
scène de "La mégère apprivoisée"
a été donnée lors d'une dernière
Master Classe. Même difficulté donc pour les Français
de monter cet auteur ?
Jean-Laurent Cochet : Oui, c'est très
difficile. Alors il y a certaines pièces qui tout d'un
coup dans certaines scènes notamment, parce ses pièces
sont tellement foisonnantes, il y a 25 pièces par œuvre,
qui sont plus proches de nous quand elles sont pas mal adaptées.
Je pense à la traduction de Paul Delair, mais elle date
de plus de 100 ans, qui avait fait celle de "La mégère
apprivoisée" et ce sont des choses qui tiennent
parce que, dans la violence, dans la furia d'amour et d'affrontement,
on a l'équivalent chez nous avec des Feydeau et…hum
pas tellement d'autres d'ailleurs. Et naturellement quand une
œuvre est bien adaptée. Je pense à "Beaucoup
de bruit pour rien" qui avait été adaptée
par Jean Sarment ou "Comme il vous plaira" dans une
adaptation sublime de Jules Supervielle : on pourrait dire que
c'est une pièce de Jules Supervielle et de Shakespeare.
Ce qui est difficile chez Shakespeare ce sont les grandes œuvres
flamboyantes, comme dirait Pariscope, telles "Hamlet"
et "Macbeth".
Et il y la langue, la langue élisabéthaine
qui, même pour les Anglais, est une langue presque archaïque
Il y a des traductions sublimes : le "Hamlet" de André
Gide, contrairement à ce qu'on a dit souvent, car justement
il a trouvé dans un texte français l'équivalent
des choses anciennes et un peu anachroniques qui était
merveilleusement écrit. Mais je n 'ai aucun souvenir
d'une pièce anglaise montée en français
qui nous restituerait à la fois la splendeur d'imagerie
et le verbe grandiose. En France, on a André Obey et
il a fait une magnifique traduction de "Richard III"
qui fait également partie des grandes pièces inatteignables
pour nous. Elle avait été créée
par Charles Dullin qui avait cet esprit-là. Il avait
monté du Shakespeare dans son petit Théâtre
de l'Atelier dans lequel on retrouvait un peu le Théâtre
du Globe. Je ne l'ai pas vu naturellement mais on m'en a beaucoup
parlé et j'imagine l'événement.
Je conseille, comme je l'ai fait l'autre jour
au Cours public, je crois, et en tout cas aux élèves,
la lecture, pour les gens qui veulent approfondir Shakespeare,
d'un livre de Jan Kott, qui date d'une bonne trentaine d'années,
qui avait travaillé avec Peter Brook quand il avait fait
ses premières mises en scène à Londres
intitulé "Shakespeare notre contemporain".
C'est un livre essentiel. Et puis surtout, moi, j'ai découvert,
redécouvert celui qui pourrait être le plus proche
de nous, et il y a là aussi la grande exception pour
des pièces de cette violence, il y a la traduction de
René Louis Piachaud de "Coriolan" qui est grandiose
alors qu'il n'a pas bien réussi celle de "Le roi
Lear". Mais son "Coriolan" est admirable et,
tout d'un coup, c'est à travers ces pièces-là
que je rejoins, que je me relie à Shakespeare. J'adore
surtout quand c'est mis en musique, en plus, par Verdi ou d'autres.
J'adore "Les joyeuses commères
de Windsor", "Le songe d'une nuit d'été",
"Mesure pour mesure". Il en a fait 35 comme Molière
et Corneille ensemble. Je rejoins complètement la grande
tragédie avec "Coriolan" qui est peut-être
la plus belle, dans laquelle sont dites les choses les plus
belles sans amphigourie, "Timon d'Athènes"
et "La tempête". Alors que tout ça est
très différent, quelquefois même à
l'opposé, on peut retrouver le grand fil de la tragédie
universelle : les grecs, ces Shakespeare-là et puis Corneille
- Racine est un auteur à part, c'est un auteur galant,
un auteur de salon et pas tout à fait de la tragédie
- pour en arriver à un ou deux exemples de notre temps
: Obey, oui bien sûr, et puis, peut-être pourrait-on
trouver un grand tragique parmi les gens qui n'ont pas l'air
de l'être.
Coriolan c'est Rome, Timon c'est la Grèce,
et la tempête c'est l'univers. Et ce sont des œuvres
dont je pense qu'un seul homme, Shakespeare, en est l'auteur.
Pour les autres, il s'agit d'un travail collégial évident
ce qui ne retire rien à Shakespeare, mais qui ne retire
rien non plus à Marlowe ou à ceux qui y ont participé
: ils se prêtaient les sujets comme ils se prêtaient
les filles et je ne suis pas du tout restrictif. C'est le Shakespeare
qui peut être le plus proche de nous. Pour les autres
on peut rêver et surtout aller les voir joués par
des Anglais.
Justement comme vous allez souvent en Angleterre…
Jean-Laurent Cochet : Ah!!! Alors là
on ne cherche même plus à savoir si des choses
nous échappe, si un mot a tel sens au moment de la Guerre
des Roses : on se laisse emporter par la langue parce que, avant
tout, un auteur c'est le langage et, surtout chez Shakespeare,
le langage est action. Les comédiens anglais sont des
comédiens fantastiques pour jouer ça et, par le
seul fait de proférer les mots d'une certaine manière,
il passe d'un paysan, d'un clown à un seigneur. Ils possèdent
tous les ressorts de la langue : on a l'impression qu'ils ont
des recoins dans tout l'être qui viennent trouver un écho
dans la bouche (ndlr : illustration verbale par l'exemple intraduisible
ici). Alors là, j'ai des souvenirs extraordinaires. Et
quand ils sont venus à Paris avec "Titus Andronicus"
et qu'on avait tout l’Old Vic avec Laurence Olivier, Vivien
Leigh, Anthony Quayle...
Nous parlions de Brecht, et à Londres
j'ai souvent vu Peter O'Toole, puisque c'est un des dieux de
notre temps, jouer aussi bien le "Baal" de Brecht
que "Le marchand de Venise" de Shakespeare alors qu'il
avait 29 ans. Ce sont des artistes dans le sens où, on
a envie de dire, ce sont des musiciens, des chanteurs, des concertistes.
Comme ils sont tous bons comédiens, parce qu'ils possèdent
leur technique, alors ils ont le rythme, le mouvement, la cadence,
et puis, ils ont la couleur, ils ont le panache de Shakespeare
comme on pourrait le dire pour Rostand, sinon ce n'est pas la
peine de le jouer. J'ai vu des choses sublimes : "Hamlet"
ave l'admirable Ian McKellen qui a fait, il y a quelques années,
un "Richard III" au cinéma, Laurence Olivier
dans "Othello" avec Maggie Smith dans Desdémone,
Maggie Smith également dans "Beaucoup de bruit pour
rien" avec des distributions époustouflantes.
Eux sont dans leur élément, c'est
leur langage, c'est leur breakfast, ils jouent cela comme ils
demandent des lardons pour le petit déjeuner. Et surtout
ils ne tombent ni dans le pathos, ni dans l'excès, ni
dans la caricature. Ils ont une démesure, une extravagance
!. "Le roi Lear" présenté au Théâtre
des Nations, donc en anglais, par Peter Brook…aaah….
c'est un souvenir insurpassable ! Nous, on sait pas, on peut
pas, et Dieu sait qu'il y a des Français qui ont du relief,
de moins en moins, mais à côté des Anglais
on est pâlichon. On fait un peu gâteau de riz. (rires)
La
fille de Peter Brook monte "La tempête" qui
va être à l'affiche du Théâtre des
Bouffes du Nord.
Jean-Laurent Cochet : Ah bon ? (ndlr : genre Raminagrobis alléché).
Et bien je n'irai pas parce que ce que j'ai vu d'elle…on
pourrait dire que ça a sauté une génération.
Ce que j'ai vu d'elle ce n'est d'ailleurs pas tant du théâtre
que des opéras tellement mauvais, exécrables,
d'une grande bêtise et d'un tel mauvais goût. Elle
est comme le sculpteur infâme Botero qui sculpte des têtes
aussi grosses que des culs. Elle est le Botero du théâtre
!
J'ai bien fait de vous en parler comme cela elle est, trivialement
parlant, habillée pour l'été !
Jean-Laurent Cochet : Et même pour l'hiver ! (rires)
Faisons un bond en avant dans le temps et revenons à
un auteur français, Marcel Aymé, dont le public
des Master Classe a pu se régaler avec un extrait de
"Lucienne et le boucher".
Jean-Laurent Cochet : Oui. Et qui reste un
auteur méconnu alors que c'est un être rare et
une œuvre rare. Il y a des choses excellentes dans son
théâtre mais, dans des choses dont on se souvient
parce qu'il y a des beaux rôles de comédiens, que
ça avait été bien joué à
la création, comme "Lucienne et le boucher"
avec Valentine Tessier, et puis on s'est rendu compte après,
au gré du temps, que quand c'était pas Tessier
ou des gens comme ça, même des bons comédiens
n'arrivaient pas tout à fait à retrouver cette
paillardise élégante. Et puis, "Les oiseaux
de lune" une pièce amusante. Et puis, il y a toujours
un peu de vitriol au gré de ses pièces mais ce
n'est pas vraiment un auteur dramatique.
Alors que les romans, et c'est là qu'il
est le plus méconnu, les nouvelles et les essais révèlent
un très grand auteur beaucoup plus important que n'importe
quel philosophe. Les intrigues, les sujets, les scénarios,
pour ne pas dire scenarii, les personnages, l'écriture
et l'invention de tout ce petit monde plutôt de classe
moyenne en tendant vers l'ouvrier… Il y a des personnages,
on retrouve ça dans les romans du grand Dutourd. Les
gens qui le connaissent et qui l'aiment ne se rendent pas compte,
parce qu'ils se fréquentent entre eux je suppose, mais
il devrait être connu et apprécié de beaucoup
plus de lecteurs. C'est un bonheur en plus, c'est savoureux,
c'est juteux, et penser que ce grand taciturne qui a peut-être
prononcé cent mots dans sa vie. Il ne parlait pas, il
avait la bouche fermée comme un de ses yeux une paupière
qui tombait. Il aurait très bien joué Don Quichotte
: un grand personnage en hauteur avec un long visage. Même
la malice il ne la manifestait pas extérieurement alors
qu'il n'était pétri que de ça.
Arletty m'avait raconté qu'ils s'étaient
retrouvés à une soirée chez Nicky Nancel
qui invitait de grands personnages, auteurs et interprètes,
et sans se dire un mot de toute la soirée, il n'avait
d'ailleurs parlé à personne, il était très
courtois, il saluait mais ne parlait pas, puis ensuite dans
le même métro. Ils sont tous deux montés
en première mais il ne s'est pas assis à côté
d'elle, restant debout à quelques pas, tout en faisant
signe qu'il continuait à savoir qui on était.
Quand elle descend, petit signe, elle fait trois pas sur le
quai et Marcel Aymé se met à la porte qui est
encore ouverte et il lui dit de loin, mais sans aucune méchanceté
ni volonté de faire rire, pas du tout, résumait
tout un temps vécu ensemble : "Vous aussi on vous
a fait des ennuis à la Libération". C'était
surprenant et Arletty m'avait dit que cela l'avait sidérée
mais que ça avait une gueule formidable d'être
unis par les mêmes conneries et les mêmes horreurs.
(rires)
Je ne sais s'il est déjà opportun d'en parler
mais si je vous dis Proust, est-ce que cela vous dit quelque
chose ?
Jean-Laurent Cochet : Ah oui….
… parce que des bruits sont parvenus à mes oreilles….
Jean-Laurent Cochet : Ah oui vous voulez singulariser
la chose… (rires) …parce que Proust ça me
dit tellement de choses… Ca me dit tout ! (rires). Allons-y.
C'est un jeune stagiaire, un jeune assistant de Pierre et de
moi, Renaud Tallon, un garçon absolument merveilleux
qui a une idée, ou plus exactement qui nous a dit un
jour que "Albertine disparue" était son volume
préféré de "La recherche du temps
perdu" de Marcel Proust qui, pour lui, contenait tous les
autres et qu'il rêvait qu'on puisse en faire une lecture
intégrale, ce qui représente une douzaine d'heures,
et qui serait un événement. Je lui ai dit que
cela pourrait être un événement, certes
oui, car avec tout ceux qui se disent proustiens, sans savoir
pourquoi, cela représente pas mal de monde et je le voyais
venir, croyais-je.
Il me dit naturellement "Il faut trouver
la distribution". Je lui réponds "La distribution
de quoi ?".Il me dit "Pour que ce soit lu par plusieurs
personnes". Je lui ai alors dit "Mais tu plaisantes
! S'il faut une Madame Verdurin pour faire Madame Verdurin il
ne faut pas le faire car cela devient une fausse adaptation
théâtrale; surtout si tu veux un seul roman".
"Comment faire?" me demande-t-il alors. "Tu prends
une seule personne !". "Ce n'est pas possible ! rétorque-t-il.
Et je lui dis : "Si. Moi je te le fais". Il est tombé
des nues. Pierre Delavène et lui sont tombés des
nues, ils ont cru que je plaisantais. Et puis on ne plaisante
pas au point que la date est déjà retenue : il
s'agit du samedi 22 janvier 2011 dans la très belle salle
Gaveau, et cela durera de 10 heures du matin à 5 heures
le lendemain matin avec de petites pause-café de temps
en temps. Et puis la mort du lecteur entre-temps s'il n'arrive
pas au bout ! (rires)
Nous pouvons donc l'annoncer ?
Jean-Laurent Cochet : Oui, pourquoi pas. C'est un si beau projet.
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