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Entretien de mai 2010  (Paris)  21 mai 2010

Avec le joli mois de mai, Jean-Laurent Cochet fait encore, et toujours, ce qui lui plaît, et c'est le privilège de ceux qui savent ce qu'ils veulent faire et s'y consacre corps et âme.

Non seulement il continue ses cours à Paris et en Vendée et donne régulièrement ses cours public d'interprétation dramatique à la Pépinière Théâtre à destination d'un public fidèle chaleureux, parmi lequel se glissent discrètement, de plus en plus, des gens de la profession et des comédiens connus mais il incarne, tous les soirs au Petit Théâtre de Paris, Philaminte dans "Les femmes savantes" mises en scène par Arnaud Denis qui fût un de ses élèves.

Et nourrit bien d'autres projets dont certains seront dévoilés au cours de cet entretien qu'il a la gentillesse de nous accorder en nous recevant dans son appartement parisien.

J'ai consulté le nouveau site des Cours Cochet, qui a été élaboré par Pierre Delavène, et j'ai constaté que vous aviez programmé des stages pour enfants.

Jean-Laurent Cochet : Nous faisions déjà des stages pour adultes et Pierre a eu l'idée d'en programmer un pour les enfants. Ce stage s'est très bien passé. Les enfants ont été confiés à Amélie Parias avec Pierre Cachia et ils ont été ravis au point où même une d'entre eux qui n'a pas douze ans s'est inscrite au cours du samedi.

En quoi cela consiste-t-il ?

Jean-Laurent Cochet : Ce stage est identique à celui organisé pour les autres élèves. On commence avec les fables et à leur faire approcher les textes. Et nous réitérerons donc la saison prochaine tout en continuant à proposer de stages pour les adultes.

A quelle catégorie de personnes ces derniers s'adressent-ils ?

Jean-Laurent Cochet : Ce sont des gens qui s'inscriraient aux cours en semaine si leur emploi du temps leur permettait ou qui sont géographiquement éloignés de Paris.

Ce sont des personnes qui ont envie de devenir comédien ?

Jean-Laurent Cochet : Pas tous mais il y a quand même un peu de cela derrière.

Les cours de la saison 2009-2010 vont bientôt s'achever avant la période estivale. Avez-vous quelques événements à annoncer pour juin ?

Jean-Laurent Cochet : Pour la Vendée la clôture de la saison se déroulera à Luçon le 24 mai 2010 au très joli Théâtre de Millandy pour présenter les élèves dans un florilège de textes, contrairement à l'année dernière où il y avait un thème particulier avec l'oeuvre de Jean Anouilh. Il s'agira d'une master classe où tous les élèves passeront de belles choses et des choses très différentes. Pour Paris, les deux cours publics des 31 mai et le 7 juin 2010 seront réservés aux élèves que le public n'a pas l'habitude de voir et qui sont les élèves du soir et du samedi. Ce sera donc un nouvel éventail d'élèves de tous âges et de toutes provenances.

Pour l'année prochaine, il y a une chose très importante et qui me tiens très à coeur : en plus de la Vendée, nous ferons exactement le même travail à Lattes qui est un ravissant petit lieu jouxtant Montpellier où j'ai joué "Les femmes savantes" dans un très beau petit théâtre et où j'ai déjà fait quelques cours publics qui ont enthousiasmé une clientèle de toute provenance, dont beaucoup de jeunes, des comédiens et des professeurs. Nous y ferons donc régulièrement des master classes où j'alternerai avec Pierre Delavène parce que je continuerai à aller en Vendée et donc cela ferait beaucoup car tous les lundis de l'année sont occupés.

Par ailleurs Il y aura également des manifestations et des auditions et nous allons redonner pour une représentation avec Pierre "La correspondance inattendue de Paul Roulier-Davenel". Mais je suis vraiment ravi d'aller à Lattes car il y a un groupe de gens merveilleux dirigé par une femme remarquable, intelligente, vive, une battante, qui a beaucoup de goût et qui est une femme de théâtre qui nous réserve un accueil formidable.

Pour les master classes en Vendée désormais pérennisées, certains des élèves sont-ils entrés dans le métier notamment au plan régional ?

Jean-Laurent Cochet : Les débouchés y sont assez restreints donc ils travaillent dans des petites compagnies au plan local, certains travaillaient déjà avant de venir au cours pour se perfectionner. Mais il y a surtout ceux qui nous ont rejoints à Paris : il y a une belle petite Bérénice Bala avec Romain Trichereau, Bérénice Bala, Benoît Adet, Thomas Gauthier et Dominique Berezowski. C'est très productif.

Vous évoquez nominativement certains élèves et le public en a découvert, lors de la dernière master classe, un qui porte un nom célèbre Giovanni Castaldi.

Jean-Laurent Cochet : Ah le petit Castaldi ! Il est délicieux; C'est amusant car il entre à mon cours à l'âge, à quelques mois près, auquel son père y était entré et surtout au moment où je vais jouer, en principe, il faut rajouter cela maintenant, en début de saison prochaine avec son père Jean-Pierre Castaldi "Tu m'as sauvé la vie" de Sacha Guitry.

La question n'était bien sûr pas innocente puisque je voulais demander l'état d'avancement de ce projet dont vous nous aviez déjà parlé.

Jean-Laurent Cochet : Il ne lui manque plus que la signature du directeur du théâtre et des producteurs. Ce serait pour démarrer, comme nous l'avions fait pour "Aux deux colombes", dans les derniers jours d'août 2010 au Théâtre des Nouveautés. J'espère y retrouver Catherine Griffoni, Anne-Marie Mailfer, et Pierre Chaillet, donc une distribution de gens qui s'aiment.

Restons dans l'actualité théâtrale avec une pièce qui se joue actuellement à la Pépinière Opéra et que vous avez conseillée aux spectateurs "Oxu" avec Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire Oestermann.

Jean-Laurent Cochet : C'est un emballement ! Je crois qu'il s'agit de leur second spectacle : ils avaient présenté "Xu" et maintenant c'est "Oxu" et il faut surtout pas nous demander ce que ça veut dire, car cela n'a pas d'importance. Il ne faut pas non plus nous demander ce que cela raconte, parce que ça ne raconte rien. Il faut y aller, découvrir comment ce trio est parti d'un éclatement verbal qui n'est absolument pas racontable, à part un moment épique qui fait le cœur du spectacle. Christine Murillo, qui est une comédienne géniale, y raconte "Le voile bleu" (Ndlr : film tourné en 1942 par Jean Stelli avec Gaby Morlay et Elvire Popesco) qui figure parmi ses souvenirs d'enfance et elle pleure, parce que, à chaque fois qu'elle le raconte, cela la fait pleurer.

C'est un moment d'anthologie extraordinaire et elle y est étonnante. Les deux garçons sont très bien aussi et on finit par se trouver devant des situations théâtrales où il se passe des choses, où il y a une action même si on ne sait pas laquelle, des propos tenus mais on ne sait trop lesquels. Mais cela vit devant nous. C'est toujours drôle, c'est poétique, inattendu, original, insolite. On passe une heure et demie de bonheur. Entre "T'es à la menthe ou thé citron" et ce spectacle à la Pépinière Théâtre les gens peuvent vraiment aller se divertir au théâtre cette saison. Il n'y a pas grand chose d'autre mais alors ça c'est exceptionnel.

Christine Murillo ne figure pas parmi vos anciennes élèves mais avez-vous eu l'occasion de travailler avec elle ?

Jean-Laurent Cochet : Non pas du tout; Même au Français, si je me souviens bien, on n'a fait que se croiser : j'étais déjà parti quand elle a été engagée et elle-même n'est pas restée très longtemps. J'avais fait travailler sa sœur, Catherine Salviat, qui est une ancienne élève à l'époque où elle était au Conservatoire. Non, nous ne nous sommes jamais croisés, d'ailleurs c'est un de mes désirs que de trouver la pièce, la circonstance pour jouer avec elle car c'est un bonheur que de la voir vivre sur un plateau ; c'est intelligent, savoureux, personnel.

Elle est vraiment très rare, de la dimension, même supérieure, à une Kathy Bates en Amérique Quand on a ça chez nous, dès qu'il y a un individu qui dépasse les autres quand on ne s'emploie pas à lui couper le cou, il est vraiment tout à fait à part. Elle est d'un style qui n'appartient qu'à elle. C'est merveilleux. C'est drôle, ça rebondit sans arrêt ,chaque phrase est drôle mais sans être racoleur, sans faire de l'étrange systématiquement, c'est d'une sève et d'une joyeuseté extraordinaire. Vous l'avez vu ?

Oui, tout à fait. Et ce qui est étonnant c'est le point de départ de ces spectacles qui sont nés de leurs divagations philosophico-linguistiques en aparté qui n'étaient pas destinées, au départ, à être représentées sur scène, et qui ont également été éditées.

Jean-Laurent Cochet : Sous le titre "Le Baleinié : Dictionnaire des tracas". Et il faut s'y plonger.

Pour rester dans les grandes pointures selon le vocabulaire journalistique, passons de Christine Murillo à Gérard Depardieu, qui a été un de vos élèves et qui est actuellement à l'affiche d'un film que vous recommandez, "Mammuth" de Gustave Kervern et Benoît Delépine.

Jean-Laurent Cochet : C'est un bijou et ça aussi c'est difficile à raconter parce que c'est tellement insolite et tellement original. Il y a toutes les couleurs là-dedans. Il y a des moments qui pourraient presque atteindre, pas le graveleux, mais choquer à cause de certains mots, et puis à certains moments c'est poétique. C'est une œuvre qui, dans le bon sens, ne ressemble à rien. C'est fait pour des comédiens et ça raconte quand même une histoire, celle d'un type, le rôle que joue Gérard, qui a besoin de toucher sa retraite et qui n'a pas tous les papiers nécessaires.

S'ensuit alors une sorte de road-movie où il part dans tous les endroits où il a travaillé, ce qui lui donne l'occasion de rencontrer des tas d'individus, de retrouver des gens qu'il a connu et on se retrouve dans les situations les plus inattendues et les plus cocasses - moi ; j'ai ri comme un malade - et en même temps c'est très violent, fort, puissant et c'est une critique - sans dire "on a fait la critique de ceci" - de ce monde moderne où les gens ne sont pas au courant face aux formalités. Comme la déclaration d'impôts ils ne peuvent pas la remplir car ils ne savent pas, ces téléphones où on vous dit appuyez sur le 1 si vous voulez avoir le 2, appuyez sur 3 et on vous rappellera demain, allez sur le site et il ne comprend pas parce qu'il est devant une maison et il dit je suis sur le site etc… Alors cela donne lieu à des choses irrésistibles, il n'y a pas un mot qui ne soit pas une critique de cette manière de vivre accrochée au portable.

Et il y a des comédiens, dans une chose tout à fait à part qui est greffée sur le film, qui est la partie pathétique du film où c'est Adjani qui est merveilleuse de beauté, de présence mystérieuse, et puis à côté de Gérard qui est époustouflant. Et c'est tourné d'une manière étonnante car on nous fait assister à tout ce à quoi lui assiste et il est presque toujours photographié de dos ce qui est une trouvaille aussi et il y en comme ça je ne sais combien dans le film. Et puis, et puis, cette comédienne que l'on connaît bien maintenant, Yolande Moreau, qui est une femme, pas tout à fait comme Christine Murillo, mais dans un style un petit peu plus particulier et insolite, aussi une comédienne rarissime.

Personne ne fait ce qu'ils font et c'est ce qui est extraordinaire et que j'aime chez les comédiens. Et je pensais l'autre jour à deux comédiens ou plutôt à un comédien et un acteur. L'acteur est très connu, c'est presque fatal comme il est un peu plus vulgaire c'est lui qu'on connaît. L'autre est un comédien un peu connu mais on n'en parle pas autant. Et je me disais toute la différence pourtant est que l'acteur connu serait incapable de jouer ce que joue le comédien alors que le comédien pourrait jouer, les doigts dans le nez, n'importe lequel des emplois de l'autre. Mais c'est comme ça, c'est des rencontres, la façon qu'ont les choses de se dérouler.

En tous cas, nous avons été très gâtés au cinéma avec de bons films en pagaille absolument merveilleux où tous les grands acteurs américains défilaient c'était beau, intense, et original et en ce moment sort "Robin des bois" de Ridleyr Scott avec Russel Crowe et Cate Blanchett et on reste pantois devant l'intelligence, toujours l'intelligence, qu'ils mettent même pour des films qui sont du divertissement pur, des grandes machines à guerre et à cavalcade. C'est réalisé sur un plan technique et un dosage et si il y a des effets numériques ce n'est pas fait de manière ostensible, on ne les voit pas tant on est pris dans le jeu, et on ne veut pas savoir s'il y a eu l'appui d'un moyen technique pour ce.

C'est du grand cinéma et qui permet quand même aux acteurs de jouer la comédie. Ce qui est absolument étonnant. Russell Crow est un admirable comédien qui a rarement été, comme dans ce film, aussi loin dans la rigueur et la délicatesse. Cate Blanchett est une femme qui peut tout jouer, et elle joue tout d'ailleurs. Et tous les autres acteurs sont admirables. On peut même dire, pour une fois que ça ne fait pas tâche, il y a une petite française, qui joue la fille du roi de France, qui est ravissante et délicieuse et joue très juste, dont je ne me souviens plus du nom mais dont je me souviendrai pour la prochaine fois (ndlr : il s'agit de Léa Seydoux).

Nous avons parlé du cours, des comédiens, des comédiens qui ont été vos élèves et je voudrai évoquer avec vous votre dernier livre en date "L'art et la technique du comédien" …..

Jean-Laurent Cochet : Je vous interromps, pardon, mais avant d'enchaîner dans ce nouveau sujet, puisque nous parlons des choses qu'on a la chance de voir à Paris et des retrouvailles, j'ai retrouvé avec bonheur, malheureusement dans un spectacle très moyen sur le plateau, puis ensuite dans sa loge - ce qui n'est pas la moindre des choses - Robert Hirsch. Il a, dans ce mauvais Goldoni (ndlr : "La serva amorosa"), un numéro à part et à 85 ans il a encore plus de juvénilité que tous les gens de la nouvelle génération. C'est le grand clown shakespearien admirable. Et ce fut un grand moment de bonheur.

Nous ne l'avons jamais évoqué au cours de nos entretiens. En voici l'occasion.

Jean-Laurent Cochet : Il est de la génération précédente, il a exactement dix ans de plus que mois. Je l'ai toujours admiré et nous nous sommes très vite liés, connus amicalement et intimement au cours de toutes les tournées que nous avons faites ensemble avec le Français. Ca été des moments de bonheur et de rire, de sketchs incroyables car il est toujours dans un état d'imagination et d'invention extraordinaires. Oui, je l'ai beaucoup connu au Français puisque nous y étions ensemble jusqu'au jour où j'ai fait plus que jouer avec lui où j'ai repris - cadeau empoisonné mais ça s'est très bien passé - son rôle, celui du fameux Bouzin, dans "Le fil à la patte" de Feydeau quand il a eu son zona. C'était difficile d'autant qu'on m'avait obligé à prendre exactement la même silhouette, le même maquillage et les mêmes raclements de gorge pour être copie conforme, ce qui n'était pas facile pour moi car lui avait fait cela avec sa nature, et je n'ai pas toutes ses inventions, enfin, c'était néanmoins amusant de se couler dans le moule. Et puis, arrivé au 3ème acte, le personnage a beaucoup plus de liberté, il envoie tout valdinguer, alors là je pouvais retrouver un peu d'abandon.

Et de jouer ça avec Jacques Charon, Jean Piat, Denise Gence, Micheline Boudet, Marthe Alycia, c'était une grande époque. Même si dans l'interprétation de certains acteurs on pouvait dire "Ah ça peut se jouer autrement et ça aurait dû se jouer autrement", il y avait un esprit de troupe avec un modèle de rythme et, au summum de cette équipe, il y a avait cette espèce de clown tragique phénoménalement drôle qui pouvait tout jouer, et qui a tout joué, quelquefois avec excès - je pense à son Sosie dans "Amphitryon" - mais c'était Hirsch. Alors on acceptait, on ne voulait pas savoir si tout d'un coup un extrait de Wagner se baladait dans Erik Satie mais c'était admirable. Il a eu du génie, on peut le dire car il a été créateur en même temps : interprète mais re-créateur de tous ces personnages. Dans "Le fil à la patte", Charon ne le dirigeait absolument pas. Ce n'est pas qu'il ne s'y prêtait pas, c'était un homme docile, mais il avait dessiné son personnage et il avait dit comment il le voyait et s'est entièrement imposé à l'œuvre et au metteur en scène.

J'ai revu cette pièce il y a quelques jours au Théâtre Mouffetard qui propose des cycles de théâtre télévisé où l'on repasse des grandes œuvres théâtrales qui ont été filmées à la grande époque de la télévision par des gens comme Stellio Lorenzi. Il s'agissait d'un "Au théâtre ce soir" avec la grande distribution - malheureusement moi je n'y étais pas car j'avais déjà quitté le Français - mais nous avions pu revoir Robert. Et c'est délirant, c'est hors norme et cela fait plaisir de le revoir, 50 ans après, être resté le même. C'est une chose honteuse par exemple, puisque ça existe cela va peut être s'arrêter bientôt - je parle des Molières étant donné que ça n'a jamais eu aucun intérêt, en a de moins en moins et n'intéresse plus personne - une année, il l'avait eu pour un second rôle parce qu'il jouait Oronte dans "Le misanthrope" qu'on considérait comme un second rôle, ce qui est une "connerie " sans nom, sans parler du fameux S qui continue à défigurer le nom de Molière comme s'il pouvait se mettre au pluriel.

A ce propos, Laurent Terzieff que j'aime beaucoup, qui est un homme exquis et qui a fait une très jolie carrière, mais il faut quand même souligner qu'il n'a jamais monté aucune pièce française. Il s'est cantonné dans un répertoire tout à fait marginal, qui commence à se démoder d'ailleurs, et lui-même a toujours joué la comédie d'une façon séduisante, attractive, parce que c'est un personnage. Il est beaucoup plus un personnage qu'un comédien. Ainsi tout ce qu'a joué Terzieff, Hirsch l'aurait joué comme des broutilles Tandis que Laurent, et bien d'autres, n'aurait pu jouer le moindre rôle créé par Robert. Et ce n'est pas seulement une question de moyens et d'emploi mais de dimension. Mais je ne veux pas avoir l'air de dire du mal de Laurent qui est un grand honnête homme, un homme intelligent qui a toujours bien servi son art avec modestie, mais les gens n'ont aucun discernement. On ne vit pas à une époque de discernement et c'est peu dire.

Oui, vous me parliez du livre dont il ne faut pas oublier le sous titre, "Comme un supplément d'âme", qui, si on m'avait écouté, aurait été le titre parce que c'est ce qui s'applique beaucoup plus au livre avec l'art et la technique du comédien dont on parle bien évidemment. Mais il n'y a pas que cela car c'est au cœur d'un éclatement de différentes choses.

Vous aviez évoqué à ce micro la sortie de ce livre et la façon dont il avait été conçu suite à une retranscription travaillée et réécrite d'entretiens que vous aviez eu avec Jonathan Ryder, qui a été un de vos élèves, mais également de la manière dont il est composé imbriquant, comme vous venez de le souligner, des souvenirs, des anecdotes à l'étude de différents personnages d'œuvres théâtrales majeures avec la technique du comédien et ce fameux supplément d'âme.

Le comédien est, dites-vous "un passeur de lumières" derrière lequel il y a un homme tous deux étant en symbiose mais que, d'une certaine manière, cela ne suffit pas s'il n'y a ce supplément d'âme. J'aimerai que vous reveniez sur ce thème, que vous avions déjà abordé mais dans un autre cadre, car pour vous cela s'intègre également dans une quête plus vaste et plus personnelle que de jouer la comédie.

Jean-Laurent Cochet : Vous venez de très bien en parler. Il ne peut y avoir de comédien, avant même de dire de grand comédien, s'il n'y a pas d'abord un homme, un individu curieux, cultivé de préférence, et avant tout c'est pourquoi cela forme un tout pour moi, avec une quête et une foi, et pour rester dans les mots les plus simples en ce domaine qui n'est pas simple, comme dit Georges Haldas "une confiance". On ne peut pas ne pas être relié avec ce qui nous domine, ce qui nous échappe et dont on aura la révélation après. Si on veut atteindre les plus hauts moments des échanges entre un comédien, un personnage et un auteur, on ne peut pas ne pas être un homme de foi. Quelquefois il y en a qui s'en défendent et qui le sont malgré eux, qui ne se rendent pas compte que le travail se fait en eux à travers le travail de comédien même car le comédien fait appel à l'homme et l'homme fait appel à la création.

Donc il n'y a que ça qui est intéressant, que de continuer sans cesse à évoluer. Il y a à ce propos un mot que j'ai beaucoup raconté dans ma vie et qui n'a jamais autant surpris et retenu les gens que dans ce livre. Ce sont les mots de Gaby Morlay avant de mourir : "Ah c'est dommage je m'en vais au moment où je commençais vraiment à tout comprendre". Bien sûr parce que c'est l'évolution de l'homme qui fait l'évolution de l'interprète, c'est le passage du temps, "ce grand sculpteur" comme dit Marguerite Yourcenar, et quand on dit qu'on est sculpté par le temps, on est sculpté par les mains de Dieu, par l'élément comme le dit Haldas, toujours, "le non-espace temps".

C'est une continuité. Et moi je le vois, par exemple, au cours où je vis des moments très extraordinaires, non seulement parce que j'ai des élèves absolument exceptionnels, mais il y a des cycles, des moments où on redécouvre des personnages. Et puis au moment où je faisais mes lectures à une voix, j'approfondissais un rôle dans les limites de ce qu'on en connaissait en se gardant bien surtout de toute la défiguration que prônent certains impuissants.

Oh, il y a un mot très beau que j'ai découvert en lisant Léon Daudet, une merveille, qu'il a utilisé à propos des hommes politiques qui passent et qui reviennent à la Chambre des députés et qu'on peut utiliser dans le Théâtre c'est celui de "voyous de passage". Je trouve cette expression admirable et qui nous concerne bien.

Et, en ce moment, me séduit tout particulièrement, parce que j'ai des élèves tellement prêts, tellement travailleurs, intelligents et personnels, de pousser très loin cet enseignement disons "poétique" entre guillemets. Ils possèdent leur technique et comme ils travaillent beaucoup leur technique, et la technique est déjà une chose sensible, ils en sont les maîtres et peuvent commencer à l'oublier pour retourner dans l'inconnu de la situation dramatique.

Alors, on peut aller très loin et on découvre en ce moment des parallélismes étonnants aussi bien dans des rôles comme Hamlet, Fantasio, encore ça pourrait paraître moins étonnant, mais aussi des rôles beaucoup plus différents d'esprit, d'époque et de ton, et le phénomène du personnage qui est le fil conducteur, celui qui raconte son histoire au public au sein d'une pièce. Cela peut être une pièce épique, une pièce de Marivaux, on arrête la pièce et que ce soient des monologues d'Hamlet, les monologues dans Giraudoux ou d'autres auteurs, c'est merveilleux mais il faut surtout pas être pédant et appeler ça le non-jeu ou je ne sais quoi, car ce serait une abomination puisque ça reste un jeu mais un jeu tellement plus subtil, jouer mais jouer pour de vrai, jouer jusqu'à ce qu'on ne voit pas que c'est un jeu et cependant jouer en permanence avec le public à côté du partenaire - mais le vrai partenaire c'est le public - le récit qu'on lui fait des choses.

Essayer, non pas de se dépasser ce qui ne veut pas dire grand chose mais se distancier comme le disait si bien Brecht sans parler d'ailleurs de cette chose-là - il n'a d'ailleurs jamais eu toutes les idées qu'on lui a prêté - mais prendre un peu de recul, de hauteur, de profondeur et déjouer complètement même ce que faisait quand on dit d'un interprète "c'est un comédien", il n'y en a jamais eu des masses, il y a eu des infinités d'acteurs très mauvais ou très bons, mais ce n'étaient pas des comédiens. Des comédiens, on ne peut pas en citer beaucoup. Et c'est gens-là n'étaient comédiens que parce que justement, d'une manière ou d'une autre, ils avaient approché comme disait François Mauriac quand il sortait d'un spectacle "Je ne veux pas aller troubler tous de suite les comédiens puisqu'ils viennent de frôler "un seuil que seuls les saints ont franchi". Et c'est vrai.

Et c'est pourquoi fatalement on est dans une foi, dans une dé-mesure, parce qu'il faudrait en arriver à ce qu'on dissuade les sourds d'aller au théâtre s'ils ne sont pas très bien appareillés, il faudrait qu'on puisse ne pas penser avant tout à articuler pour être entendu et compris et on ne sait pas pourquoi l'acteur articule. Dieu sait que je ne fais pas l'apologie des gens que l'on n'entend pas du tout mais parce que ce n'est pas leur métier et ils ne savent pas grand chose. Le comédien doit se détacher. Son triomphe, c'est se faire apprécier d'une élite parce que, à ce moment-là, un plus gros public aura envie de suivre, ira chercher d'une manière beaucoup plus fine, beaucoup plus exacte que dans tout ce qui racole. C'est une évolution permanente que je vis au milieu de mes élèves et c'est fascinant.

Comme vous répondez souvent par anticipation à des questions je prévois de vous poser, donc en l'occurrence celle que la qualité des nouveaux élèves, passons à la suivante qui concerne une phrase extraite de votre dernier livre en date : "J'ai beaucoup aimé l'amour, j'ai adoré l'amitié".

Jean-Laurent Cochet : Ah oui…Oui. J'aime bien la synthèse que j'en ai faite mais la détailler…On aime beaucoup, c'est une question de tempérament naturellement, une question de passion aussi bien l'amour que l'amitié. On peut faire l'amour de différentes manières, on peut aimer sans faire l'amour ce qui encore autre chose. J'ai beaucoup aimé, c'est Gide qui disait "arder", j'ai beaucoup aimé brûler pour des être, il y a toujours un être à la clé, mais ça peut être aussi pour des événements, des minutes extraordinaires, être enflammé d’amour, comme on a le feu sacré au théâtre, le besoin d'aimer dont parle Musset quand on lui demande : "Alors c'est quoi un grand comédien ?" il répond "C'est le besoin d'aimer" en parlant de la Malibran.

Et puis, j'ai adoré l'amitié parce que quand on a la chance de croiser sur sa route des gens dont parce qu'il n'est pas question de les aimer d'une manière ou d'une autre mais de dépasser ce stade quelquefois plus court dans le temps, alors oui c'est une espèce d'admiration. Pouvoir être lié, parce que l'amitié c'est l'âme, en amour aussi d'une certaine manière pas plus terre à terre, ce n'est pas ce que je veux dire du tout, oh non l'amour quand c'est le vrai amour, ça ne ressemble à rien : c'est transportant, c'est aussi incandescent. On peut aussi aimer d'amour et d'amitié, ça c'est encore plus rare mais c'est idéal. Pouvoir aimer d'amour et l'être en question, ou un métier quand c'est un art, en adorer le dieu. Voilà je crois. Ca sera pas mal. (rires)

Revenons aux Master classes et aux auteurs qui y sont célébrés. Et je rebondis sur Brecht que vous venez de citer pour avoir votre sentiment sur son œuvre, si vous l'aviez montée ou envie de le monter.

Jean-Laurent Cochet : Non parce que je crois que, je ne généralise pas car j'ai vu des Brecht par certaines jeunes troupes, il y a longtemps, monté très joliment, des pièces moins connues ayant tout à fait l'esprit et le style sans se prendre justement pour des penseurs hégéliens, c'est quand même très loin de nous. Je ne suis pas très "adaptation", j'en ai monté beaucoup bien sur des Pinter des Ayckbourn et bien d'autres mais parce qu'il y avait une équivalence française ce qui est plus facile Tandis que restituer Shakespeare, Brecht… Il y a des auteurs étrangers plus proches de nous comme Tchekhov car il y a une mélancolie française. Mais Brecht, ah non.

Pour préciser un peu mon impression, dans toutes les grandes œuvres musicales qu'il a faites, dont les superbes avec Gershwin et surtout Kurt Weill, c'est comme quand des chanteurs, en français de surcroît, veulent chanter du Kurt Weill. Il y a encore et certains l'ont très bien, comme Catherine Sauvage qui y était merveilleuse mais elle chantait naturellement bien, mais les Allemands chantent mal et, tout naturellement, ils sont dans la dérision de Brecht (ndlr : démonstration par l'exemple intraduisible bien évidemment). C'est admirablement juste mais c'est un style très particulier. Margot Lion l'avait bien fait dans le film "L'opéra de quat'sous" mais parce qu'elle avait beaucoup vécu en Allemagne et était très germanophile. Le théâtre de Brecht, qui est simple pourtant, raconte des histoires et des anecdotes mais avec un humour corrosif dont l'analyse nous échappe beaucoup.

Colette Brosset et Robert Dhéry l'avait rencontré à New York et ils avaient parlé de la distanciation. Brecht avait dit : "oui ce terme est devenu un événement mondial mal compris par les gens. Alors je n'allais pas m'interposer mais c'est venu d'un jour ou donnant une indication à une comédienne. Je lui ai dis "Prends un peu plus de distance avec ton personnage" et puis c'est tout. Je n'ai jamais songé à en faire le théâtre de la distanciation comme le théâtre de la cruauté d'Artaud".

On a écrit des pages et des pages là-dessus, comme Stanislavski d'une autre manière, pour ne pas dire grand chose en définitive. La distanciation c'est ce qu'on applique, ce dont je vous parlais : pendre une distance effectivement, une distance avec le public, une distance avec soi-même pour que le personnage puisse davantage prendre sa place en nous, car le contraire ne peut pas se faire, et c'est en tant que metteur en scène que Brecht en a parlé, et Brecht était un sublime metteur en scène-animateur.

Mais monter Brecht… Il y a rarement eu de bonnes représentations de Brecht en français parce que le français aplatissait, délavait tout ça qui devenait ennuyeux sur la durée. Il y a eu néanmoins une très belle représentation de "La bonne âme de Se-Tchuan" au Théâtre Récamier je crois par un homme remarquable, un de ces directeurs de compagnie comme il en a existé du genre de Jean Dasté, des gens de l'honnêteté d'un Jacques Mauclair, ce genre de comédien intelligent, humble et une de "Le cercle de craie caucasien" qui est une des plus jolies pièces. Il y a eu Hirsch, bien sur, qui là aussi faisait un numéro autour duquel il n'y avait pas de spectacle : je pense à "L'irrésistible Ascension d'Arturo Ui" qui avait été joué à Chaillot. Mais le théâtre de Brecht est loin de nous, presque aussi loin de nous, d'une manière différente, que le théâtre asiatique. Faire accepter aux Français dans leur langue des choses qui sont de cette dimension de cette singularité…

Même avec tous les grands scandinaves, qu'on nous a fait venir dans les années 10-20, on a découvert un style d'œuvres plus ou moins bien traduites, mais avec des acteurs importants des Pitoëff et Lugne-Poë au fil du temps, on a continué à les monter parce que cela fait bien de monter Ibsen et Strindberg. Mais on se fait souvent "chier" à mort car on ne sait pas les jouer : on mélange avec Tchekhov ou on fait du romantisme à notre manière. Mais Brecht est un personnage très important. Pareil, le comique de Brecht, cette grinçance terrible, il y a des gens chez nous qui en sont proches, mais qui sont des cas absolument isolés qui ont eu et qui pratiquent ce côté grinçant. Je pense à des gens admirables comme Stéphane Guillon ou Raymond Devos. Devos aurait pu très bien jouer du Brecht, Stéphane Guillon du Brecht et bien d'autres choses car c'est un merveilleux comédien. Mais regardez, chez Laurent Gerra, qui a du génie, et bien, même quand il grince, cela reste d'une telle santé, d'une telle jovialité que cela reste français. Il n'y a que les pisse-vinaigre qui le trouve "Gningnin"…cela va être difficile à transcrire… (rires)

Là encore vous assurez subliminalement la transition puisque je souhaitai vous entendre sur Shakespeare dont une scène de "La mégère apprivoisée" a été donnée lors d'une dernière Master Classe. Même difficulté donc pour les Français de monter cet auteur ?

Jean-Laurent Cochet : Oui, c'est très difficile. Alors il y a certaines pièces qui tout d'un coup dans certaines scènes notamment, parce ses pièces sont tellement foisonnantes, il y a 25 pièces par œuvre, qui sont plus proches de nous quand elles sont pas mal adaptées. Je pense à la traduction de Paul Delair, mais elle date de plus de 100 ans, qui avait fait celle de "La mégère apprivoisée" et ce sont des choses qui tiennent parce que, dans la violence, dans la furia d'amour et d'affrontement, on a l'équivalent chez nous avec des Feydeau et…hum pas tellement d'autres d'ailleurs. Et naturellement quand une œuvre est bien adaptée. Je pense à "Beaucoup de bruit pour rien" qui avait été adaptée par Jean Sarment ou "Comme il vous plaira" dans une adaptation sublime de Jules Supervielle : on pourrait dire que c'est une pièce de Jules Supervielle et de Shakespeare. Ce qui est difficile chez Shakespeare ce sont les grandes œuvres flamboyantes, comme dirait Pariscope, telles "Hamlet" et "Macbeth".

Et il y la langue, la langue élisabéthaine qui, même pour les Anglais, est une langue presque archaïque Il y a des traductions sublimes : le "Hamlet" de André Gide, contrairement à ce qu'on a dit souvent, car justement il a trouvé dans un texte français l'équivalent des choses anciennes et un peu anachroniques qui était merveilleusement écrit. Mais je n 'ai aucun souvenir d'une pièce anglaise montée en français qui nous restituerait à la fois la splendeur d'imagerie et le verbe grandiose. En France, on a André Obey et il a fait une magnifique traduction de "Richard III" qui fait également partie des grandes pièces inatteignables pour nous. Elle avait été créée par Charles Dullin qui avait cet esprit-là. Il avait monté du Shakespeare dans son petit Théâtre de l'Atelier dans lequel on retrouvait un peu le Théâtre du Globe. Je ne l'ai pas vu naturellement mais on m'en a beaucoup parlé et j'imagine l'événement.

Je conseille, comme je l'ai fait l'autre jour au Cours public, je crois, et en tout cas aux élèves, la lecture, pour les gens qui veulent approfondir Shakespeare, d'un livre de Jan Kott, qui date d'une bonne trentaine d'années, qui avait travaillé avec Peter Brook quand il avait fait ses premières mises en scène à Londres intitulé "Shakespeare notre contemporain". C'est un livre essentiel. Et puis surtout, moi, j'ai découvert, redécouvert celui qui pourrait être le plus proche de nous, et il y a là aussi la grande exception pour des pièces de cette violence, il y a la traduction de René Louis Piachaud de "Coriolan" qui est grandiose alors qu'il n'a pas bien réussi celle de "Le roi Lear". Mais son "Coriolan" est admirable et, tout d'un coup, c'est à travers ces pièces-là que je rejoins, que je me relie à Shakespeare. J'adore surtout quand c'est mis en musique, en plus, par Verdi ou d'autres.

J'adore "Les joyeuses commères de Windsor", "Le songe d'une nuit d'été", "Mesure pour mesure". Il en a fait 35 comme Molière et Corneille ensemble. Je rejoins complètement la grande tragédie avec "Coriolan" qui est peut-être la plus belle, dans laquelle sont dites les choses les plus belles sans amphigourie, "Timon d'Athènes" et "La tempête". Alors que tout ça est très différent, quelquefois même à l'opposé, on peut retrouver le grand fil de la tragédie universelle : les grecs, ces Shakespeare-là et puis Corneille - Racine est un auteur à part, c'est un auteur galant, un auteur de salon et pas tout à fait de la tragédie - pour en arriver à un ou deux exemples de notre temps : Obey, oui bien sûr, et puis, peut-être pourrait-on trouver un grand tragique parmi les gens qui n'ont pas l'air de l'être.

Coriolan c'est Rome, Timon c'est la Grèce, et la tempête c'est l'univers. Et ce sont des œuvres dont je pense qu'un seul homme, Shakespeare, en est l'auteur. Pour les autres, il s'agit d'un travail collégial évident ce qui ne retire rien à Shakespeare, mais qui ne retire rien non plus à Marlowe ou à ceux qui y ont participé : ils se prêtaient les sujets comme ils se prêtaient les filles et je ne suis pas du tout restrictif. C'est le Shakespeare qui peut être le plus proche de nous. Pour les autres on peut rêver et surtout aller les voir joués par des Anglais.

Justement comme vous allez souvent en Angleterre…

Jean-Laurent Cochet : Ah!!! Alors là on ne cherche même plus à savoir si des choses nous échappe, si un mot a tel sens au moment de la Guerre des Roses : on se laisse emporter par la langue parce que, avant tout, un auteur c'est le langage et, surtout chez Shakespeare, le langage est action. Les comédiens anglais sont des comédiens fantastiques pour jouer ça et, par le seul fait de proférer les mots d'une certaine manière, il passe d'un paysan, d'un clown à un seigneur. Ils possèdent tous les ressorts de la langue : on a l'impression qu'ils ont des recoins dans tout l'être qui viennent trouver un écho dans la bouche (ndlr : illustration verbale par l'exemple intraduisible ici). Alors là, j'ai des souvenirs extraordinaires. Et quand ils sont venus à Paris avec "Titus Andronicus" et qu'on avait tout l’Old Vic avec Laurence Olivier, Vivien Leigh, Anthony Quayle...

Nous parlions de Brecht, et à Londres j'ai souvent vu Peter O'Toole, puisque c'est un des dieux de notre temps, jouer aussi bien le "Baal" de Brecht que "Le marchand de Venise" de Shakespeare alors qu'il avait 29 ans. Ce sont des artistes dans le sens où, on a envie de dire, ce sont des musiciens, des chanteurs, des concertistes. Comme ils sont tous bons comédiens, parce qu'ils possèdent leur technique, alors ils ont le rythme, le mouvement, la cadence, et puis, ils ont la couleur, ils ont le panache de Shakespeare comme on pourrait le dire pour Rostand, sinon ce n'est pas la peine de le jouer. J'ai vu des choses sublimes : "Hamlet" ave l'admirable Ian McKellen qui a fait, il y a quelques années, un "Richard III" au cinéma, Laurence Olivier dans "Othello" avec Maggie Smith dans Desdémone, Maggie Smith également dans "Beaucoup de bruit pour rien" avec des distributions époustouflantes.

Eux sont dans leur élément, c'est leur langage, c'est leur breakfast, ils jouent cela comme ils demandent des lardons pour le petit déjeuner. Et surtout ils ne tombent ni dans le pathos, ni dans l'excès, ni dans la caricature. Ils ont une démesure, une extravagance !. "Le roi Lear" présenté au Théâtre des Nations, donc en anglais, par Peter Brook…aaah…. c'est un souvenir insurpassable ! Nous, on sait pas, on peut pas, et Dieu sait qu'il y a des Français qui ont du relief, de moins en moins, mais à côté des Anglais on est pâlichon. On fait un peu gâteau de riz. (rires)

La fille de Peter Brook monte "La tempête" qui va être à l'affiche du Théâtre des Bouffes du Nord.

Jean-Laurent Cochet : Ah bon ? (ndlr : genre Raminagrobis alléché). Et bien je n'irai pas parce que ce que j'ai vu d'elle…on pourrait dire que ça a sauté une génération. Ce que j'ai vu d'elle ce n'est d'ailleurs pas tant du théâtre que des opéras tellement mauvais, exécrables, d'une grande bêtise et d'un tel mauvais goût. Elle est comme le sculpteur infâme Botero qui sculpte des têtes aussi grosses que des culs. Elle est le Botero du théâtre !

J'ai bien fait de vous en parler comme cela elle est, trivialement parlant, habillée pour l'été !

Jean-Laurent Cochet : Et même pour l'hiver ! (rires)

Faisons un bond en avant dans le temps et revenons à un auteur français, Marcel Aymé, dont le public des Master Classe a pu se régaler avec un extrait de "Lucienne et le boucher".

Jean-Laurent Cochet : Oui. Et qui reste un auteur méconnu alors que c'est un être rare et une œuvre rare. Il y a des choses excellentes dans son théâtre mais, dans des choses dont on se souvient parce qu'il y a des beaux rôles de comédiens, que ça avait été bien joué à la création, comme "Lucienne et le boucher" avec Valentine Tessier, et puis on s'est rendu compte après, au gré du temps, que quand c'était pas Tessier ou des gens comme ça, même des bons comédiens n'arrivaient pas tout à fait à retrouver cette paillardise élégante. Et puis, "Les oiseaux de lune" une pièce amusante. Et puis, il y a toujours un peu de vitriol au gré de ses pièces mais ce n'est pas vraiment un auteur dramatique.

Alors que les romans, et c'est là qu'il est le plus méconnu, les nouvelles et les essais révèlent un très grand auteur beaucoup plus important que n'importe quel philosophe. Les intrigues, les sujets, les scénarios, pour ne pas dire scenarii, les personnages, l'écriture et l'invention de tout ce petit monde plutôt de classe moyenne en tendant vers l'ouvrier… Il y a des personnages, on retrouve ça dans les romans du grand Dutourd. Les gens qui le connaissent et qui l'aiment ne se rendent pas compte, parce qu'ils se fréquentent entre eux je suppose, mais il devrait être connu et apprécié de beaucoup plus de lecteurs. C'est un bonheur en plus, c'est savoureux, c'est juteux, et penser que ce grand taciturne qui a peut-être prononcé cent mots dans sa vie. Il ne parlait pas, il avait la bouche fermée comme un de ses yeux une paupière qui tombait. Il aurait très bien joué Don Quichotte : un grand personnage en hauteur avec un long visage. Même la malice il ne la manifestait pas extérieurement alors qu'il n'était pétri que de ça.

Arletty m'avait raconté qu'ils s'étaient retrouvés à une soirée chez Nicky Nancel qui invitait de grands personnages, auteurs et interprètes, et sans se dire un mot de toute la soirée, il n'avait d'ailleurs parlé à personne, il était très courtois, il saluait mais ne parlait pas, puis ensuite dans le même métro. Ils sont tous deux montés en première mais il ne s'est pas assis à côté d'elle, restant debout à quelques pas, tout en faisant signe qu'il continuait à savoir qui on était. Quand elle descend, petit signe, elle fait trois pas sur le quai et Marcel Aymé se met à la porte qui est encore ouverte et il lui dit de loin, mais sans aucune méchanceté ni volonté de faire rire, pas du tout, résumait tout un temps vécu ensemble : "Vous aussi on vous a fait des ennuis à la Libération". C'était surprenant et Arletty m'avait dit que cela l'avait sidérée mais que ça avait une gueule formidable d'être unis par les mêmes conneries et les mêmes horreurs. (rires)

Je ne sais s'il est déjà opportun d'en parler mais si je vous dis Proust, est-ce que cela vous dit quelque chose ?

Jean-Laurent Cochet : Ah oui….

… parce que des bruits sont parvenus à mes oreilles….

Jean-Laurent Cochet : Ah oui vous voulez singulariser la chose… (rires) …parce que Proust ça me dit tellement de choses… Ca me dit tout ! (rires). Allons-y. C'est un jeune stagiaire, un jeune assistant de Pierre et de moi, Renaud Tallon, un garçon absolument merveilleux qui a une idée, ou plus exactement qui nous a dit un jour que "Albertine disparue" était son volume préféré de "La recherche du temps perdu" de Marcel Proust qui, pour lui, contenait tous les autres et qu'il rêvait qu'on puisse en faire une lecture intégrale, ce qui représente une douzaine d'heures, et qui serait un événement. Je lui ai dit que cela pourrait être un événement, certes oui, car avec tout ceux qui se disent proustiens, sans savoir pourquoi, cela représente pas mal de monde et je le voyais venir, croyais-je.

Il me dit naturellement "Il faut trouver la distribution". Je lui réponds "La distribution de quoi ?".Il me dit "Pour que ce soit lu par plusieurs personnes". Je lui ai alors dit "Mais tu plaisantes ! S'il faut une Madame Verdurin pour faire Madame Verdurin il ne faut pas le faire car cela devient une fausse adaptation théâtrale; surtout si tu veux un seul roman". "Comment faire?" me demande-t-il alors. "Tu prends une seule personne !". "Ce n'est pas possible ! rétorque-t-il. Et je lui dis : "Si. Moi je te le fais". Il est tombé des nues. Pierre Delavène et lui sont tombés des nues, ils ont cru que je plaisantais. Et puis on ne plaisante pas au point que la date est déjà retenue : il s'agit du samedi 22 janvier 2011 dans la très belle salle Gaveau, et cela durera de 10 heures du matin à 5 heures le lendemain matin avec de petites pause-café de temps en temps. Et puis la mort du lecteur entre-temps s'il n'arrive pas au bout ! (rires)

Nous pouvons donc l'annoncer ?

Jean-Laurent Cochet : Oui, pourquoi pas. C'est un si beau projet.

 

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En savoir plus :

Le site officiel des Cours Jean-Laurent Cochet

Crédits photos : Thomy Keat (Plus de photos sur Taste of Indie)


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# 24 mars 2024 : Enfin le printemps !

Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.

Du côté de la musique:

"Dans ta direction" de Camille Benatre
"Elevator angels" de CocoRosie
"Belluaires" de Ecr.Linf
"Queenside Castle" de Iamverydumb
"Five to the floor" de Jean Marc Millière / Sonic Winter
"Invincible shield" de Judas Priest
"All is dust" de Karkara
"Jeu" de Louise Jallu
"Berg, Brahms, Schumann, Poulenc" de Michel Portal & Michel Dalberto
quelques clips avec Bad Juice, Watertank, Intrusive Thoughts, The Darts, Mélys

et toujours :
"Almost dead" de Chester Remington
"Nairi" de Claude Tchamitchian Trio
"Dragging bodies to the fall" de Junon
"Atmosphérique" de Les Diggers
quelques clips avec Nicolas Jules, Ravage Club, Nouriture, Les Tambours du Bronx, Heeka
"Motan" de Tangomotan
"Sekoya" de Tara
"Rita Graham partie 3, Notoriété", 24eme épisode de notre podcast Le Morceau Caché

Au théâtre

les nouveautés :

"Gosse de riche" au Théâtre Athénée Louis Jouvet
"L'abolition des privilèges" au Théâtre 13
"Lisbeth's" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
"Music hall Colette" au Théâtre Tristan Bernard
"Pauline & Carton" au Théâtre La Scala
"Rebota rebota y en tu cara explota" au Théâtre de la Bastille

"Une vie" au Théâtre Le Guichet Montparnasse
"Le papier peint jaune" au Théâtre de La Reine Blanche

et toujours :
"Lichen" au Théâtre de Belleville
"Cavalières" au Théâtre de la Colline
"Painkiller" au Théâtre de la Colline
"Les bonnes" au théâtre 14

Du cinéma avec :

"L'innondation" de Igor Miniaev
"Laissez-moi" de Maxime Rappaz
"Le jeu de la Reine" de Karim Ainouz

"El Bola" de Achero Manas qui ressort en salle

"Blue giant" de Yuzuru Tachikawa
"Alice (1988)" de Jan Svankmajer
et toujours :
 "Universal Theory" de Timm Kroger
"Elaha" de Milena Aboyan

Lecture avec :

"Au nord de la frontière" de R.J. Ellory
"Anna 0" de Matthew Blake
"La sainte paix" de André Marois
"Récifs" de Romesh Gunesekera

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"Le bureau des prémonitions" de Sam Knight
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Bonne lecture, bonne culture, et à la semaine prochaine.

           
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