Après
Milan et avant Lausanne, l'exposition "Edward
Hopper" consacrée au peintre américain a fait halte à
Rome au Museo Fondazione Roma avec
170 oeuvres pour la plupart provenant du Withney Museum of American
Art de New York.
Le choix du conservateur de celui-ci, Carter
Foster, qui en assure le commissariat, est délibérément
didactique afin donner la mesure de l'ensemble de l'oeuvre d'un
peintre atypique et singulier qui se plie mal à l'exercice de
l'étiquetage ainsi que de sa méthode de travail à travers de
nombreux dessins préparatoires voire de plusieurs versions d'un
même tableau.
Cependant le parcours chronothématique en sept sections ainsi
proposé consiste en un accrochage un peu "sec" sans grande abondance
de cartels et qui prend, de surcroît, la forme, en raison de
la configuration des lieux, d'une visite déambulatoire un peu
labyrinthique, les petites salles de l'étage du Palazzo Sciarra
dédiées à la monstration manquant vraiment de recul.
Par ailleurs, le parti pris consistant à privilégier l'approche
par le processus créatif induit que le visiteur peut découvrir
des oeuvres moins connues du peintre, et notamment de belles
eaux fortes, mais en contrepartie peu des emblématiques
toiles urbaines.
Ainsi, manquent à l'appel des oeuvres majeures comme "New York
Movie", "Rooms by the sea" ou "Nighthawks Early Sunday
morning" - que ne console pas sa reproduction grandeur nature
dans le hall du musée pour permettre au visiteur d'entrer dans
"l'univers hoppérien" et dans lequel un tabouret vide permet
même au visiteur de s'y faire photographier.
Edward Hopper et la mélancolie intemporelle
Ne
boudons cependant pas notre plaisir puisque figurent "Woman
in the sun", le rare "Girlie show" et le très
beau "Soir bleu" qui date des années parisiennes.
Années parisiennes où dès 1910 sont déjà
présents les thèmes récurrents de Hopper
comme le coin de rue ("The wine shop") notamment en
contre plongée ("Night shadows"), l'escalier
("Escalier du 48 rue de Lille") et les personnages
solitaires ("Homme assis sur un lit").
Autre thème intéressant esquissé par l'exposition,
celui de l'érotisme hopperien depuis le "Summer
Interior" de 1909 à "Woman in the Sun"
de 1961 et ses femmes d'autant plus inaccessibles qu'elles sont
nues.
Peintre d'atelier, il puise son inspiration dans les lieux
de la vie quotidienne, ordinaire et banale que le traitement
pictural à la manière d'un décor de théâtre
ou de cinéma rend intriguant voire énigmatique
et les ébauches et études attestent du processus
abstrait et codifié de construction des scènes.
Le temps semble comme suspendu et il ne se passe rien qu'un
moment interminable de solitude, d'absence au monde, de néant
existentiel. Le temps suspendu comme une image cinématographique
est arrêtée sur un plan-séquence, ce qui
explique la fascination exercée par ce peintre notamment
sur certains réalisateurs comme David Lynch et photographes
de la "stage photography" comme Gregory Crewdson.
Hopper est un illusionniste, le fabricant d'une seule pièce
d'un puzzle inconnu, le metteur en scène d'un scénario
dont il ne connaîtrait qu'un plan laissant au spectateur
le soin de l'intégrer dans une fiction narrative nourrie
de ses propres fantasmes ou angoisses.
Modernité tragique, réalisme mélancolique,
peintre de la mythologie américaine, peintre de l’introspection,
tout a été évoqué s'agissant de
Edward Hopper. Mystique peut-être. Comme le croit le peintre
néo-réaliste américain Eric Fischl : "Hopper
nous révèle constamment l'abysse qui enveloppe
nos vies, et il oppose le vide spirituel, l'obscurité
de notre isolement à la lumière la plus merveilleuse
!" |