Cette journée commencera sur des notes résolument féminines, avec trois chanteuses encadrées par tout un tas de musiciens masculins, avant de déboucher sur Nada Surf, un des clous de la programmation de cette année.
Il est cinq heures, j’arrive sur le parvis ensoleillé de l’Hôtel de Ville alors que Lafayette ajuste sa balance et qu’il y a déjà un peu de monde. La technique réglée, les organisateurs mettent un peu d’ambiance avec un blind test orchestré par un certain Erwan. Deux filles contre deux garçons, et des reprises à découvrir, un point pour le titre, un pour le reprisé et un pour le repriseur. La sélection est assez pointue, comme ce festival, et on profite du "Frida" de Brel repris par Noir dez’, et des "All apologies" de Nirvana par Sinead O’Connor.
Vers six heures, nous entrons dans le vif du sujet. Lafayette c’est une noire pour quatre blancs, et une étiquette auto-accordée d’heavy rock soul. Ça démarre très rock en effet, du lourd, avec les deux guitares et leurs riffs plutôt efficaces, et du cheveu long qui se balance sur les têtes des quatre musiciens.
Côté soul, je ne trouve heureusement que la belle dégaine de la chanteuse, avec sa perruque blanche et ses jambes sculpturales.
La géante perchée sur des talons qui la propulsent au mètre quatre-vingt-dix fait de louables efforts mais peine à épater sa galerie sur des titres pourtant alléchants, "Come on", let’s get it on.
Une fois de plus, je regrette l’ancienne scène du festival, au bout des quais qui amenaient un public plus averti que ce parvis ouvert à tout vent, mais je me fais une raison car après tout, ce n’est pas plus mal pour faire découvrir artistes et labels indépendants au plus grand nombre. Alors, faute au public ou à Lafayette si la mayonnaise ne prend pas ? Quand la belle cabotine en nous demandant si elle a des cheveux blancs parce qu’elle est vieille, pardon, âgée, je ne peux m’empêcher de penser que sa musique l’est un tantinet, du rock bien énergique, mais somme toute assez classique. Après une très belle reprise de "White rabbit" de Jefferson airplane, ils enchaînent sur "Sexual suicide", le titre que je retiendrai de ce premier set d’un peu moins d’une heure.
Viennent ensuite les habituels larrons qui nous proposent de mettre des bouchons dans les oreilles, avec rigoureusement les mêmes blagues pathétiques que l’autre fois. Matthew Caws de Nada Surf nous dira plus tard qu’il est désolé, mais qu’on limite ses décibels. Que de précautions…
Le parvis se remplit, et nous sentons une certaine attente pour le deuxième groupe, Lilly Wood and the prick. La chanteuse Nili Hadida déboule dans une surprenante robe blanche bricolée à partir de casquettes, visières en bustier, bobs pour une jupe gonflée. Ça démarre direct sur "Hey it’s okay", une rengaine qui marque les esprits et pose cette voix délicieuse qui participe du succès du groupe.
La musique n’est pas en rade, avec un bon son moderne, original, teinté d’électro. Benjamin Cotto lève les mains haut sur son clavier, et on le sent très impliqué. Le providentiel duo parisien est désormais accompagné de deux musiciens et les quatre compères sont protéiformes. Chez Lilly, les instruments tournent : Nili joue de la casserole et passe derrière la basse, le synthé en bandoulière, et finalement le clavier pour quelques mesures de "L.E.S. artistes", l’énorme reprise de Santogold qui lui donne l’occasion de râper un peu. Mais tiens, n’y-a-t-il pas un musicien fantôme qui donne du clavier quand personne n’est derrière ? Ha non, ok, c’est le mac à côté du batteur… Le public est séduit par la spontanéité du groupe, un vrai contact se noue, c’est cool de jouer à la maison nous dit-elle, en effet. Sur "Down the drain", je vois bien qu’ils ont déjà leurs fans, on connaît les paroles, ici ou là. Souhaitons-leur longue vie, et retournons les voir à la maroquinerie le 24 septembre.
À la pause, Florence Aubenas, l’otage d’avant, vient faire un tour pour nous inviter à soutenir les deux journalistes détenus en Afghanistan. Elle nous informe que la France serait passée du 11e au 43e rang mondial en termes d’indépendance de la presse, en quelques années. Ça ne m’étonne qu’à moitié… Heureusement, il nous reste l’indépendance de la musique.
Backstage, je croise une jeune femme timide, solitaire, qui trimballe sa guitare. Il s’agit bien de Tanja Frita, la chanteuse de Lonely Drifter Karen qu’on retrouve sur scène quelques minutes plus tard. Elle est curieuse, cette petite fille sage qui ne bouge pas bien sur scène et n’a vraiment pas l’air à l’aise derrière son micro. On imagine que c’est parce qu’elle est perdue dans ce monde dans lequel elle nous entraîne, au pays des merveilles. Deux latins au sang chaud encadrent bien heureusement l’Autrichienne presque frigide, Giorgio Menossi le rigolard italien à la batterie de profil et Marc Meliá Sobrevias l’espagnol au piano comme au cabaret. Le groupe que beaucoup qualifie d’européen est ici rehaussé d’un bassiste américain.
Chaque morceau pourrait illustrer un film, une comédie musicale ou un conte de fées, et nous plongeons volontiers dans cet univers doux et aérien. "The world is crazy" nous dit-elle, mais elle nous le rend plus agréable dans cette ballade que tout le monde croit connaître. Nous retiendrons aussi "The owl moans low", et ses quelques mots de français, prononcés du bout des lèvres d’un bien joli accent. Le point d’orgue de ce concert est atteint lorsque Tanja démarre une chanson accompagnée de sa seule guitare. Alors que l’américain reste hors scène pour boire un coup – on l’a vu filer avec sa bouteille de rouge – les deux compères européens la rejoignent pour jouer tendrement des percussions sur la caisse de son instrument. Même si je ne suis pas sûr que ça tienne la route lors d’un long concert, ce Lonely drifter Karen est une bien belle découverte. Pas si nouvelle que ça, ils viennent de sortir un deuxième album.
La nuit tombe pour accueillir ceux qu’un parvis bien rempli attend avec impatience. À part les plus jeunes d’entre nous, nous nous souvenons tous des débuts fracassants de Nada Surf, mais leur projet du moment c’est l’album If I had a Hi-Fi, dans lequel ils reprennent une douzaine de chansons composées par d’autres.
Ils terminent avec nous une tournée centrée sur cet exercice. Restent deux dates au Japon et ils sont passés à la maroquinerie "une petite boîte" pour deux dates, on aurait dû y aller. Ce soir, ils égrainent donc ces reprises – c’est décidément la journée – efficaces bien que souvent inconnues à part l’Enjoy the silence d’un groupe anglais au nom français nous dit Matthew dans un français impeccable, souvenir du lycée francophone de New-York.
Quand le clavier – est-ce Louie Lino, le producteur qui se joint régulièrement au trio sur scène ? – sort sa trompette sur "Love goes on" des Go-Betweens, ça fait un effet bœuf. Le son est impeccable et le jeu professionnel, ce qui ne m’empêche pas de décrocher un moment. Mais je raccroche bien vite pour le final où les Nada Surf nous assènent leurs tubes planétaires. Les trois derniers morceaux nous amènent alors de 1995, "Popular" à 2005, "Always love" et "Blankest year", fuck it !" Ça marche à fond.
Mais il est déjà dix heures, Fnac Indétendances doit fermer boutique. J’ai hâte d’être à vendredi prochain, avec les Plasticines et Eiffel… |