Aujourd’hui à Fnac Indétendances, place à la Bretagne. Pour chauffer le parvis – il en aura besoin – débarque l’énigmatique Bagou Vraz, qui repose sur Néry Catineau et Raskal (les VRP, souvenez-vous). Le corps de leur prestation se compose de chansons satiriques à deux voix qui se répètent, il paraît que ça s’appelle du Kan ha diskan, et que ça veut dire chant et contre-chant en Breton. Ok, c’est rigolo, les paroles sont truculentes, engagées.
Les deux premières incarnations de cet improbable exercice sont ponctuées d’une reprise de "Zombie" des Cranberries à la harpe. L’ambiance a l’air de monter, mais nous, on doit filer s’occuper de l’artiste qui clôturera cette soirée, DJ Zebra (interview bientôt disponible sur Froggy’s Delight). À notre retour, ça ne rate pas, il pleut une très grosse drache, juste pendant le changement de groupes. La Bretagne est au rendez-vous, mais épargne ses artistes (pour l’instant).
Accostent ensuite Plantec, au son des cloches de leur "Androïde", un énorme instrumental qui nous plonge dans leur univers. Ils sont sept sur scène, la formation rock classique (guitare, basse, batterie) augmentée d’un trio breizh (bombarde, cornemuse, harpe), le tout rehaussé d’un clavier et de sons électroniques.
"On sent les métallos convertis au régionalisme" me glisse mon voisin, à moins que ce soit l’inverse. C’est vrai, le lin a remplacé le cuir, sauf chez le guitariste, un géant au cheveu lisse et à la lèvre percée.
Musicalement, ça tient très bien la route, du gros son, grave, avec une bonne section rythmique.
Le seul problème à mon sens, c’est que tout ça ce passerait volontiers de la voix du chanteur, et je ne dis pas ça parce que je ne comprends pas le Breton. À part dans le registre rauque à la Marylin Manson (à de rares moments peut-être sur "Delienn"), il y va trop fort, hors ton, écrase la musique, dommage.
Heureusement, le jeune homme passe beaucoup de temps derrière sa harpe, et au final, on se laisse entraîner dans leur forêt sombre et celtique, hard-électro-folk.
Dans la fosse, les premières chenilles se créent, les drapeaux se lèvent, les petits doigts se nouent. Pas de doute, nous sommes bien en Bretagne.
Avec Merzhin, nous irons Plus loin vers l’ouest, titre de leur dernier album et d’un de leur titre. Et c’est vrai, il y a du far west chez ces magiciens bretons – Merzhin, c’est Merlin en fait – avec des titres comme "Ma Las Vegas parano" très rock ou "Le Pacte du Diable" avec son banjo, et même un extrait du bon de la brute et du truand, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Les Merzhin appartiennent clairement à la première.
Si "Betti" semble parler de l’oriental Tibet, une jolie ligne de flûte nous le ramène à l’ouest. C’est ainsi que Merzhin s’inscrit musicalement en Bretagne, avec son sonneur qui joue d’un peu de tout ce dans quoi on peut souffler, bombardes, flûtes, saxophones et j’en passe. La formation est complétée par une voix bien posée, deux guitares, une basse et une batterie un peu légère au début, mais qui prend toute sa puissance sur "Nains de Jardin" que le public suit à fond, popopopopopopo. C’est un morceau du début du siècle, de la naissance de Merzhin, qui en est déjà à son quatrième album sorti cette année. Lui appartient la "Commedia des ratés", les chiens aboient et la caravane passe, mais pas le morceau qui reste encore dans les têtes le lendemain. De fait, tout leur set nous amène dans un grand voyage en "Train de nuit" au travers de leurs albums et s’achève sur "Poussières" qu’on retient mieux sous le nom d’infinie comédie. Un très joli final acoustique achève de nous séduire, et nous les retrouverons volontiers au Point éphémère le 2 décembre.
Se dresse entre nous et l’absolue icône musicale de la Bretagne un obstacle de taille : la pluie, que je soupçonne invoquée par les Merlins pour mouiller leur illustre successeur : Alan Stivell. Pour tout vous dire, la grenouille chroniqueuse craint l’eau et a séché le début de ce concert, bien au chaud backstage. Mais quelles sont ces cornemuses qui s’élèvent du fond de l’hôtel de ville ? Ok, c’est Zebra qui s’entraîne avec son Bagad, enfin arrivé des Interceltiques de Lorient.
Allez, courage, ça se calme, allons voir un peu le maître avant qu’il ne termine. Sous un reste de petit crachin, c’est le feu dans la fosse bretonne, et Alan est absorbé dans sa "Suite sudarmoricaine" lalalalalelo. Lui succède "Brittany’s" un joli clin d’œil aux voisins d’outre-Manche, sur son dernier album. Le final ne peut être que l’immortel "Tri Martolod", dans lequel il nous met une bonne dose de speed. Y a pas à dire, le Breton sait faire la fête, qu’il pleuve ou qu’il vente.
La pause est l’occasion d’analyses très profondes sur les artistes du soir : ils sont bavards, tous habillés en noir, et il n’y a aucune femme. Ils sont beaucoup aussi, et ça ne va pas aller en s’arrangeant.
Le final de ce soir rassemble avec audace le Bagad de Carhaix, vingt-huit âmes, et un disk-jockey DJ Zebra. Carhaix, c’est la ville des Vieilles Charrues, où le DJ solitaire s’en est allé nouer cette étonnante collaboration musicale.
Après avoir mis la main à la pate et tiré quelques câbles, il accueille les jeunes gens – certains sont adolescents – sur la scène de l’hôtel de ville, et c’est parti ! Rien de moins que "Hell’s bells" d’AC/DC pour entamer ce set à la cloche, après un excusable foirage de réglages.
S’en suit un improbable mélange – on appelle ça un bootleg – entre la "Casbah" des Clashs et "Like a hobo" de Charlie Winston, les bombardes remplacent la ritournelle de Charlie. Un Zebra survolté court entre son micro, sa guitare, ses platines et son orchestre du moment. Les classiques du rock continuent avec le "Passenger" d’Iggy Pop ou "L.A. Woman" des Doors, toujours avec leur petit morceau de Bagad dedans.
La mayonnaise prend bien, curieuse alchimie entre les sons rock et folk, et un public qui s’éclate comme jamais je ne l’ai vu sur ce parvis. Toujours plus audacieux, le zèbre s’aventure dans la jungle électro avec "Right here, right now" de Fat boy slim et "Smack by bitch" de Prodigy (avec du "Sail away" d’Enya caché dedans, si si je vous assure). Le bagad se repose un peu avant de revenir sur "Bloody Sunday" d’U2 mélangé à…"Tri Martolod" d’Alan Stivel, la boucle est bouclée. Du Gorillaz laisse la place à la marche impériale de Star wars, énorme à la cornemuse, en bootleg avec Joey Starr.
Pour le final, DJ Zebra monte sur sa table, puis descend faire un tour dans la fosse sur du Daft Punk, dont il revient torse nu, avant d’enfiler son maillot du stade rennais, numéro 10. Le bagad s’en va et Fnac Indétendances offre deux minutes à Zebra qui conclut seul sur mélange Jackson – Blur, et une dernière mesure puissante des Rage against the machine. La foule est en transe pour cette conclusion magistrale de cette Breizh touch.
Ils sont fous ces Bretons ! Rendez-vous le week-end prochain pour continuer sur des notes plus électroniques. |