Comédie de Eugène Labiche, mise en scène de Françoise Dupré, avec Marion Carroz, Bertrand Monbaylet, Jean Marzouk, Romaric Maucoeur et Marie Véronique Raban.

Eugène Labiche, avec ses acolytes co-auteurs, a pissé l'encre en commettant un nombre impressionnant de vaudevilles dont un bon nombre de comédies en un acte parfois insignifiantes.

Tel n'est pas le cas de "Le dossier de Rosafol" qui contient le manifeste subversif de cet épingleur de la dissimulation et de l'hypocrisie - qui ressortit davantage à la dénonciation des dérives sociétales qu'à la contestation idéologique - en renversant les rôles dans la société bourgeoise du 19ème siècle mettant à bas la primauté du mari, la femme devient le personnage dominant du couple et, la hiérarchie de classes, le valet prend l'ascendant sur le maître.

Le sieur Godivais sans nom ni fortune a dû se résoudre à épouser une rentière veuve qui n'est ni plus très jeune ni plus très belle ni accorte, mais néanmoins pingre et jalouse, qui lui tient serrés les cordons de la bourse, dans tous les sens du terme, en lui octroyant un maigre argent de poche qui ne lui permet pas d'entretenir une danseuse.

Alors, à défaut, le monsieur "qui manque de moeurs" et "oublie la distance qui sépare le salon de la chambre" se rabat sur les amours ancillaires que son épouse a tôt fait de repérer entraînant une valse des femmes de chambre. Mais la dernière recrue va lui donner du fil à retordre.

En effet, dans cette pièce, comme dans son pendant symétrique "Edgar et sa bonne", Labiche fait de la femme de chambre le personnage pivot. N'usant pas du procédé du quiproquo mais de celui de la péripétie, et plus précisément du coup de théâtre, l'intrigue se noue non par un convenu "Ciel, mon mari !" mais par un "Ma femme !" quand le maître de maison découvre que la femme de chambre est son ex-épouse, une ex-épouse qui a du répondant prête à négocier chèrement son départ et son silence.

A la baguette, Françoise Dupré a su tirer partie des forces et des faiblesses de cette partition servie dans son jus, de nombreuses scènes au fort potentiel comique et des personnages taillés à l'emporte-pièce, en impulsant l'indispensable rythme pétaradant et composant une distribution judicieuse pour donner chair à ce quintet de jolis cocos dans lequel, selon le goût de l'auteur pour les proverbes, dictions et sentences populaires, il n'y en a pas un pour racheter l'autre.

Romaric Maucoeur, le domestique toujours l'oreille aux aguets et le regard vif qui conteste l'autorité, Jean Marzouk, habile opportuniste et louvoyant, ce qui est quasiment pléonastique compte tenu de sa fonction d'avocat, Marie Véronique Raban, redoutable en ridicule Aglaure de Rosafol, Marion Carroz, la femme de chambre madrée sous son air de sainte nitouche butée sont parfaits.

Bertrand Monbaylet, époustouflant vibrion, se taille la part du lion dans le rôle du personnage éponyme, le bourgeois ou celui qui se pique d'en être un, cette "perle de bêtise qu’on peut monter de toutes les façons" selon Labiche, avec un abattage "vaudevillesque" irrésistible.

Une belle réussite donc, divertissement à la clé, qui s'achève sur un conseil en forme de quatrain philosophe, "Pour éviter l'orage, il est souvent sensé de savoir en ménage oublier le passé", est donc une belle réussite avec divertissement assuré.