Difficile de se motiver samedi. Depuis le petit jour, la pluie tombe sur Saint-Malo. Les cafetiers de Saint-Servan se réjouissent : "comme il pleut, les gens venus pour la Route du Rock savent pas quoi faire et viennent ici". Il est vrai que c’est bien plus agréable de se retrouver autour d’une bière dans un bar que de rester au camping. De retour au Fort, il faut se rendre à l’évidence : on passera cette deuxième soirée les pieds dans la gadoue. Dans la salle de presse, deux coupures d’électricité s’enchaînent. On prend peur pour la suite de la soirée. Mais finalement, aucun mal.
Le premier concert commence à l’heure. Martina Topley Bird arrive, majestueusement vêtue d’une cape et de sa robe rouge de princesse. Un ninja l’accompagne. Il se révèle être un excellent accompagnateur à la guitare, à la batterie, aux percussions et autres instruments peu communs. Le public est peu nombreux et la pluie tombe à verse. Mais les personnes présentes sont motivées et Martina arrive à mettre l’ambiance sous la pluie, bien désolée de ce temps qu’elle qualifie d’anglais. Mais peut-être ne sait-elle pas que c’est également un temps breton.
La jeune femme au masque rouge dessiné autour des yeux s’était surtout fait connaître par son travail avec Tricky. Aujourd’hui, derrière son clavier ou sur le devant de la scène, derrière ses micros, elle enchaîne les titres de son dernier opus Some Place Simple, version épurée de ces albums solos précédents. Martina, qui parle un français correct, arrive à faire chanter le public qui répond plus que positivement à sa voix chaleureuse et ses mélodies entraînantes, parfois accompagnées par une jeune guitariste de 15 ans. Longuement applaudie, elle revient pour un dernier morceau qu’elle jouera à la guitare. Ninja termine le set sur un solo de batterie apprécié et quitte la scène après un salut asiatique. De nombreux festivaliers, coincés à l’entrée, sont déçus d’avoir raté son concert. Pas de soucis, elle a promis qu’elle reviendrait pour Massive Attack. La chanteuse a jeté un rayon de soleil sur cette deuxième soirée, rassurant ceux qui avait peur de passer un mauvais moment pour cause d’intempéries.
D’ailleurs la pluie cesse de tomber peu de temps après, alors que la foule emplit le Fort Saint-Père. Alors que la veille, la marinière était présente sur le site sous toutes ses coutures, de la veste au pull classique, le temps aura eu raison des fashionistas. Même si quelques filles portent encore mini jupe et ballerines en toiles et que certains marchent pieds nus, la majorité des spectateurs sont parés – bottes en caoutchouc, combinaisons de ski, costumes de marin, ponchos de pluie – pour affronter la soirée en toute quiétude.
The Hundred in the Hands font leur entrée sur scène. Le duo de Brooklyn propose une électro-pop péchue et motivante. Devant un public chaque fois plus nombreux, ils donnent le ton : ça va bouger, ça va donner ce soir ! Apparemment très contente d’être sur scène, Eleanore Everdell, la dégaine rock en perfecto de cuir et slim noir, gratifie le public de nombreux sourires. Sa voix pure accompagne parfaitement la guitare et les percussions de son compagnon Jason Friedman.
Un air New-Yorkais sexy baigne la Route du Rock pour le plus grand plaisir des spectateurs. Mais le concert s’achève rapidement, un peu trop peut-être. Il faut dire que le groupe est encore peu connu du public, leur premier album sortant en septembre prochain. Les spectateurs quittent leur poste dès que le groupe sort de scène, sans attendre le rappel. Le duo revient pourtant, proposant timidement en français une chanson "pour il pluie". Plus calme que l’ensemble du set, le morceau achève de présenter l’ensemble des possibilités musicales des jeunes Américains.
Foals étaient visiblement très attendu. Des jeunes filles en furie s’époumonent à leur arrivée. Le public est compact devant la scène et devant l’écran géant situé derrière la tour technique. Impossible de s’approcher, étant descendue un peu tard d’une conférence de presse. Le nom, écrit en énorme dans le fond de la scène, ne laisse aucun doute sur l’identité du groupe d’Oxford, pour ceux qui se demandaient encore qui ils étaient. En tout cas, après leur prestation plus question d’oublier leur nom.
Présentant leur nouvel album, Total Life Forever, les rythmes électros sont entêtants, les guitares sont généreuses, les musiciens se donnent et prolongent. Un dernier morceau annoncé par un "je t’aime" lancé à la foule obtient moult acclamations. Mais concentrée sur l’obtention d’un sandwich-saucisses-frites pour garder la patate, je manque quelque peu la fin du concert. Ayant décidé que pour le prochain show, je serai bien placée, j’ai un peu honte d’avoir à avouer que j’ai préféré manger que d’accorder à des Foals emballants des derniers applaudissements.
Massive Attack était la tête d’affiche de la soirée, fêtant eux aussi cette année leurs 20 ans. Comme à leur habitude, l’écran de LED fait le show diffusant des informations choc et engagées (le salaire annuel du PDG de BP, le nombre de litres répandus dans le golfe du Mexique, le nombre de personnes touchées par le HIV au Ghana) ou des citations sur la liberté de Goethe, Chomsky ou Sartre. En guest-star, Martina Topley Bird, Daddy G ou Horace Andy viennent à chacun leur tour prêter leurs voix variées aux morceaux joués, extraits des grands classiques du groupe.
Le trip hop donne toujours l’impression que chacun profite de la musique seul dans son coin. Pas d’amis en liesse se tenant par les bras sautant partout, mais des têtes qui basculent toutes dans le même sens. Et pourtant une certaine alchimie se dégage des musiciens et du public. Les fans de toujours adorent, ceux qui ne sont pas familier du style musical se laissent emporter. Pour le salut final les dix musiciens se réunissent sur scène, partageant avec les spectateurs leur bonheur d’avoir joué ensemble. Ils se congratulent et se prennent dans les bras avec une joie qui se propage dans le public. Le concert qui a duré plus d’une heure et demie laisse des oreilles encore pleines de sons parées pour les prochains à jouer, les petits jeunes de Two Door Cinema Club.
Groupe neuf pour sang neuf, les jeunes de Two Door Cinema Club fait danser et toujours danser. Devant la scène ou derrière l’écran géant, parfois arrosé de poignée de boue, ce qui a le don d’énerver les spectateurs attentifs ou juste respecteux, ça "moove son body". La musique plutôt répétitive est efficace. Les spots lumineux insupportables jouent les stroboscopes. Et où l’on voit danser les jeunes filles comme en discothèque, recoiffant sans cesse leur mèche lissée.
La soirée étant déjà bien avancée, les groupes de jeunes partagent leur liesse. Petit bémol pour deux d’entre eux pourtant, puisque Monsieur se fait largement engueuler par son amie, gênant leur entourage d’une bonne écoute du concert.
Ayant peu accroché au son qui se jouait je confesse avoir préféré m’attarder sur cette dispute de couple. Malheureusement, mon italien n’étant pas suffisamment bon, je n’ai pu en comprendre tous les tenants et aboutissants. Le concert se termine sous les hourras du public, et oui, comme à Benicassim, les jeunes rockeurs ont fait glisser leurs instruments d’un air nonchalant mais précautionneux en quittant la scène.
Le concert de We have Band se fait un peu attendre pour les reporters fatigués que nous sommes. Tous vêtus de blanc, ils font leur apparition bien applaudie. Le Fort est encore bien fourni en population par rapport à la journée précédente. Bien motivés par Magnetic Friends qui leur avait donné un avant-goût électro sous les stroboscopes, les spectateurs s’en donnent à cœur joie à danser sur les sons sautillants parfois peu accordés des Londoniens. Mais ce manque d’harmonie rythmique ne gâche pas la fin de la fête.
Il est temps de rentrer à la tente, sur des chemins boueux, en évitant ceux qui tombent sous l’effet de l’alcool et des glissades dans la terre, ceux qui jouent comme des petits fous à sauter dans la boue ou ceux qui s’amusent à se faire tomber dans les flaques. Et de croiser les doigts pour que la tente ne soit pas inondée. Ouf, quelqu’un a entendu nos prières et on s’endort la tête remplie d’idées et de bribes musicales en attendant ardemment le dernier jour. |