François Vallejo affectionne de jouer les médiums scripturaux pour mettre les voix en mots en racontant des histoires atypiques et des destins de personnes ordinaires et cependant hors du commun.
Son dernier roman en date, le huitième, toujours publié aux Editions Viviane Hamy, ne déroge pas à cette inclination en entrant dans la sphère intime de trois soeurs, "Les soeurs Brelan", dont il embrasse la vie de manière chronologique sur une période de quarante années, de la fin de la Seconde guerre mondiale à la chute du Mur de Berlin.
Comme la combinaison de cartes dont elle porte le nom en guise de patronyme, les soeurs Brelan sont à la fois des personnalités très affirmées et très différentes les unes des autres et les éléments constitutifs d'une entité qui se présente face au monde comme un bloc qui fait front d'une seule voix. Mais ce qui est singulier est que chacune représente un membre essentiel d'une sorte d'hydre à trois têtes dont chacun est essentiel à la survie des deux autres.
François Vallejo poursuit son exploration des événements qui unissent et séparent êtres en partant, en l'espèce, d'une sororité dont il ne révèle ni n'éclaircit le postulat de départ qui réside en une sorte de déterminisme gémellaire qui affecte le comportement de ces soeurs aux destins interdépendants.
Tout commence avec la mort de leur père qui, les rendant orphelines, déclenche de processus de mise sous tutelle dont elles déjouent habilement la procédure pour revendiquer et obtenir leur liberté, à une époque où la femme vient tout juste d'acquérir sa pleine capacité juridique, et qui révèle la force et la détermination de cet étonnant triumvirat que forment Marthe la dévouée, Sabine l'entrepreneuse et Judith l'éprise d'absolu.
Une force mais également un fardeau que ce pacte de sang, une force et une faiblesse, qui entraîne un inéluctable dilemme, "ni avec vous ni sans vous".
La narration de leur vie, alternativement dans la communauté d'une sororité qui, vécue de manière très fusionnelle, parce que dans la complémentarité de la différence de chacune de ses composantes, représente à la fois un front uni inébranlable face à l'extérieur et un huis-clos parfois délétère, et hors d'elle dans de plus ou moins longues tentatives d'exil en solitaire, est une succession de défis qu'elles s'imposent, défis qui ne sont pas toujours clairement identifiés. Pour rester dans le symbolisme du jeu, les soeurs Brelan ont un atout fort mais elles édifient, au moins au plan personnel et affectif, des châteaux de cartes branlants
Peut-être faut-il les appréhender à partir d'une lecture socio-politique de ces itinéraires de vie de la génération de femmes nées dans les années 30 qui a balisé le sentier de l'émancipation féminine ou comme les diffractions d'une même femme générique. Mais s'il sème quelques petits cailloux blancs, François Vallejo ne donne, ni a fortiori n'impose, de grille de lecture.
Les fidèles lecteurs retrouveront le style et les thématiques récurrentes de l'auteur, tels les portraits croisés ou la triade, ainsi que sa plume féconde, émouvante et parfois burlesque qui sait tresser le jubilatoire et le dramatique, mais elle est ici trempée dans une encre intense, voire fiévreuse, qui la teinte d'une gravité tendue, presque noire, qui à l'instar des yeux gris de ses héroïnes, donne parfois le frisson tant elles semblent parfois hors du monde dans une posture de vie autarcique. |