Peter Gumbel est un courageux reporter qui s’atèle au démantèlement du système scolaire français dans son dernier essai On achève bien les écoliers. Il est papa de deux fillettes scolarisées en France et sacré "journaliste de l’année" par la Work Foundation de Londres. Il faut bien ça pour s’occuper du mammouth à dégraisser...
Tout d’abord, je dois vous avouer que j’ai lu cet essai en absence totale d’objectivité aussi bien vis-à-vis des écoliers que de leurs professeurs. Si vous m’aviez vu hausser les épaules, hocher la tête de connivence avec les propos (notamment sur le fait que les objectifs à atteindre en fin de chaque classe sont fixés arbitrairement par un ministère qui n’a probablement jamais fréquenté une école de sa vie). J’ai même murmuré des "ben oui" et des "n’importe quoi" par-ci par-là.
L’auteur (d’origine britannique) constate la fierté nationale de l’école "laïque et gratuite" de Jules Ferry, belle carte de visite qui fait se gonfler les poitrines des élus "nous, on propose une école gratuite pour tous, c’est chouette". Oui mais alors, pourquoi tant d’élèves démotivés ? Pourquoi l’échec scolaire est-il aussi banal ? Pourquoi chiffrer des résultats au dixième près ? Pourquoi surveiller les enseignants comme des moutons réfractaires ? Pourquoi considérer les élèves comme des robots défaillants ?
Dans ce livre mini-format, Peter Gumbel nous décrit l’école idéale, parfaite, géniale, trop bien, celle qu’on devrait tous copier : la finlandaise. Il cite plusieurs exemples édifiants, qui le confortent dans sa théorie, certes, mais qui méritent qu’on y jette un œil. Mon préféré : le fonctionnement d’une classe de CP. En résumé, un groupe de CP chante des chansons pendant que Georgette essaie de comprendre la logique du calcul mental avec un enseignant et des perles, pendant que Lucien et Ginette exercent leur écriture accompagnés de cartes (et d’un enseignant), pendant qu’Albert, Simon et Gustave revoient les lettres de l’alphabet qui ne veulent pas rentrer (avec un autre enseignant).
C’est vrai que la technique porte ses fruits, les petits Finlandais ne redoublent quasiment jamais, l’enseignement est spécifique à chaque enfant. A la moindre difficulté, au premier grincement, un enseignant est près de lui pour recommencer, répéter, reformuler, jusqu’à acquisition du savoir. Et un autre enseignant est là pour s’occuper des autres, pour différencier, pour adapter sa parole à chacun, à chaque système de compréhension de chaque enfant. L’école utopique, pleine de professeurs et d’enfants épanouis.
Alors nos bons ministres gaulois ont voulu s’inspirer de ce système impeccable, ce qui est théoriquement une bonne idée, la suite est moins bien inspirée. On n’a jamais dit qu’il fallait ajouter encore un peu plus de classe aux Georgette, Lucien et compagnie (les autres peuvent bien chanter à la maison). Et c’est ce qu’on fait. Si Gustave n’a pas compris que la lettre Q n’a rien à voir avec son derrière mais se rapproche plutôt du C ou du K, et bien Gustave va venir plus tôt à l’école (ou rester plus tard, ou écourter son repas, ou annuler la partie de foot entre midi et deux) pour que sa maîtresse solitaire recommence, répète, reformule, jusqu’à acquisition du savoir.
Dans un style clair et truffé d’autres exemples, Peter Gumbel nous décrit pas à pas la manière dont l’école française achève ses écoliers. Loin de l’envie de plaire à tous, ni même de convaincre tout le monde, l’auteur ouvre seulement les yeux à ceux qui n’avaient pas encore réalisé que d’énormes progrès restent à faire avant de voir l’école française élever ses élèves au meilleur d’eux-mêmes. Combien de temps avant qu’ils comprennent là-bas, rue Grenelle, que la multiplication des personnels serait plus bénéfique qu’une restriction budgétaire (l’annulation de la pompeuse garden party pourrait faire des bébés) ?
C’est bien beau tout ça, mais le rôle des parents, la formation des enseignants, le pourquoi des inspections, les rôles des conseillers pédagogiques, la présence des animateurs formateurs, tout ça n’est jamais mentionné, à mériter un deuxième tome. Et mettre tous les enseignants dans le même sac n’est pas très sympa, ce ne sont pas tous des dragons.
Voilà de quoi inspirer maintes bonnes résolutions de la rentrée. |