Réalisé
par Alexeï Guerman Jr. Russie. Comédie dramatique.
Durée : 2h05. (Sortie le 15 septembre 2010). Avec Merab Ninidze, Chulpan Khamatova et Anastasya Sheveleva.
Où en est le cinéma russe ? Ce n’est pas avec la sortie au compte-gouttes de quelques films par an, souvent œuvres d’auteurs connus (Mikhalkov, Sokourov) que l’on pourra s’en faire une idée précise.
Il y a quelques mois, on avait vanté “Salle n°6”, une adaptation d’une nouvelle de Tchekhov tournée dans un asile psychiatrique où se mêlaient patients et acteurs, qui permettait de supposer que la Russie bougeait encore cinématographiquement.
Sans doute, le Festival Moscou-St Petersbourg qui commence au Forum des Images, et dont on parlera largement tout au long de son déroulement, devrait permettre de reprendre pied dans une cinématographie abandonnée à la fois par les exploitants et par les revues de cinéma.
La sortie de "Soldat de papier", troisième long métrage d’Alexeï Guerman Jr, permet de répondre à quelques interrogations immédiates : oui, en Russie, il reste encore une volonté artistique, oui, il reste encore des cinéastes ambitieux, oui il reste une envie de revisiter l’histoire du pays par le prisme de la pellicule.
Alexeï Guerman Jr traite d’un élément important de la politique soviétique post-stalinienne : l’aventure spatiale. L’homme nouveau soviétique se devait de devancer dans les étoiles son adversaire capitaliste américain.
Loin du réalisme scrupuleux d’une reconstitution historique académique, Guerman pousse très loin la stylisation de son récit. De la Cité des Étoiles (Baïkonour), on ne verra que des baraquements perdus dans la boue, une ligne de chemin de fer arrivant nulle part et quelques jeunes hommes en survêtements subissant un entraînement bizarroïde en attendant que l’un d’entre eux soit le premier homme envoyé dans l’espace.
Ici, se lit la faillite en pointillé de l’utopie de 1917 : le bonheur promis sur terre est désormais reporté au-delà des airs et comme toujours en Russie, l’aventure que l’on va fantasmer grandiose et que la propagande va rendre glorieuse n’est qu’un prétexte à un joyeux bordel, plein de cris, de vitupérations et propice aux libations.
On ne s’étonnera pas alors que le héros de Guerman ne soit pas le naïf, courageux et radieux Iouri Gagarine, bon garçon soviétique bientôt héros malgré lui, mais le médecin géorgien qui supervise l’entraînement des cosmonautes, un homme anxieux, apeuré devant cette quête inutile et dangereuse, un homme qui pédale à tue-tête vers la folie.
Ce qui frappe dans "Soldat de papier", c’est que Guerman ne répond pas aux canons actuels de la narration du cinéma occidental.
Riche de toute la théâtralité russe, avec des acteurs capables de variations extrêmes, passant de la gravité à l’insignifiance en un rire, son film retrouve des accents oubliés du cinéma d’auteur, comme ce travail subtil sur la couleur ou cette manière de filmer le beau visage de Chulpan Khamatova.
Évidemment, il faut partir pour Baïkonour avec une grande disponibilité car le film est tout sauf aimable. Suivre sans ennui les facéties dépressives de Merab Ninidze dans cet univers boueux se mérite.
Ce n’est pas un seul film qui peut faire le printemps, mais "Soldat de papier" est une proposition originale pour un cinéma encore en reconstruction. |