Comédie d'Eugène Labiche, mise en scène de Nicole Gros, avec Philippe Ariotti, Anne Barthel, Guy Bourgeois, Marie Véronique Raban et Romaric Maucoeur.
C'est jour de baptême chez les rentiers Lenglumé mais si Madame, fébrile, et déjà sur le pied de guerre et n'en a cependant pas oublié l'anniversaire de son époux, Monsieur dort encore en inattendue compagnie.
Car celui-ci a ramené d'une secrète nuit de bamboche organisée par les anciens élèves du collège Labadens, non pas une cocotte comme l'écrira plus tard Feydeau déclinant ce début d'intrigue, mais un ronfleur, le cuistot Mistingue.
Tous deux victimes d'amnésie éthylique sont durement ramenés à la réalité par la lecture d'un faits divers - d'unjournal vieux de vingt ans - qui révèle non seulement un agissement nocturne meurtrier dont ils portent sur eux les traces dénonciatoires mais aussi leur âme de sordides fripouilles qui n'hésitent pas à envisager de commettre consciemment d'autres crimes pour ne pas être inquiétés.
Dans "L’affaire de la rue de Lourcine", Eugène Labiche, comme souvent, illustre de manière burlesque une expression du langage courant, en l'espèce, celle "entre être quitte pour sa peur". La charge est ici particulièrement féroce, même s'il conclut la pièce par un couplet dans lequel les deux compères au patronyme évocateur, qui se déclarent "sans malice", chantent qu'ils ne désiraient que faire rire le public au gré de ses attentes.
En effet, il y dénonce l'amoralité et le cynisme des hommes bien sous tous rapports qui, à aucun moment, ne manifeste le moindre étonnement face à leur turpitude initiale, dans un heureux mélange des genres.
Nicole Gros orchestre cette cauchemardesque peinture de la condition humaine en respectant le texte et sa métrique, couplets inclus, avec toute la sagacité qui mène, par l'alternance de la farce, de la tragi-comédie et du tragique, au rire jaune.
Elle s'inscrit également, pour les personnages, dans un traitement différent de celui vu récemment à diverses reprises, dans des propositions globales au demeurant fort dissemblables, qui faisaient de Lenglumé un ahuri, victime du destin, de Mistingue un roublard patenté, de l'épouse une écervelée voir une décervelée et donnaient à la bonne une couleur ionescienne.
Pour ce faire, elle a choisi une distribution solide qui, dès les premières représentations oeuvre dans un même registre cohérent. Marie Véronique Raban campe avec le sens de la nuance les différentes émotions qui assaillent l'épouse bourgeoise prise dans une incroyable tourmente qui lui coûtera la vie de son chat. Romaric Maucoeur, le père du baptisé pris pour un maître-chanteur, joue bien de l'ambiguïté pour parvenir à ses fins d'emprunteur et Anne Barthel est excellente dans le rôle de la domestique interloquée.
Reste le tandem sur les épaules duquel repose l'édifice d'invraisemblance bâti par l'auteur. Et, en l'espèce, Philippe Ariotti en Lenglumé à la fois pleutre et retors qui, traqué, est prêt à tout, ce qui est logique puisque c'est celui qui a le plus à perdre et Guy Bourgeois en Mistingue dépassé par les événements qui ne peut compter que sur son cerveau archaïque, les deux font bien la paire, de manière tout aussi contrastée que désopilante en maîtrisant le tempo du duo clownesque tout en donnant une dimension pathétique, et donc humaine, à leur personnage. |