Pour sa septième aventure, sise dans le 8ème arrondissement, Mona Cabriole passe en version deux point zéro sous la plume cyber-gothic-punk d'Alex D. Jestaire. Ce serait l'histoire d'une fille larguée, un peu à tous les sens du termes, qui passe la dernière journée avant la fin du monde à tourner autour des Champs Elysées, épuisée et sans vraiment de but, spectatrice impuissante de la folie, parfois meurtrière, toujours grotesque, qui envahit les rues de la capitale.
Un arrière-goût de millénarisme, douze ans plus tard. 21 décembre 2012. Fin du monde annoncée. Mona y prend la peau d'une grande gueule provocatrice et inadaptée. Politiquement incorrecte. Pas si loin de la Lisbeth Salander de Stieg Larson (Millenium). Elle boit du café pour tromper sa fatigue. Ne lâche pas son i-phone. Trip Hop, électro, indus, metal. Björk, Massive Attack, Nine Inch Nails, Front 242, Porcupine Tree, Marilyn Manson... Ce qui n'empêche pas parfois le passage presque subliminal d'une ritournelle plus légère, servie par Joe Dassin ou Céline Dion, non sans un certain humour allié à un sens remarquable du contraste.
On avait trouvé à La nuit ne viendra jamais (l'aventure précédente de la journaliste, née de la plume de Joseph d'Anvers) une certaine noirceur. Mais il s'agissait d'une noirceur douce et profonde, romantique. Ici tout est noir d'un noir gris foncé, comme une chape de plomb dont le monde ne parviendrait à s'extirper. Mauvais rêve, gueule de bois, perception altérée par les cachets. Overdose de baise résignée au désir mort-vivant, focalisée sur la seule domination comme jouissance, jouissance comme domination. Désespoir de rigueur – au sens propre, sans même l'espoir d'un espoir possible. Ne reste qu'une déception résignée, cynique, mordante en retour. Un monde dans lequel on aurait abandonné la tristesse elle-même pour ne garder que la colère, l'agressivité.
Le roman se lit comme on sombre dans ses humeurs les plus massacrantes. Comme une version techno-grunge d'un After hours (Martin Scorcese, 1985) vidé de toute légèreté, de tout kitsch même. Confronté à l'insoutenable pesanteur des choses, Mona tourne, en rond, de l'Etoile au Rond Point des Champs, ne cesse de revenir sur ses pas. Et donne l'irritante impression de ne rien contrôler de ses propres trajectoires. L'impossibilité même de la décision. Tandis que pas très loin, et bientôt juste sur ses pas, le meurtrier se prépare à frapper.
Résolument moderne, le polar tire parti des éléments des différentes sous-cultures modernes pour construire son ambiance et son intrigue : la culture télé et l'imaginaire de ses séries, l'univers des musiques metal, l'obsession de la jeunesse pour le sexe et les psychotropes, le refus de toute autorité, de tout cadre, de toute valeur, internet sous toutes ses faces et avec toute la folie que l'information en temps réel peut induire.
Ainsi propulsée en un pays désenchanté de l'autre côté d'un miroir que n'aurait pas renié Maurice G. Dantec, Mona Cabriole, envapée et toujours en retard d'un temps sur sa propre vie, lutte un jour durant pour sortir la tête de l'eau croupie d'un fleuve qui pourrait bien être le Styx plutôt que la Seine. Elle nous offre surtout l'occasion d'une réflexion terrifiante sur notre post-modernité et la déréalisation de l'humain à laquelle nous ne cessons de consentir, jour après jour – jusqu'à, peut-être, une fin du monde, où il faudrait bien voir que derrière le sérieux de nos vies, le roi est nu, et fou, et furieux ? |