Directrice aux Editions Plon d'une nouvelle collection qui propose des portraits fictionnels de personnalités, Amanda Sthers, romancière, scénariste et auteur dramatique à succès, ouvre le feu, avec l'évocation particulièrement réussie d'une star kitschissime du music hall américain des années 50.
Totalement inconnu en France, "Liberace" est un showman extravagant qui a défrayé la chronique tant par la démesure de ses spectacles, qui ont fait salles combles pendant des années à Las Vegas notamment, que par son addiction pour le luxe tapageur d'un mauvais goût à la fois péplumesque et saint-sulpicien au demeurant revendiqué et assumé.
Addiction également à la drogue, aux éphèbes et à l'éternelle jeunesse à coups de bistouri pour ce "pianiste-performeur agité de la moumoute", dixit Eric Loret, journaliste à Liberation, qui lui a consacré un article dans la colonne consacrée aux personnalités hors normes.
Amanda Sthers se glisse habilement dans la peau trouble de l'homme et le costume clinquant du personnage pour dispenser sous forme d'un monologue "sur le divan" - l'incursion biographique intervenant sous forme de séance de psychanalyse fictive - un exercice de style totalement maîtrisé qui, par ailleurs, ne prétend ni à l'essai ni à la biographie.
La narration subjective, fort convaincante, de la vie du monsieur surnommé "Mr Showmanship", précurseur syncrétique de André Rieu, Zizi Jeanmaire et Mickael Jackson, écrite à la première personne du singulier s'articule autour de la thématique du double (lui et le frère jumeau mort-né, l'homme et le personnage fabriqué de toutes pièces à partir des schémas et des refoulements de l'enfance).
Un enfant fasciné par le rituel liturgique et les ornements sacerdotaux, notamment le chandelier qui sera son emblème, ("Je dois à l'Eglise ma façon de distraire les foules") et doué pour le piano qui le sortira de l'Amérique profonde et de la misère d'une famille pathogène avec une mère castratrice et un père violent.
Adulte dans son corps plus que dans sa tête, il est néanmoins, et étrangement, très lucide sur la nature de son talent ("Et que vais-je laisser de mon passage sur Terre ? Rien. Ni un enfant, ni une oeuvre. Je n'ai été que des doigts au service du génie. J'ai du talent mais pas une miette d'inventivité.") et ses névroses ("Je ne suis bon qu'à enfiler des peaux, docteur, à réinventer des morceaux que d'autres ont composés. A me grimer sous des vêtements qui brillent. A sucer la vie des jeunes gens. Je suis un bébé qui trimballe la carcasse de son double et cherche à l'animer, un doudou tout pourri au bout du bras.").
Et, surtout, sur sa quête inextinguible de l'amour et de la reconnaissance du père ("Rien de ce que j'ai fait n'a pu trouver grâce aux yeux de mon père. Toute ma vie j'ai tenté de lui arracher un sourire, une approbation, un sentiment de satisfaction mais en vain.").
Cette approche est-elle la bonne ? Il est toujours difficile de vouloir et de croire appréhender la complexité d'un homme et d'un parcours et la psychanalyse offre des grilles de lecture parfois un peu réductrices et trop évidentes. Mais, à l'inverse, pourquoi ne s'exprimeraient-ils pas par la plume, peut-être médiumnique et, en tout état de cause inspirée, de Amanda Sthers ?
Cela étant, cette confession-portrait intime de "Liberace vu par Liberace" pétrie d'humour, d'un vrai sens de l'autodérision et d'un désespoir absolu, est aussi savoureuse qu'édifiante. Quand le masque colle à la peau, nait la légende et Liberace est devenu, sans le savoir ni le pressentir, un patriarche.
Et il suffit aux sceptiques de la prendre comme une fiction relatant un destin atypique et un coup de projecteur sur les moeurs socio-culturelles de l'Amérique des Happy Days. |