"Minuit". Minuit dans le siècle. En 1940, la nuit s'est abattue sur la France. Sauve qui peut ! C'est la débâcle et l'exode. Paris est occupé et des hordes de gens empruntent les routes qui mènent en zone libre. Et la voix de la France s'est tue. Certes il y a eu l'appel du Général de Gaulle replié à Londres. Mais dans l'Hexagone, silence radio.
Alors Dan Franck mène une enquête pour connaître les raisons de ce mutisme dans un pays réputé pour son élite intellectuelle et artistique et dont le rayonnement dépassait les frontières. Et le constat est édifiant.
D'aucuns lui reprocheront sans doute certaines insistances et figures oubliées. Mais dans ce bienvenu opus qualifié de "récit", Dan Franck ne prétend ni à l'exhaustivité ni à l'oeuvre d'historien. Il préfère se situer dans le registre du feuilleton populaire ("J’aime la petite histoire dans la grande. C’est la mise en situation de personnages réels qui m’a intéressé") et ne verse ni dans l'essai, ni dans le règlement de comptes.
Même si parfois la plume se fait plus insistante (il suffit de lire entre les lignes pour comprendre vers qui va sa sympathie ou son opprobre), s'il pousse quelques coups de gueule, submergé par l'émotion (comme pour la mort de Max Jacob dont les anciens amis, qui détenaient le numéro de téléphone privé d'un ami personnel de Hitler, se contentent de signer une pétition alors qu'un coup de téléphone aurait sans doute suffit), il tient la position de l'observateur qui relate et compile les faits, des faits avérés dont il cite les sources, sans les passer au tamis de l'interprétation. Car ceux-ci parlent d'eux-mêmes.
Avant de se pencher sur les "occupations" individuelles des grands noms parfois aujourd'hui mythifiés et de déboulonner quelques statues, il rappelle, dans le premier chapitre intitulé "Lignes de fuite", le contexte dans lequel interviennent cette nuit noire et cette éclipse intellectuelle et notamment deux faits historiques qui, pour le moins, donnent à réfléchir et rétrospectivement épouvantent.
Dès le 28 septembre 1938, veille de Conférence de Munich, commençait le transfert des oeuvres d'art détenues par les grands musées nationaux, notamment Le Louvre, dans des châteaux et musées de province situé dans des régions, qui se situent... au sud de la future ligne de démarcation. Et lors de l'envahissement de la Pologne, les 110 divisions françaises et britanniques n'ont pas bougé une oreille face aux 23 divisions allemandes.
Ensuite, le lecteur peut suivre, à la trace, la vie de ceux qui avaient voix au chapitre, qui avait la parole et le don de la parole, qui avaient le devoir de s'exprimer pour ceux qui ne savaient pas le faire et ceux qui ne pouvaient pas, ou ne pouvaient plus le faire ainsi que de ceux qui, personnalités publiques du monde des lettres et des arts, représentaient, d'une certaine manière, la France.
Et l'ont-ils fait ? Hélas non, pour la plupart de ceux dont la vie n'était pas menacée, les "pas vraiment salauds, pas du tout héroïques", étaient "occupés" à quitter le navire et, pour ceux qui ne s'exilèrent pas, "composant afin de vivre presque comme avant, sinon mieux" et "exposant, publiant, se produisant, fermant les yeux sur les misères et les tragédies des voisins".
Quelques figures admirables se dessinent mais les tribuns des années 30 et les engagés frénétiques de l'après-guerre ont été, pendant cette période, tous atteints du syndrome des trois singes.
Bien évidemment à lire pour ne pas être contaminé. |