Pour la quatrième fois, Pierre Henry ouvre son antre aux curieux afin de faire découvrir des oeuvres musicales récentes, mais aussi ses créations plastiques.
Pierre Henry est un des pères de la musique acousmatique, ou musique concrète, c'est-à-dire d'une musique où on travaille le son pour finaliser l'oeuvre, sans l'intervention de musiciens ou d'instruments. Pierre Henry, 82 ans, compagnon de route d'Olivier Messiaen, Pierre Schaeffer ou Pierre Boulez est souvent considéré comme le plus ancien DJ. Ce sont surtout ses collaborations avec Maurice Béjart, et en particulier Messe pour le temps présent en collaboration avec Michel Colombier, qui lui apportèrent la reconnaissance publique. Son Psyché rock, écrit en 1968, librement inspiré de Louie Louie des Kingsmen, a été remixé par Fatboy Slim, mais sert de générique pour le dessin animé Futurama tellement il est emblématique de la musique futuriste.
Aller chez Pierre Henry tient donc autant du privilège, privilège de pénétrer le lieu d'intimité d'un monstre sacré, à la fois classique, pop et futuriste, que de l'expérience musicale et plastique.
Le "concert" se tient donc dans une petite maison de ville du XIIe arrondissement de Paris, rue de Toul. Passé le portail, dans la cour déjà, on est entouré d'oeuvres, entre le tableau et la sculpture, mélange de morceaux de métal tordu, d'électro-aimants, de collages de circuits imprimés. En pénétrant dans la maison, on découvre à droite le studio de Pierre Henry, ses claviers, ses tables de mixage. Lui est assis, à l'écart, au fond de la pièce, concentré. On est reçu par des bénévoles, il y a sa femme, des amis de Pierre Henry, qui nous invitent à visiter les différentes pièces, le salon, la chambre, le bureau.
Tout cela est organisé sur deux étages, autour d'un escalier en colimaçon. Une sorte de grand foutraque d'oeuvres diverses, des boîtiers de cds fixés avec des rivets, une ronde chaussons de danse qu'utilisaient sa femme. Les oeuvres plastiques sont créées au premier étage, dans la cuisine. Pierre Henry sort une planche afin de transformer cet espace de vie en atelier. Et partout, outre les tableaux, des enceintes, et des racks de prises électriques. Des enceintes jusque dans les toilettes. Et aussi des étagères en sorte de mécano géant, uniquement composées de barre de métal, comme dans le premier garage venu, où sont entassées des bandes magnétiques et des bandes magnétiques. Les archives du travail d'un des compositeurs majeurs du XXe siècle sont à portée de main, dont certaines n'ont sûrement jamais été diffusées, et lui est un étage en-dessous.
Il faut alors choisir sa place. Dans chaque pièce, dix à quinze siège en plastique. Et des enceintes. Et des prises électriques. Que se passe-t-il dans les autres pièces, certains sont-ils assis sur le lit, appuyés sur une commode ? Il semble même qu'il y ait un fauteuil dans la salle d'où Pierre Henry, mixe ou diffuse sa musique.
Dans le bureau, au premier étage, six enceintes et huit sièges. La lumière est tamisée. La première oeuvre sera "Phases de quatuor", composée en 2000, hommage à Maurice Béjart. A partir d'oeuvres de Schubert, Pierre Henry décompose une oeuvre pour la reconstruire différemment en y intégrant voix et bruits divers. On pense aux objets surréalistes, miniatures, sous plexiglas, que collectionnait André Breton. Le second morceau, "Miroir du temps", composé en 2008 est plus abstrait, plus difficile d'accès.
Divers sons rappellent à Pierre Henry des mélodies concrètes, les musiques, les sons, cordes pincées, oscillations magnétiques, se répondent les uns aux autres comme par un jeu de réflexion dans des miroirs. "Envol", composition de 2010, débute par des boucles de sons métalliques, telluriques, avant de s'apaiser. Les sons se font plus cristallins, les notes sont plus étirées. Puis un retour vers des atmosphères animales, des bruits de jungle, une jungle de plus en plus urbaine, crée le malaise. Enfin, Pierre Henry propose un "Psyché rock" remixé, destructuré, puis réarrangé autour de basses dansantes à faire pâlir la plupart de dj's techno.
Lorsqu'on redescend au premier étage, on découvre un Pierre Henry, sorte de vieil ours barbu et chenu, fatigué par la série de concerts qu'il donne depuis deux semaines, à l'écart. Étrange image d'un homme qui par sa musique montre à quel point il est plein de joie, d'ivresse, de passion, d'imagination et d'énergie, mais qui ne pourra jamais traduire cela à son public qu'à travers ses enceintes. |