Comédie burlesque de Hanokh Levin, mise en scène de Laurent Pelly, avec avec Pierre Aussedat, Marie-Lis Cabrières, Fany Germond, Olivier Jeannelle, Eddy Letexier, Benjamin Meneghini, Christiane Millet, Christine Murillo, Denis Rey, Jean-Philippe Salério, Bruno Vincent et Patrick Zimmermann.
Que tout le monde le sache, ou se le rappelle, avant de se rendre au Théâtre du Rond-Point : l'auteur dramatique israélien Hanokh Levin ne respecte rien, pas même la mort d'un proche, et oeuvre dans un registre satirique écrit avec une plume trempée dans un mélange paradoxal de lucidité dissoute dans du vitriol et d'humanité sensible.
Son théâtre ne peut s'entendre que dans la démesure de la fable burlesque car sa caractéristique essentielle réside dans un processus syncrétique singulier et unique qui mêle le prosaïque, le métaphysique et le philosophique tout comme il imbrique les registres de l'absurde au vaudeville.
Un théâtre qui secoue parce qu'il montre l'homme tel qu'en lui-même à travers des personnages qui ne sont pas sans parenté avec ceux de Beckett, car des hommes ordinaires mais monstrueusement humains, égoïstes, mesquins, et surtout terriblement bête, de cette bêtise crasse qui fait le grand écart entre candeur et cruauté, et cependant tous dotés, sans le savoir, d'un humour noir ravageur et d'un sens de l'autodérision roboratif.
Ce que Laurent Pelly réussit parfaitement à représenter sur scène avec "Funérailles d'hiver" dans laquelle Hanokh Levin poursuit l'exploration de ses thématiques favorites que sont le carcan relationnel familial avec le poids des traditions et la reproduction atavique de codes sclérosants, sinon aberrants, et, comme toujours, le sens de la vie en mettant en scène des personnages qui, acculés dans une impasse, sont emportés dans une sorte de maelstrom incontrôlable sans autre échappatoire que la fuite.
Le fait générateur de l'intrigue est banale : un décès dans une famille la veille d'un mariage. En effet, Alté Bobitshek fort malade sachant qu'elle ne pourra assister à la fête prend comme un malin plaisir à mourir la veille, histoire d'enquiquiner son entourage afin qu'il se rappelle d'elle.
Et l'orphelin, son fils Latshek Bobitshek soumis jusqu'au dernier moment à une mère tyrannique - les femmes de Levin sont toutes des épouses abominables et des mères castratrices - de rameuter la famille, en l'occurrence, la cousine Shratzia tant par devoir filial que ne pas être seul à suivre le cercueil.
Cette dernière, qui savait depuis son 5ème anniversaire qu'elle était née née pour marier sa fille, tout comme son mari, les futurs beaux-parents et les futurs mariés ne veulent même pas entendre parler de ce décès. Mais Latshek Bobitshek est une sangsue opiniâtre que même une même une téléportation au sommet de l'Himalaya ne parvient pas à le décourager dans une folle course-poursuite-hécatombe tragi-comique, dans des décors de péplum théâtral conçus par Marie La Rocca, qui évoque en symétrique inversée celle de Labiche dans "Le chapeau de paille d'Italie".
Laurent Pelly gère avec assurance la contrainte structurelle de cette "farce burlesque en huit tableaux", qui s'accorde bien avec sa propension à la mise en scène cinétique, et la direction d'une troupe de comédiens tous excellents, qui ont bien en bouche des dialogues jubilatoires.
La troupe est menée par Christine Murillo, au sommet de son art, qui campe avec virtuosité la mère qui ne veut pas sacrifier son destin et ses huit cents poulets cuits pour suivre un corbillard. A savoir, une défunte (Christiane Millet), un orphelin agaçant (Eddy Letexier parfait), un voisin solitaire (Jean-Philippe Salério), un ange de la mort qui recueille les âmes exalées par un long pet (Bruno Vincent), deux joggers qui veulent courir plus vite que la mort (Denis Rey et Olivier Jeannelle), des maris transparents (Patrick Zimmermann et Pierre Aussedat), une future belle-mère au langage plus que fleuri (Marie-Lis Cabrières stupéfiante) et, bien sûr, deux futurs mariés nigauds qui finissent perchés sur une table comme les figurines des gâteaux de mariage (Fany Germond et Benjamin Meneghini).
A déguster sans modération.
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