Drame de Victor Hugo, mise en scène de François Rancillac, avec
Alain Carbonnel, Agnès Caudan, Linda Chaïb, Sébastien Coulombel, Vincent Dedienne, Yann de Graval, Denis Lavant, Charlotte Ligneau, Florent Nicoud, Robert Parize, Baptiste Relat et Pierre-Benoist Varoclier.
Victor Hugo n'a pas écrit que des chefs d'oeuvre pour la scène et le reconnaître ne relève ni de la présomptueuse pédanterie ni d'une bouffée délirante de tabula rasa pour déboulonner les statues.
Ainsi en est-il de "Le roi s'amuse", classé dans le registre du drame historique, écrit par Hugo trentenaire dans un dessein de satire politique - et dont la résonance ressentie comme subversive à l’époque entraîna son interdiction immédiate - qui ressortit davantage au mélodrame échevelé à la versification erratique.
L’intrigue se situe à la cour du roi François 1er, où sévit la luxure et la débauche, celui-ci, chef d’une lignée friande des plaisirs pas que courtois assouvit son appétence pour les amours pas que courtois aussi bien au Louvre que dans les bas-fonds de la capitale, entouré de courtisans à la sexualité équivoque annonciatrice des mignons et de femmes à la cuisse légère.
Le drame est celui que va connaître Triboulet, son bouffon qui paiera cher les privilèges de son statut de fou du roi, dont il use sans modération et avec cruauté, en étant dépossédé, d'odieuse manière, de son bien le plus précieux, sa fille, une jeune fille pure et vertueuse sacrifiée sur l’autel du vice.
Cela étant, comme il l’indique dans sa note d’intention, François Rancillac a monté cette pièce - dont il retient pour thématique la filiation absente - dans une sorte de revival de son hugolâtrie d’étudiant avec un parti pris de contextualisation partielle en adéquation avec l'iconographie contemporaine. Mieux vaut donc le savoir avant de s'embarquer pour une immersion de longue durée, excèdant deux heures trente, sans entracte.
Ainsi le décor conçu par Raymond Sarti, métal, miroirs, fauteuils Louis XV bombés argent, guirlandes lumineuses et boules à facettes, évoque davantage une discothèque branchée d’Ibiza que les alcôves de la Renaissance et d'ailleurs le spectacle se déroule dans un habillage sonore techno-electro-disco ad hoc.
Hugo prend son temps pour illustrer la diatribe contre les moeurs des politiques de son temps avant de verser et s'engorger dans le mélodrame. Le roi, interprété avec un joli réalisme distancié par Florent Nicoud, laisse libre cours à son bon plaisir, pendant que ses favoris se mirent et défilent comme des mannequins sur un podium.
Et à la mesure des pousses aristocratiques oisives engluées dans la vacuité d’une existence dorée, la jeune génération de comédiens tous frais moulus des écoles nationales, qui portent bien les scintillants pourpoints blasonnés et un flatteur étui pénien en velours rouge élaborés par Sabine Siegwalt, peinent à trouver leurs marques.
Ensuite, les projecteurs se braquent sur le bouffon et sa fille. La fille est interprétée avec justesse par la délicieuse Linda Chaïb qu'il faut cependant regarder avec les yeux du coeur pour voir en elle, même vêtue d'une robe de petite fille, une jouvencelle à peine nubile.
Quant au bouffon, la partition est dévolue à Denis Lavant, comédien d'exception qui peut transcender un rôle en lui apportant un néo-expressionnisme déchirant et sa scansion profératoire singulière. En l'occurrence, il donne dans une démesure spectaculaire accentuée par son costume de freak (corset couche-culotte, minerve, chaussures à plate-forme de drag queen en deuil, cane et chapeau melon) qui évoque le Charlot de Chaplin sortant de l'Hôpital de Garches. Et, monstre de scène, il fascine.
Et le roi s'amuse-t-il au moins ? Non, pas vraiment. |