Spectacle conçu et interprété par Ilka Schonbein accompagnée par Alexandra Lupidi.
Il était une fois, non pas une princesse, mais une reine. Une reine sans royaume, à moins qu'il ne soit dans un autre monde, parallèle et/ou magique, une vieille reine décharnée et édentée qui veillait jalousement sur son pommier dont elle dévorait goulument les fruits dans toutes ses déclinaisons culinaires.
Un jour, arrive, sereine, la camarde qui, trop confiante dans le succès de son entreprise face à cette si fragile figure, se laisse divertir. Car la reine qui se gave de ce fruit à la riche symbolique, du fruit interdit au symbole cosmique, fruit de la magie et de l'immortalité, ne veut pas mourir et, vieille bête malicieuse, elle entraîne la camarde dans une danse fantasmagorique qui la renvoie pour ce qu'elle est, une projection morbide de soi, dans les profondes contrées mentales.
Accompagnée par Alexandra Lupidi, mezzo-soprano, compositrice et instrumentiste inspirée, Monsieur Loyal et narrateur cocasse, qui assure l'habillage musical du spectacle, un habillage syncrétique qui puise dans tous les registres, de la musique baroque au chant klezmer, Ilka Schonbein, comédienne, danseuse et marionnettiste d'exception, délivre avec "La vieille et la bête" un spectacle extraordinaire, au sens premier du terme, et unique.
A travers, en l'occurrence une sélection de quatre contes des Frères Grimm, elle ouvre les portes d'un univers thaumaturgique qui brasse des thématiques universelles et intemporelles, le véhicule du corps, le naufrage de la vieillesse, la mort mais également le cycle karmique de la vie et la métempsychose qui passe, en l'espèce, par le ré-enfantement de soi.
Nourrie des théories anthroposophiques et de l'esthétique de l'expressionnisme sécessionniste, Ilka Schonbein, qui ressemble à Adèle Harms, la "femme assise avec un genou plié" de Egon Schiele, procède à une invocation mystérieuse et mystique pour la recherche de l'âme au travers de la posture du corps.
Ainsi le corps de la vieille n'est qu'une guenille à l'apparence trompeuse qui recèle la matrice universelle à enfanter de nouveaux avatars qui ont tous ses traits, aussi bien de celle qui fut une grâcieuse enfant ballerine que du prince charmant caché dans la peau de l'âne qui voulait jouer du luth.
Le travail de marionnette avec des masques en papier mâché, d'une singularité et d'une fluidité troublantes, aussi époustouflant que le morphing, qui développe par ailleurs certains éléments formels et dramaturgiques du théâtre épique brechtien, est éblouissant et le voyage proposé, sous des allures de conte pour adultes, particulièrement addictif.
Et avant que de partir pourquoi ne pas prendre un verre de cidre servi par les deux officiantes ? |