Certains albums ont besoin de temps. C'est le cas de Swanlights. A la première écoute, ce nouvel album d'Antony and the Johnsons ne surprend guère lorsqu'on connaît les précédents, même si à l'issue de cette écoute on le juge dans l'ensemble plus guilleret que ses prédécesseurs. On reconnaît instantanément le timbre de voix d'Antony Hegarty, cette voix souvent qualifiée de "androgyne", "angélique" ou "éthérée", et aussi sa technique vocale usant, voire abusant, des vibrato.
L'album tarde un peu à revenir sur la platine. Surtout que, déjà, le premier single extrait qui avait précédé d'un mois la sortie de l'album se révélait plutôt décevant. "Thank you for your love" dégoulinait d'effets faciles avec sa trompette et son côté comédie musicale de Broadway. En plus de la chanson titre, le mini-album contenait une courte balade piano / voix "You are the treasure" pas exactement transcendante, un gentillet "My Lord, my love", une reprise de Bob Dylan, "Pressing on", qui fonctionnait essentiellement grâce à une alchimie réussie entre les cordes et un vibraphone, et enfin une reprise de "Imagine" de Lennon qui aurait mieux fait de rester dans les cartons. Le EP qui annonçait "Swanlights" hésitait donc entre romantisme pompier et pop manièrée, pas vraiment le meilleur moyen d'encourager l'auditeur à se précipiter vers le nouvel album.
Mais c'est un album qu'on ne peut pas prendre à la hussarde, les chansons ne se donnent pas facilement. Elles se méritent. Il faut leur donner du temps et de l'espace pour qu'elles se découvrent. Tout d'abord, c'est un album brillamment interprété. La production d'Anthony met en valeur les qualités des musiciens. Enfin, les arrangements y sont exquis. On trouve quelques pépites, un "Ghost" aux ornements à la fois riches et délicats, un "The spirit was gone" épuré, un "Salt Silver Ocean" tout en légèreté, et surtout un duo en islandais avec Björk sur "Fletta" dont l'architecture est complexe et où les voix se combinent merveilleusement.
On en vient à se dire qu'Antony a, avec Swanlights, réalisé un album de transition. Il s'essaie à de nouveaux styles, ses paroles visent à plus d'universalité. Dans un même temps, certaines chansons semblent faciles et d'autres compositions seulement ébauchées. Il y a bien sûr "Thank you for your love", déjà évoqué, "Violetta", un instrumental de trente secondes, "I'm in love" dont les rythmes voudraient rappeler le trot des chevaux, mais dont la lourdeur générale évoque plutôt le cheval de trait.
Swanlights n'est pas le meilleur album d'Antony, mais il est celui dans lequel Antony ouvre la fenêtre et laisse respirer les Johnsons, celui qui permettra à sa carrière d'évoluer vers de nouveaux paysages musicaux et de ne pas rester dans des atmosphères confinées. Ce chemin, Antony a déjà commencé à l'explorer lors de ses collaborations, mais uniquement sur les albums des autres. On attend donc d'Antony qu'il nous surprenne à l'avenir. |