Singulier opus littéraire que "L'autre joug" de Christian Morel de Sarcus. Qui dépeint autant de chambres cadenassées qu'il donne de clés dépareillées aux serrures.
Comme l'illustration de la page de couverture, un carrefour borné par un calvaire avec deux silhouettes, une à l'arrêt, l'autre en marche.
Comme le sous titre "Passions scélérates" et la postface qui le cadre comme une oeuvre de fiction en escalier, "reflet du miroir d'un miroir", tout en évoquant l'autofiction ("ce manuscrit appartient réellement à un autre, disparu récemment : Le moi-même de ces années là") en exhortant à ne pas pratiquer d'"analyse psychologique désinvolte ou péremptoire".
Malaisé devient l'exercice de la chronique pour une narration à la première personne du singulier, ce "je" qui est simultanément un autre, un double littéraire, un Janus envoûté et un avatar schizophrène
emporté dans un maelström introspectif d'une résilience incertaine, peut-être impossible, d'un divorce imposé et subi dans des circonstances factuelles tragiques simplement évoquée mais sensible dans la douleur.
Histoire d'une rupture traumatique aux allures de chemin de croix, doublée du drame vécu par les pères privés de leurs enfants, qui ne peut s'exorciser que par l'engloutissement dans un chaos délétère et l'aspiration à un enfer judéo-chrétien sans rédemption terrestre qui mènera à la damnation ou à la résurrection, où se côtoient le désir de l'animalité bestiale, le dérèglement des sens, la folie, le désespoir, la mort et l'extase mystique.
Confession, introspection et profèration, cet homme livre un combat moral
qui évoque irrésistiblement, toute proportion factuelle gardée, "Une saison en enfer" de Arthur Rimbaud. Non pas par élémentaire association d'idées parce que le diable est souvent convoqué dans ce qui revêt souvent une apparence délirante, mais par la quête aussi métaphysique que littéraire.
Christian Morel de Sarcus a une belle plume trempée dans le classicisme qui trace des mots dont chacun est pesé à l'aune du sens et une écriture travaillé,
animée d'un réel souffle poétique, qui saisit au coeur et au ventre.
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