Le Musée des Arts Décoratifs
et Olivier Saillard, chargé de programmation des expositions Mode et Textile en ce lieu, poursuivent l'exploration de leur "Histoire idéale de la mode contemporaine" avec ce deuxième volet consacrée aux décennies 1990 et 2000.
Le premier épisode placé sous le signe de la création joyeuse s'achevait avec la fin de des années 80, les fameuses années Palace qui finirent englouties par les années sida.
Les deux décennies qui suivent sont celles du capitalisme libéral, pour certains du capitalisme sauvage, et du néo-libéralisme mondial qui va également phagocyter l'univers de la mode et du luxe. Désormais couturiers, stylistes, créateurs et designers du vêtement ressortissent à l'industrie de la mode dont les principales griffes et marques appartiennent aux leaders mondiaux du luxe cotés en bourse.
Concurrence, positionnement, rentabilité, stratégie du flaship store et irruption des directeurs artistiques ne parviennent cependant pas à tarir le flot créatif et, d'une certaine manière, favorise la diversité comme le démontre le choix non tempéré en 30 noms et 150 modèles opéré par Olivier Saillard qui s'accompagne de nombreuses vidéos de défilés.
La fashion sphère, ses satellites et ses électrons libres
Plusieurs lignes de force traversent les années 1990 et 2000.
La haute couture française perd des phares mais s'offre des divas avec le kaiser Karl Lagerfed pour Chanel ou le Fellini de la mode John Galliano pour Dior.
Et Nicolas Ghesquière, le designer visionnaire, ressuscite Balenciaga.
L'élégance à la française perdure avec, chez Lanvin, Claude Montana, le roi des épaulettes, qui passera le témoin à Alber Elbaz, le Woody Allen de la couture, qui crée des vêtements "cosmétiques", des stylistes satellites, le "rock’n’romantic" de Martine Sitbon et l'élégance chic de Véronique Leroy, et parmi les électrons libres, Azzedine Alaia, "The King of Cling" et le recyclage vintage pratiqué par la griffe parisienne E2.
La création transalpine est représentée par le pragmatisme financier des nouveaux venus comme les deux siciliens fondateurs de la marque Dolce & Gabbana qui a choisi le créneau des people.
Mais également des grandes maisons familiales, issues de l'artisanat de la sellerie de luxe telles Gucci et Prada, qui ont su intégré les postulats de la stratégie commerciale de la mondialisation pour diffuser une couture chic.
Les japonais ont fait de Paris la tête de pont de Tokyo qui peine à décoller.
Mené par le pionnier Issey Miyake, et ses emblématiques plissés "pleats please", génération après génération, le clan nippon, que ce soit Yohji Yamamoto et son l'austérité élitiste, le chantre de l'anti-mode Rei Kawakubo ou la techno-couture de Junya Watanabe, creuse avec succès le sillon du design vestimentaire.
Mais la novation principale réside dans le dynamisme de la mode d'outre-Quiévrain.
Voilà venu le temps de "la culture de la mode belge" promue par le Groupe des six, issus de la Koninklijke Academie voor Schone Kunsten d'Anvers qui fait entrer Anvers dans le gotha des capitales européennes de la mode.
Sont ici présents Dries Van Noten, l'enchanteur,
et
Ann Demeleumeester, l'exploratrice de la silhouette androgyne à la Patti Smith, et le 7ème "mousquetaire", l'homme invisible, le secret Martin Margiela qui fut styliste chez Hermès.
L'exposition met en évidence le clivage pérenne entre l'excentrique et le minimalisme, l'avant-gardisme et le classicisme réinventé, le spectaculaire et l'expérimental, le styliste et le designer du vêtement, le défilé, la collection capsule et la monstration conceptuelle.
Face au minimalisme toujours d'actualité, la mère du minimalisme, Adeline André, ayant trouvé un successeur radical en la personne de l'autrichien Helmut Lang qui initie culte du rien, les enfants terribles de la mode
Les vétérans ne désarment pas tels la doyenne des stylistes, Vivienne Westwood, néo-punk représentante du style glam-rock-rebelle de l'undeground londonien, et Jean-Paul Gaultier, le "Tintin au pays des frous-frous" qui accède au Panthéon de la mode par sa longévité obstinée et inspirée.
Et la relève est assurée par les promus de la Central Saint-Martin School of art de Londres, avec Alexander McQueen, le bad boy de la mode britannique, et le turco-chypriote Hussein Chalayan designer-plasticien du vêtement, et Viktor & Rolf, les faux jumeaux azimutés du pays des tulipes.
Entre les deux, pratiquant un métissage d'influences culturelles assumé le couturier français Christian Lacroix, dont les créations ont illuminé cette période. |