Crippled Black Phoenix s'était annoncé en 2006 comme un supergroupe post-rock (comprenez : un groupe formé de membres d'autres groupes : Dominic Aitchison de Mogwai, Geoff Barrow...). Après quatre années d'existence, on peut attester que la formation rassemblée autour de Justin Greaves et qui a vu contribuer pas loin d'une trentaine d'individus, possède de sérieux atouts : super-prolifique, super-diversifiée, super-efficace. Mais aussi super-inégale, ce qui a parfois conduit les enthousiastes à la super-déception (le plus beau ratage en date tenant certainement dans le double album de 2009, The ressurectionnists / Night Raider, dont le groupe s'est lui-même senti obligé de donner une version réduite de moitié, sous le titre 200 tons of bad luck, que l'on aura tout intérêt à préférer).
I, vigilante, le nouvel album de la formation, était donc attendu sans grande impatience, mais n'en méritait pas moins d'être accueilli avec intérêt. De façon assez typique du genre, le disque commence par une introduction monologuée avant de s'étirer en longues plages épiques, entrecoupées parfois de narrations tragiques revisitant la bataille de Bastogne, prétexte à l'entrecroisement, au gré de l'héroïsme, du destin individuel et de la marche de l'Histoire. Mais il faut bien reconnaître que le groupe peine à intéresser l'auditeur à cet habillage seconde guerre mondialiste, qui a surtout des airs de prétexte.
On préfèrera donc certainement se concentrer sur la musique elle-même, ce rock clairement plus progressif que post – que celui qui n'entend pas la ressemblance entre la voix de Joe Volk et celle de Steven Wilson ou celui qui a déjà entendu plus floydiennes guitares m'arrêtent. Après l'hommage explicite de "Time of Ye Life / Born for Nothing / Paranoid Arm of Narcoleptic Empire", qui ouvrait Night Raider (2009) et se permettait carrément de reprendre la mélodie de "Pigs" (tiré de l'album Animals, 1977), on sait en tout cas à quelle source le groupe va puiser son inspiration.
Et il faut reconnaître que, dans ce registre certainement un brin nostalgique mais en tout cas tout à fait recommandable, Crippled Black Phoenix tire son épingle du jeu. Hélas, super-hélas, le supergroupe reste fidèle à sa réputation et l'album n'échappe pas à une certaine inégalité.
On pourrait encore avoir des doutes sur le long "Bastogne Blues" (douze minutes) et ne pas trancher la question de savoir s'il traîne mollement ou s'il s'étire délicieusement. On aura en revanche du mal à avaler le collage sans queue ni tête qu'est "Of a lifetime", où la voix de Daisy Chapman ne semble pas trop savoir ce qu'elle doit faire face à ces guitares hard-rock : imiter le chanteur de Scorpion ? Fermer les yeux et espérer faire aussi bien que Clare Torry sur "The great gig in the sky" ? Quant aux deux minutes et demi de "Burning Bridges", il vaut mieux faire comme le trakclisting de la pochette : ne pas le mentionner, espérant qu'il s'agit d'une blague de la maison de disque, d'une erreur, d'une machination vengeresse (imaginez la reprise très premier degré d'une face-b ratée de Boney M ou Abba...).
Encore une fois, ce serait donc une version réduite de moitié qu'il aurait fallu proposer de cet album. De fait, un EP constitué des trois premiers titres aurait été une bien excellente surprise, qui aurait, enfin, mis Crippled Black Phoenix à sa propre mesure. Ou comment pécher par excès... |