Comédie de Marivaux, mise en scène de Chantal Déruaz, avec
avec Benoît Dallongeville, Marie Doreau, Basile Lacoeuilhe, Clotilde Maurin et Hervé Van der Meulen.
Le Studio-Théâtre d'Asnières propose deux spectacles maisons, metteurs en scène-professeurs et élèves de l'Ecole Studio, et deux "Regards sur Marivaux" avec deux pièces en un acte qui n'appartiennent pas au corpus dramaturgique de Marivaux traitant de l'amour et autorisent des lectures qui ne ressortissent pas uniquement du registre de la comédie dans lequel elles sont inscrites.
Dans "L'île des esclaves", analysée comme une satire sociale et un bref traité philosophique et moraliste d'inspiration chrétienne sur l'homme et l'aliénation sociale, Marivaux utilise ses thématiques et techniques récurrentes que sont la relation maître-valet, l'inversion des rôles et l'expérimentation utopique, non pas pour célébrer la fête de l'esprit qui précède la danse nuptiale, mais pour prêcher la bonté du coeur, l'autoconfession et la réformation du racisme de classe.
Mais Chantal Deruaz ne croît pas à la réconciliation finale des âmes éclairées par cette stigmatisante expérience en forme d'intrigue de carnaval qui, au final, entérine un déterminisme social ("La différence des conditions n'est qu'une épreuve que les dieux font sur nous"), ni au retour dans la mère patrie des naufragés après les festivités sur lesquelles se clôt la pièce ("Que la joie à présent, et que mes plaisirs succèdent aux chagrins que vous avez sentis, et célèbrent le jour de votre vie le plus profitable").
Aussi, dans un paisible décor couleur de sable de Antoine Milian, la comédie aux allures de jeu de rôle s'assombrit-elle très vite : le quatuor, qui se démène sous les injonctions d'un deus ex machina insulaire aux allures d'un Jean Reno débarqué de "Pirates des Caraïbes", campé magistralement par Hervé Van der Meulen, qui dispense la bonne parole manu militari, traverse un purgatoire mortifère qui, autant pour les maîtres que pour les serviteurs, s'il leur dessille les yeux sur l'altérité, leur renvoie leur propre image à jamais flétrie.
Les jeunes comédiens parviennent totalement à maîtriser la tonalité de leur jeu pour marquer cette inéluctable et tragique évolution. Arlequin, interprété avec beaucoup de finesse par Benoit Dallongeville, sans doute le plus proche de l'homme bon au sens des philosophes des Lumières, est le premier à sentir la vacuité dévastatrice de cet échange d'identité.
La scène avec Clotilde Maurin, petit Tanagra aux allures de poupée de porcelaine tragiquement émouvante dans son conditionnement sociétal, la jolie coquette rabaissée à l'état de servante soumise au droit de cuissage du maître, est d'une étourdissante beauté pathétique.
Le coeur n'y est pas non plus pour son maître, Basile Lacoeuilhe très juste, qui fait contre mauvaise fortune bon coeur. Seule la servante Marie Doreau, comédienne piquante et à l'emploi manifestement pluriel,
qui reste foncièrement vindicative, ne comprendra que tardivement l'enjeu de l'intrigue.
Une belle proposition et un spectacle de qualité à la mise en scène très tenue de Chantal Deruaz. |