Le 30 octobre 1979, le cadavre de Robert Boulin, alors ministre en exercice, est retrouvé près d'un étang de la forêt de Rambouillet.
Ainsi commenceront sans doute la plupart des articles relatifs au livre "Le dormeur du val" que vient de publier sa fille Fabienne Boulin Burgeat.
Car pour les lecteurs nés après 1960 le nom de Robert Boulin appartient sans doute à la préhistoire et seule, peut-être, "L'affaire Boulin" leur évoque quelque chose.
Notamment avec la résurgence régulière dans l'actualité du fait de la durée exceptionnelle des démêlés juridiques qu'elle a suscités. Et l'opiniâtreté de la famille Boulin fait qu'ils ne sont toujours pas clos. En effet, forte d'une conviction profonde, elle soutient, contrairement à la thèse officielle du suicide qui n'est pas scientifiquement établi, la thèse de l'assassinat, sans doute politique.
En effet, après une estocade à l'issue compromise consistant en une accusation d'acquisition illégale d'un terrain pour y bâtir une résidence secondaire (le scandale immobilier est un levier prisé sous la 5ème République), celui-ci visait à l'élimination radicale d'un homme intègre, ministre du travail et de la participation qui avait manifesté son opposition au néo-libéralisme (déjà !) et surtout qui aurait détenu des informations majeures sur les connivences douteuses existant en matière de financement des partis politiques qu'il allait révéler. Par ailleurs sa mort alors qu'il était en position de premier-ministrable tombait à pic pour ses outsiders.
Et si la famille Boulin s'entête à actionner la justice pénale, ce n'est pas uniquement par dénégation de la possibilité du suicide en raison des croyances personnelles de Robert Boulin, mais la thèse du désespoir pour un lopin de terre, fut-il sis à Ramatuelle, paraissait bien invraisemblable venant d'un homme qui était entré dans la Résistance à 21 ans, devenu le chef de réseau, puis engagé volontaire, décoré de la Croix de guerre et de la médaille de la Résistance, et aguerri aux fonctions ministérielles et aux moeurs politiques, détenant à ce titre le record de longévité ministérielle.
Mais surtout, après la stupéfaction provoquée par l'annonce officielle de sa mort par noyade avec ingestion de barbituriques alors même que
le corps n'avait été ni retrouvé ni autopsié, en raison des circonstances particulièrement suspectes de sa mort (entre autres la noyade dans une profondeur de 50 cm dont 40 de vase, visage tuméfié, lividités sur le corps, traces de liens aux poignets) et, outre
l'omerta de la classe politique tous partis confondus, des anomalies qui se sont révélées faisant obstacle à l'instruction.
Le livre de Fabienne Boulin Burgeat
raconte le laborieux parcours du combattant et en recense l'incroyable accumulation, la plupart ne résultant pas d'erreurs mais d'actes conscients et délibérés (mensonges, évaporation des dossiers, vol, disparition et destruction de pièces à conviction, faux en écritures...) que même un auteur de roman policier n'aurait osé inventer et qui pourrait servir de cas d'école pour l'épreuve de procédure pénale du concours d'accès à la magistrature, aucun n'ayant été sanctionné par l'autorité judiciaire qui refuse d'admettre la volonté de nuire qui est un des éléments constitutifs du délit par ailleurs constaté.
Elle dénonce avec virulence toutes les institutions, police, justice, médecins, et quasiment toutes les personnes qui sont intervenues officiellement à quelque titre que ce soit - même les journalistes qui se sont contentés de la version officielle d'autant qu'à l'époque la mort du ministre avait été très vite évincée de la une par
une autre affaire, celle de Jacques Mesrine, l'ennemi public n°1 abattu en pleine rue par la police le 2 novembre 1979 - qui ont concouru au travestissement de la vérité et/ou à la manipulation des indices et des preuves et cela de manière récurrente depuis 30 ans alors même que les intervenants ont changé. De quoi faire frémir, alimenter la théorie du complot et rendre paranoïaque le plus zen des taoïstes.
Fabienne Boulin Burgeat connaît bien le dossier et en livre une synthèse édifiante qui cependant patit d'une structure chronothématique, qui entraîne des répétitions qui peuvent troubler le lecteur, ainsi que de l'effet miroir entre la bataille judiciaire et la biographie familiale.
Cela étant, il n'est jamais inutile de remettre les pendules à l'heure et de crier son indignation. Elle croît encore que la justice se ressaisira pour statuer impartialement sur ce que Coluche qualifiait ironiquement d'"accident de travail" et publie ce livre pour en appeler, écrit-elle, à l'opinion publique qui lui paraît seule en mesure d'inciter les autorités à faire la vérité. Qu'elle soit entendue.
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