Comédie dramatique de Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Benedetti, avec Brigitte Barilley, Marie-Laudes Emond, Anamaria Marinca, Nina Renaux, Christian Benedetti,
Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Xavier Legrand et Jean-Pierre Moulin.
L'année 2010 fut l'année Tchekhov et les spectateurs ont été gavés de lectures ou relectures plus ou moins bien inspirées du consensualisme dramaturgique quant à la reconstitution de l'atmosphère fin de siècle en Russie qui préside à représentation de ses oeuvres.
En début d'année 2011, Christian Benedetti, metteur en scène radical et officiant du théâtre pauvre, propose une version aussi déconcertante que vitezienne de "La mouette".
Elagueur hardi qui s’est toutefois contenu avoue-t-il, "On a gardé ce qui était strictement nécessaire pour jouer la pièce. Et encore je pense qu’il y en a encore trop", Christian Benedetti adopte des parti-pris drastiques en expurgeant la partition originale de toute connotation spatio-temporelle pour y substituer une contemporanéité parfois néanmoins anachronique, gommant l’humanité des personnages en ne conservant que leur défroque archétypale et retenant une focale unique, la problématique du contemporain, qu’il s’agisse du temps ou de l’écriture dramatique.
La salle en plein feux, une scénographie rudimentaire, le rapport scène-salle explosé, les comédiens en costumes de ville vrais faux bohême/saltimbanque grunge décomplexés et jeu frontal, voilà pour les conventions scéniques "arte povera" qui cadrent une représentation composée de ruptures alternant frénésie et arrêts sur images.
En accentuant la structure syncrétique de la pièce, dramatique comédie de moeurs, et assemblage kaléidoscopique de micro-actions, avec son triangle d'amours contrariés et ses désillusions en chaîne, qui mêle les genres, du vaudeville au mélodrame en passant par la drame romantique et vogue entre naturalisme et symbolisme, la mise en scène de Christian Benedetti s'inscrit à contre courant de son traditionnel traitement choral.
Chaque personnage, interprété avec acuité par des comédiens qui sont, pour la plupart, ses compagnons de route, est englué dans un certain immobilisme : les victimes de l'ordre ancien par déterminisme social, l'intendant (Laurent Huon), sa femme résignée (Marie-Laudes Emond), sa fille désespérée (Nina Renaux) et l'instituteur (Christophe Caustier) comme les nantis du moment, la mère comédienne frénétique pour qui bouger s'est vivre (Brigitte Barilley) et son trivial amant et écrivain célèbre qui pisse l'encre (Christian Benedetti savoureux)
comme Treplev dévasté par le spleen de l'écrivain qui n'a pas les moyens de ses ambitions (Xavier Legrand).
Restent ceux qui semblent intemporels l'oncle (Jean-Pierre Moulin très juste) et le médecin à la lucidité désenchantée (Philippe Crubézy excellent).
Et puis, au-dessus plane la mouette, Anamaria Marinca, jeune actrice roumaine très judicieusement distribuée, dont le physique et la qualité sensible du jeu correspond parfaitement au symbole de vie du rôle-titre. Un régal. |